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Actu-Environnement

''Créer un statut aux migrants environnementaux n'est pas une solution suffisante au problème''

Les migrants environnementaux n'ont toujours pas de statut à l'instar des Somaliens qui fuient la sécheresse en Corne d'Afrique. Pour François Gemenne, chercheur à l'Iddri, ces migrations climatiques doivent faire l'objet de coopération internationale et relèvent d'une stratégie d'adaptation.

Interview  |  Gouvernance  |    |  R. Boughriet
   
''Créer un statut aux migrants environnementaux n'est pas une solution suffisante au problème''
François Gemenne
Chercheur à l'Iddri
   

Actu-Environnement : La sécheresse et la famine dans la Corne de l'Afrique qui sévissent particulièrement en Somalie obligent les populations rurales à se déplacer et relancent le débat sur les éco-réfugiés. Comment s'expliquent ces flux migratoires ? Peut-on qualifier les réfugiés somaliens de migrants environnementaux ?

François Gemenne : Il y a deux types de flux migratoires dans le cas de la Corne de l'Afrique. D'une part, une partie des migrations est associée à la nécessité de survie. Par exemple, des Somaliens vont se déplacer vers les camps de réfugiés où l'assistance est disponible que ce soit en interne ou dans les pays voisins comme au Kenya. Il s'agira alors d'une migration de court terme : les déplacés vont revenir une fois que la situation environnementale se sera améliorée dans leur région d'origine. D'autre part, il existe un second type de migration, cette fois de plus long terme et sur de plus longues distances, parfois vers l'étranger. Les migrants vont utiliser les canaux de migration habituels des populations de la Corne de l'Afrique vers la péninsule arabique. Ces migrants vont chercher une plus grande sécurité de revenus notamment au Yémen où les arrivées de Somaliens ont augmenté.

Mais dans les deux cas, on parle de migrants environnementaux motivés très clairement par la crise environnementale liée à la dégradation de l'environnement (sécheresse, déforestation, hausse des niveaux de la mer, dégradation des sols, pollutions…). La catastrophe naturelle constitue en effet l'un des motifs environnementaux qui précipite la décision de migrer. Elle s'ajoute aux problèmes socio-économiques déjà existants.

AE : Ces migrations vont-elles rester en majorité internes ou au contraire s'accentuer vers l'international ?

FG : La plupart des migrations environnementales se font généralement sur des distances limitées, ce qui rend ces flux peu visibles aux yeux du grand public et des médias. Les petits états insulaires menacés par la montée du niveau des eaux sont une exception : des flux migratoires internationaux s'opèrent déjà vers l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou l'Inde pour les Maldives. Ils sont dans des situations particulières car ils ont peu de possibilité de migrations en interne. Si demain leurs territoires devenaient inhabitables, ces migrations risqueraient de s'intensifier.

AE : L'ONU prévoyait 50 millions de réfugiés climatiques fin 2010. En 2050, ce nombre devrait augmenter et passer à 200 ou 250 millions, selon des estimations citées par le rapport de l'économiste Nicholas Stern. Que pensez-vous de ces estimations ?

FG : Il est impossible aujourd'hui d'avoir une estimation claire d'ici 2050. Ça peut être plus ou moins de migrants ! On ne sait pas si ce chiffre de 200-250 millions inclut les réfugiés cumulés ou concerne simplement de personnes déplacées en raison de crises environnementales. Ce chiffre fait la somme des régions à risques et déduit que toutes ces personnes vont sûrement migrer. Or, les migrations sont souvent une réponse possible, parmi d'autres, aux dégradations de l'environnement. Cela dépend d'un grand nombre de facteurs comme les modalités d'adaptation au changement climatique, les évolutions démographiques des régions vulnérables ou encore la capacité des personnes à pouvoir migrer. Aujourd'hui, on a encore du mal à attribuer un évènement de catastrophe naturelle au changement climatique, y compris la crise en Somalie. Ces prédictions sur les conséquences migratoires sont donc déterministes.

AE : A quelles estimations doit-on se fier ?

FG : Pour avoir davantage de certitude, il est nécessaire de relever le nombre de personnes déplacées chaque année par les catastrophes naturelles et de s'appuyer sur ces statistiques. En 2010, 40 millions de personnes ont été déplacées par des catastrophes naturelles. C'est un chiffre qui est globalement croissant et qui doit nous alerter. A titre de comparaison, il y a au moins 12 millions de réfugiés politiques dans le monde au sens de la Convention de Genève de 1951, et 16 millions si l'on compte les Palestiniens. On estime également qu'il y a au moins 25 millions de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays à cause de violences et conflits. Or, en additionnant les réfugiés politiques et les déplacés liés aux guerres, on arrive au nombre de personnes déplacées par les évènements extrêmes. Les catastrophes naturelles sont donc un facteur de déplacement au moins aussi important que les guerres et les persécutions politiques.

AE : Quels sont les pays soumis aux risques de migrations environnementales ?

FG : Parmi les pays 'potentiellement' les plus concernés par ces phénomènes migratoires figurent le Pakistan, le Bangladesh, l'Amérique centrale, plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et de l'Est et d'Asie du sud-est. La France n'est pas à l'abri : la tempête Xynthia survenue en février 2010 a engendré le déplacement d'habitants en Charente-Maritime et en Vendée, qui peuvent aussi être considérés comme des migrants environnementaux. Ces flux sont beaucoup plus importants dans les pays en développement ,mais les pays industrialisés ne sont pas non plus à l'abri de ce type de déplacements, liés essentiellement aux inondations. L'ouragan Katrina qui a frappé la Nouvelle-Orléans en Louisiane en 2005 a déplacé 1.200.000 personnes pendant plusieurs semaines et un tiers des habitants n'est jamais revenu dans la ville. Ce n'est donc pas un problème circonscrit aux pays en développement.

AE : La communauté internationale peut-elle accueillir les déplacés ?

FG : Non, en matière de migration, il n'y a quasiment aucun processus de gouvernance internationale ! C'est chacun pour soi. La question est traitée de manière nationale comme toutes les politiques liées à l'immigration. Cela dépend uniquement du bon vouloir des pays. Au cas par cas, selon les événements de catastrophes naturelles, certains pays assouplissent leur régime d'accueil et de délivrance de visas comme les Etats-Unis vis-à-vis des migrants venus d'Amérique centrale et déplacés par des ouragans ou des tremblements de terre. Mais globalement les possibilités d'accueil dans d'autres pays sont relativement limitées. Très souvent, les migrants ne sont pas les bienvenus. Les pays voisins sont eux-mêmes affectés par les problèmes environnementaux comparables ou plus ou moins importants, ou alors il ne veulent tout simplement pas de migrants. L'Arabie Saoudite, par exemple et pour revenir au cas de la Somalie, construit une barrière de sécurité pour éviter que la péninsule arabique ne soit envahie de migrants africains.

AE : Où en sont les politiques d'adaptation au changement climatique des pays vulnérables ?

FG : Traditionnellement, on a souvent considéré que les migrations étaient un signe d'échec des politiques d'adaptation. Mais depuis quelques années, on a reconnu que la migration peut être aussi considérée comme une stratégie d'adaptation climatique qui vise à sécuriser les revenus des déplacés en leur permettant de ne plus vivre dans les régions à risques. Cette stratégie d'adaptation a été reconnue lors de la conférence sur le climat de Cancun en 2010 via le Fonds vert qui prévoit que les politiques de migration et de déplacements de populations pourront être éligibles au titre du financement d'adaptation.

Mais jusqu'ici peu de pays ont essayé de coordonner leur politique migratoire avec leur politique d'adaptation : ce sont souvent deux politiques traitées indépendamment l'une de l'autre. Or, il y a urgence à coordonner ces domaines de l'action publique. La migration pourrait alors être un bien meilleur levier pour l'adaptation. Il y a eu néanmoins quelques initiatives prise au niveau international qui constituent des débuts encourageants. La Banque asiatique de développement mène en ce moment un projet qui vise à réconcilier ces deux politiques et stimuler une sorte de coopération régionale en Asie autour des ces questions.

AE : Peut-on à terme créer un statut juridique véritable aux migrants environnementaux ?

FG : Un statut juridique n'est pas, en soi, une solution suffisante. Il n'est pas pertinent ni nécessaire de réviser la convention internationale de Genève sur les réfugiés politiques ni celle sur l'apatridie de 1961 pour définir leur statut. Il faut par contre instituer une véritable protection. La plupart des migrants restent à l'intérieur de leur pays, un statut international serait donc relativement inopérant. Les migrations à l'étranger sont en effet souvent des migrations où les motifs environnementaux se mêlent aux motifs économiques. Je vois mal comment le migrant pourrait prouver qu'il a été déplacé à cause d'une crise environnementale et comment cela pourrait s'appliquer dans les faits. L'utilisation des corridors de migrations existants rendant difficile l'identification des migrants environnementaux : créer un statut reste une solution très partielle qui s'appliquerait à un faible nombre d'individus.

AE : Comment alors régler le problème des éco-réfugiés ?

FG : Il faut favoriser la coopération régionale et internationale sur ces questions y compris via des mécanismes juridiques qui peuvent prévoir des mécanismes d'entraide et de partage des flux de réfugiés. Cela permettrait aux migrants déplacés par des crises de l'environnement d'utiliser les corridors de migrations existants. Même si la question est souvent traitée dans le contexte du changement climatique, l'objectif serait d'aboutir à une solution plus large sur ce problème qui ne serait pas seulement limitée aux changements climatiques.

Réactions1 réaction à cet article

En ce qui concerne la Corne de l’Afrique la population à doublé durant les vingt dernières années à cause d'une trop forte croissance démographique.
Il est possible que sans cette augmentation de population il n'y aurait pas ou peu de gens touchés par la famine.
Il est temps que les chefs d'états prennent des décisions afin de limiter leur population en fonction des ressources que peut fournir leur territoire.
Nous sommes déjà 7 milliards sur une seule petite planète. C'est beaucoup trop: notre trop forte démographie est la cause du dérèglement climatique car plus nous sommes nombreux plus les besoins augmentent et plus la dégradation de l'environnement s'accentue.

René Varenge | 08 septembre 2011 à 16h59 Signaler un contenu inapproprié

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