Finalement, le porte-avions Foch ne sera démantelé dans les règles de l'art. Le navire, vendu au Brésil en 2000 et rebaptisé Sao Paulo, a été coulé vendredi 3 février. « Du fait de la détérioration de la flottabilité de la coque et de l'inéluctabilité d'un naufrage spontané et incontrôlé, il n'est pas possible d'adopter [une autre solution qu'un] naufrage planifié et maîtrisé », annonçait le ministère de la Défense brésilien, le 1er février. Le porte-avions a été coulé par 5 000 m de fond à 350 km des côtes brésiliennes.
Le Bassel Action Network (BAN), une coalition d'ONG environnementales, critique vivement cette décision. Elle estime que le Brésil est responsable de cette situation. En décidant de couler le navire, il enfreint la Convention de Londres de 1972 et son Protocole de 1996 qui réglementent l'immersion de déchets en mer, ainsi que la Convention de Stockholm de 2001 sur les polluants organiques persistants (POP). « Sur la base des preuves disponibles, la marine brésilienne devrait être condamnée pour négligence grave », estime Jim Puckett, directeur du BAN.
Initialement, le navire de 265 mètres de long devait être démantelé et ferraillé en Turquie. Mais des associations locales s'y sont opposées, car il contenait de nombreux polluants (des tonnes d'amiante, de tributylétains (TBT), de polychlorobiphényles (PCB) et de matières radioactives, selon l'ONG Robin des bois). Dans la foulée, la Fédération des entreprises du recyclage (Federec) et la Confédération européenne des industries de recyclage (Euric) avaient demandé à la France d'assumer une part du démantèlement en tant que producteur. Leurs adhérents ont la capacité de dépolluer le navire et de le démanteler dans les conditions imposées par l'Union européenne, expliquaient les associations professionnelles.
Un inventaire lacunaire
Dans son communiqué, le ministère de la Défense brésilien rappelle d'abord qu'à l'issue d'un appel d'offres le navire a été cédé à Sök Denizcilik and Ticaret Limited, une entreprise turque spécialisée dans le démantèlement des navires. Celle-ci est connue de l'Union européenne, puisqu'elle figure sur la liste des installations de recyclage de navires jugées conformes à la règlementation européenne de 2013. La coque « est devenue privée » et les autorités brésiliennes se sont contentées de délivrer les autorisations nécessaires à l'exportation vers la Turquie, insiste le ministère. Et d'estimer qu'il s'agissait là d'« une tentative sans précédent, pour le Brésil, de recycler en toute sécurité et dans le respect de l'environnement un ancien navire d'État ».
Le Brésil refuse le retour du navire
Finalement, en août dernier, « après vingt-deux jours de transit, l'autorité environnementale turque a unilatéralement retiré son consentement à l'importation et au démantèlement de la coque », explique le Brésil. L'autorisation d'exporter étant caduque, le navire a retraversé l'Atlantique. Les autorités brésiliennes lui ont alors imposé de rester à plus de 22 km de la côte. Après expertise de la coque, elles ont imposé deux exigences à l'entrée du navire dans les eaux territoriales : la souscription d'une assurance pour couvrir un éventuel naufrage et la présentation d'un contrat de réparation signé avec un chantier naval adapté. Exigences que le propriétaire de l'ex-Foch n'a pas remplies, selon le ministère brésilien.
Pour le BAN, la réalité est assez différente : « La marine brésilienne a inexplicablement refusé de permettre au Sao Paulo d'accoster en toute sécurité dans une base navale. » Il s'agit là d'une violation de l'article 8 de la Convention de Bâle qui prévoit que si un transfert de déchets ne peut être mené à terme, alors l'exportateur réintroduit les déchets dans l'État d'exportation. En l'occurrence, la Convention stipule que le Brésil ne pouvait pas s'opposer au retour du porte-avions, ni l'entraver ou l'empêcher. Conséquence du refus de laisser accoster le navire, il a dû être remorqué en rond au large de l'État brésilien de Pernambuco pendant trois mois.
Dégradation sévère ou dommages mineurs ?
Une ultime inspection du navire a montré « une dégradation sévère des conditions de flottabilité et de stabilité » et « l'État brésilien n'a eu d'autre choix que de considérer la coque comme perdue (…) et d'assumer son contrôle administratif, [Sök Denizcilik and Ticaret Limited restant] son propriétaire », explique le ministère.
Mais, là aussi, le BAN juge que la réalité est tout autre. La coalition « exprime de sérieux doutes quant au fait que le navire risque de sombrer et de causer des dommages aux côtes brésiliennes ». Et de préciser qu'aucune preuve n'a été produite par le Brésil, à l'exception une réunion institutionnelle tenue le 29 décembre 2022 au cours de laquelle a été évoquée « la nécessité de réparations mineures ».
Finalement, le navire a été amené à 350 km de la côte, dans la zone économique exclusive du Brésil, pour y être coulé par une profondeur approximative de 5 000 m. « Cette zone, sélectionnée sur la base d'une étude menée par le Centre d'hydrographie de la Marine, est considérée comme la plus sûre. » Plusieurs paramètres ont été pris en compte pour les conditions de dégradation sévère de la coque : absence de zone protégée, de câble marin ou encore de projet éolien.