
Maître de conférence à Polytechnique, auteur de Plaidoyer pour l'écofiscalité
Actu-Environnement.com : La conférence environnementale, qui se déroulera les 14 et 15 septembre prochains, abordera au cours d'une table ronde la fiscalité environnementale. Est-ce un bon signal ?
Guillaume Sainteny : Oui, bien sûr. Bien que la fiscalité environnementale, outil transversal, puisse aussi être abordé dans les autres tables rondes. Une des particularités de cette table ronde est qu'elle sera suivie, moins de 15 jours après, de la présentation du projet de loi de finances pour 2013. Au delà de la Conférence environnementale, c'est la présence dans ce projet de loi de mesures de fiscalité environnementale qui témoignerait d'une réelle volonté de réforme. Au contraire, si aucun des projets de mesure de fiscalité environnementale évoqué lors de la Conférence ne figurait dans la loi de finances pour 2013 (ne serait-ce qu'après amendement), cela serait décevant. D'autant plus que les débuts de mandat sont davantage favorables aux réformes fiscales que les fins de mandat.
AE : Depuis son installation, le gouvernement a priorisé la question du pouvoir d'achat plutôt que la protection de l'environnement. Le climat actuel vous semble-t-il favorable à un verdissement de la fiscalité ?
GS : En effet, certaines décisions prises depuis juin ne sont pas favorables à l'environnement. Tout d'abord, il y a eu le plafonnement à 2% de la hausse des tarifs réglementés du gaz naturel et de l'électricité, décidé en juillet malgré un avis défavorable de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). C'est une forme déguisée de subvention à l'énergie. Le signal prix est entravé. Cela incite moins aux économies d'énergie et rend moins rentables les travaux de rénovation énergétique et les énergies renouvelables. Idem pour la baisse de 3 centimes de la taxe sur les carburants (TICPE) annoncée fin août. Cette mesure est, de plus, une "anti taxe carbone" puisqu'elle revient à alléger la taxation du CO2 que constituent les taux de TICPE. Elle est, en outre, contradictoire avec le plan automobile présenté par Arnaud Montebourg, visant à inciter à l'achat de véhicules électriques et hybrides, via le bonus malus. Pour que cette incitation fonctionne, il faut que le différentiel entre le coût complet (achat + consommation de carburant) des véhicules électriques ou hybrides et le coût complet des véhicules, diesel ou essence, se réduise. Le plan automobile allait en ce sens. Mais si trois semaines après, on baisse le coût des carburants fossiles, on envoie bel et bien deux signaux prix contradictoires au consommateur.
La tarification et la fiscalité de l'énergie, et notamment des énergies fossiles, peuvent donc voir s'opposer logique sociale et logique environnementale. La volonté de protéger les catégories modestes plaide pour une énergie à bon marché. Le souci d'économiser l'énergie, de réduire la dépendance énergétique, de diminuer les émissions de GES, d'encourager les ENR, d'opérer la transition énergétique, suppose des prix élevés pour les énergies fossiles.
La "transition énergétique" est l'un des objectifs fixés par François Hollande. Celle-ci passe par une hausse tendancielle des prix des énergies fossiles et une baisse du prix des énergies renouvelables et de la maîtrise de l'énergie. Pour l'instant, le gouvernement va contre cet objectif et semble privilégier les aspects sociaux sur l'aspect environnemental. Pourtant, ces deux piliers doivent être conciliés dans les politiques de l'énergie.
AE : Quid de la proposition de loi sur la tarification progressive de l'énergie, présentée il y a quelques jours par le député Brottes ?
GS : Cette proposition part d'une bonne idée, mais le diable est dans les détails ! Le projet semble privilégier les mesures d'atténuation (crédit d'impôt, baisse d'autres impôts) aux mesures de compensation (paiement du tarif normal couplé au versement d'une compensation pour les catégories socioprofessionnelles modestes), plus efficaces sur les plans environnemental et social car permettant de préserver le signal prix, en minorant les effets sociaux trop abrupts. Ensuite, les volumes du forfait de base et des tranches au delà varieraient selon différents critères tels que le mode de chauffage. Or, les chauffages au gaz, au fioul et à l'électricité ne coûtent certes pas la même chose mais ils utilisent des puissances énergétiques différentes et émettent des polluants de type et de niveaux très variables. Une trop grande pondération par le mode de chauffage briderait la substitution entre type d'énergies. Enfin, l'extension d'un barème social lui-même "bonusé" pour les ménages modestes occupant des logements énergétivores et n'ayant pas les moyens de procéder à des travaux de rénovation énergétique risque d'entraîner la pérennisation de ces situations, à défaut de mise en place de mécanismes de financement spécifiques à ce type de rénovation énergétique.
AE : Pensez-vous qu'un verdissement de la fiscalité nécessite une remise à plat totale ?
GS : Je crois davantage aux petits pas qu'au "grand soir" fiscal. Et il y a eu certains progrès. Au moment du Grenelle, on a focalisé sur l'échec de la taxe carbone et pourtant, plus d'une cinquantaine de mesures ont été prises en matière de fiscalité environnementale.
En revanche, il faut bien distinguer entre les véritables écotaxes incitatives qui visent à modifier les modes de consommation ou de production et les mesures de fiscalité environnementale au sens plus large qui cherchent à obtenir de nouvelles recettes fiscales via de nouvelles assiettes polluantes.
AE : Quels sont les petits pas que le gouvernement pourrait faire, selon vous ?
GS : Nous sommes dans une situation économique et sociale telle qu'il convient de raisonner en fonction de cela. Une diminution des subventions publiques et des dépenses fiscales dommageables à l'environnement permettrait de contribuer à la maîtrise des dépenses et de la dette publiques. L'administration estime ces mesures à 5 Mds€ par an, alors que, lors d'une première tentative de chiffrage, je les ai estimées, de mon côté, à 32,5 Mds€ uniquement pour les énergies fossiles.
Sur les 80 propositions que j'ai faites dans le cadre durapport sur les aides dommageables à la biodiversité, réalisé sous l'égide du Centre d'analyse stratégique, j'ai fait la distinction entre les propositions de réforme pouvant être mises en œuvre assez rapidement et des recommandations plus complexes. Deux propositions ont été adoptées dans la loi de Finances 2012 : le passage du taux réduit au taux normal de TVA pour les produits phytosanitaires et l'assujettissement des scooters des mers et des petits bateaux motorisés au droit annuel de francisation et de navigation.
D'autres mesures pourraient être prises à moyen terme comme le plafonnement du barème kilométrique, l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) à d'autres polluants, la modification de l'assiette duversement transport, etc.