La gestion des 17 millions d'hectares de la forêt française est complexe, implique de multiples acteurs et des intérêts parfois divergents. La signature le 22 décembre d'une charte d'engagement (1) entre l'État et vingt acteurs de la filière forêt-bois n'est donc pas négligeable.
Par cette charte, les acteurs de la filière s'engagent à répondre au défi du renouvellement forestier en respectant une feuille de route (2) d'adaptation de la forêt au changement climatique. Une urgence alors que l'état des forêts se dégrade de manière rapide. « La succession de sécheresses affaiblit les arbres et les rend plus vulnérables aux attaques d'insectes dont les cycles de reproduction sont par ailleurs accélérés par le réchauffement. La résilience des écosystèmes est compromise et des surfaces importantes s'avèrent d'ores et déjà en situation de ne pouvoir s'adapter seules », souligne la charte.
Plusieurs parties prenantes se félicitent de la signature de cette charte, qui intervient après la publication en septembre du rapport de la députée Anne-Laure Cattelot. L'élue du Nord avait proposé un fonds pour reconstituer massivement les forêts face aux risques liés aux changements climatiques. Mais certaines voix, comme celle de l'association Canopée, s'élèvent pour dénoncer une marche vers l'industrialisation de la forêt.
Mettre en œuvre le volet forestier du plan de relance
Dans le cadre de la charte, les acteurs de la filière s'engagent à adopter des pratiques sylvicoles qui « augmentent la résilience, diminuent les risques et limitent l'impact des crises ». Concrètement, cela signifie renforcer la communication sur les pratiques sylvicoles adaptées au changement climatique, diversifier les essences en s'adaptant aux contextes territoriaux, appliquer les recommandations de bonnes pratiques sur la préservation des sols et de la biodiversité, ou encore transformer les peuplements vulnérables.
L'objectif ? Adapter les forêts au changement climatique mais aussi « orienter la sylviculture au service du développement du bois d'œuvre, dont la durée de vie hors forêt est plus longue que dans les autres usages », précise le document. « Les forêts françaises et l'utilisation du matériau bois en substitution aux matériaux et énergies fossiles captent 20 % des émissions de CO2 du pays », renchérit Bertrand Servois, président de l'Union de la coopération forestière française (UCFF), qui regroupe 110 000 producteurs.
« Opération d'enfumage »
Les taux d'intervention pourront atteindre 80 % pour la reconstitution des forêts atteintes par la crise des scolytes, notamment dans le Grand-Est, la Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes, et 60 % pour le renouvellement de forêts identifiées comme vulnérables aux changements climatiques. Les aides seront conditionnées à un taux minimum de diversification des essences de 20 % à partir de 10 hectares.
Un appel à manifestation d'intérêt a été lancé début décembre afin de susciter l'adhésion des propriétaires forestiers, de regrouper leurs dossiers et les présenter aux services de l'État chargés de leur instruction. Les guichets seront ouverts début 2021 afin de pouvoir engager les travaux, annonce le ministère de l'Agriculture. « Cette mesure, c'est le déclic : l'aide est significative et la procédure est souple et facile d'usage, permettant à la fois des dépôts de demandes collectives et individuelles », se réjouit Roger Perrin, propriétaire forestier dans les Vosges et élu au Centre régional de la propriété forestière (CRPF) Grand-Est.
Vingt millions en faveur de l'industrie du bois
Le ministre de l'Agriculture prévoit par ailleurs un soutien à la filière « graines et plants ». L'Office national des forêts (ONF) sera doté de 1 M€ pour réinvestir dans les vergers à graines de l'État, qui fournissent 80 % des semences pour la production de plants forestiers. Le ministère de l'Agriculture lance également un appel à projets, doté de 4,5 M€, à destination des pépiniéristes forestiers et des entreprises de reboisement pour soutenir la production de plants.
Le ministre de l'Agriculture annonce dans le même temps 22 M€ pour les travaux d'acquisition de la technologie Lidar qui vise à décrire le territoire en trois dimensions, de manière très fine. Les avantages pour la forêt ? Un meilleur suivi des documents de gestion sylvicole, une dématérialisation des procédures administratives, une amélioration de la desserte forestière et du transport de bois, un suivi des défrichements, des replantations et de l'état sanitaire des forêts, et une meilleure prévention du risque incendie, vante le ministère.
Le Gouvernement prévoit aussi un soutien de 20 M€ en faveur de l'industrie du bois. Dans ce cadre, il lance un appel à projets de 15 M€ pour aider à la modernisation des scieries françaises. « Nous utilisons aujourd'hui 48 000 m3 de grumes. L'investissement projeté grâce au nouvel outil (3) , doit nous permettre de monter en puissance. Cette augmentation se fera principalement sur des bois de fort diamètre – du gros bois – apportant une réponse à nos partenaires forestiers qui soutiennent notre projet », témoigne Frédéric Blanc, propriétaire d'une scierie à Marches (Drôme), qui va candidater à l'appel à projets.
Les 5 M€ restants sont destinés à abonder le Fonds Bois et écomatériaux, doté de 70 M€ et géré par BPifrance. L'exécutif affiche l'objectif de « promouvoir le bois en tant que ressource renouvelable et écologique, en particulier pour le stockage du carbone dans la construction ». Mais le fonds est avant tout destiné à renforcer les fonds propres d'entreprises considérées comme « structurantes ».
« Ce qui se joue avec la mise en place de ce plan, c'est une accélération de l'industrialisation des forêts », estime Sylvain Angerand. Et d'ajouter : « Dans une forêt bien gérée, nul besoin de plantation. Le savoir-faire des forestiers est de s'appuyer sur la capacité naturelle des forêts à se renouveler naturellement ».