« Deux choses nous ont alertés », pointe la codirectrice du Forum Vies mobiles, Sylvie Landriève. « À l'occasion d'une enquête internationale que nous avons menée, en 2015, dans six pays, un des résultats a montré que, au quotidien, la plupart des 12 000 personnes interrogées voulaient ralentir, faire des pauses, vivre en plus grande proximité. Par ailleurs, on observe que beaucoup de mouvements sociaux sont déclenchés par des questions de mobilité. Exemples : les Gilets jaunes, en France, mais aussi, au Chili, à la suite de la hausse du prix du métro, au Kazakhstan, en raison du prix du gaz utilisé dans les voitures ».
Enjeu social sous-estimé par les pouvoirs publics, la mobilité prend une place croissante dans la vie quotidienne et elle est le premier émetteur de gaz à effet de serre. Quelque 400 kilomètres et dix heures par semaine sont, en moyenne, consacrés aux déplacements. Et malgré l'essor du télétravail, c'est le travail qui nous amène le plus à nous déplacer : 41 % du temps de déplacement et 45 % des kilomètres parcourus sont liés aux activités professionnelles. Près d'un tiers des travailleurs exercent un métier mobile : routiers, ambulanciers, éboueurs, conducteurs de trains. Treize pour cent des Français ont un travail les amenant à se déplacer souvent : commercial, infirmier, homme ou femme de ménage. Au total, 45 % des travailleurs parcourent, en moyenne, entre 45 et 120 km par jour. Une charge conséquente, qui pèse le plus souvent sur les plus bas salaires.
Le burn out menace les grands mobiles
« Paradoxalement, ces multiples déplacements nous rendent plus sédentaires que jamais. Qu'il s'agisse de voiture, de train, de métro, nous voyageons principalement assis. Et la vitesse gagnée ne sert pas au temps libre, mais à aller de plus en plus loin. Se déplacer plus pour gagner plus, mais chez les grands mobiles, le burn out menace », pointe Christophe Gay, codirecteur du Forum Vies mobiles. Autre paradoxe : les pouvoirs publics misent sur la métropolisation, alors que les citoyens demandent à pouvoir vivre en dehors des grandes villes.
Concrètement, 120 participants, d'une trentaine de profils et de rythmes de vie différents, issus de quatre types de territoires, métropolitains (Île-de-France), ruraux en déprise (Saint-Dié-des-Vosges), attractifs (Nantes) et ultramarins (La Réunion) ont été recrutés par un cabinet spécialisé en démocratie participative et indemnisés. « Nous nous sommes attachés à leur représentativité en termes de diplômes, de revenus, et de rapport à la mobilité dans le travail, y compris les personnes travaillant en horaires décalés », tient à préciser Sylvie Landriève.
Parmi les citoyens du panel, Djamel travaille au service des égouts de Paris. Il prend son poste chaque matin, à 6 h 50, et se lève à 5 h 30, parce qu'il habite en grande banlieue, dans une zone franche. « C'est le transport en fait qui me fatigue, plus que le travail », témoigne-t-il. Son objectif : quitter l'Île-de-France. Déborah, développeuse web à Nantes, télétravaille, mais se déplace aussi, pour raisons professionnelles, à vélo. Son souhait est de conserver des temps de déplacements pour ménager une coupure entre le travail et la maison. Une question d'équilibre, y compris physique.
Créer un service public national des mobilités partagées
Il ressort de cette consultation une demande d'apaisement des trajets liés au travail. Entre crainte de ne pas être à l'heure et conscience du caractère polluant des modes de déplacements, les citoyens proposent que les entreprises, publiques ou privées, se voient attribuer une prime ou un avantage fiscal si elles justifient de deux actions collectives pour améliorer les déplacements et les modes de travail de leurs employés : organisation de transports collectifs, aide à l'acquisition de véhicules individuels propres, télétravail, espace de coworking, diagnostic et accompagnement individualisé…
En outre, le forum citoyen propose de généraliser et d'améliorer l'offre existante de mobilité partagée à l'échelle nationale par un service public administré par les collectivités. Les panélistes insistent sur la diversité de l'offre, adaptable selon les possibilités et les ressources locales (voitures électriques, calèches, bateaux, voiture sans permis…), sur la mutualisation du parc automobile des administrations et la possibilité de mettre à disposition son propre véhicule.
Dans le même esprit, les citoyens souhaitent pouvoir utiliser des « hubs » d'échange de transport à la périphérie des grandes villes où les usagers déposeront leurs véhicules et iront jusqu'à leur entreprise grâce à des transports alternatifs, pourront utiliser des douches, des toilettes, des changes d'enfants. Ils proposent d'octroyer un revenu au parent qui décide de rester à la maison pour s'occuper des enfants. Et, en Île-de-France, les salariés en horaires décalés demandent le remplacement des bus de nuit, bondés, non sécurisés et inconfortables, par des lignes de métro fonctionnant 24 heures sur 24.
Dans les entreprises, il faudrait inciter les ressources humaines à prendre en compte les contraintes des salariés (vie familiale, trajet, fatigue) au moment de l'embauche ou de l'entretien annuel. De manière générale, les citoyens du panel demandent à être associés aux enjeux liés à la vie active, à l'aménagement du territoire et à la mobilité. Ils plaident pour la mise en place systématique dans les institutions (mairies, départements, régions…) de dispositifs de participation relatifs aux décisions concernant les déplacements, l'aménagement du territoire et les rythmes de vie liés au travail. Des attentes exigeantes qu'entreprises et collectivités doivent désormais prendre en compte.