
Porte-parole de Générations Futures
Actu-Environnement : Comment a débuté en France la mobilisation contre le gaz de schiste et les hydrocarbures non conventionnels ?
François Veillerette : Dans le Sud, la mobilisation est partie de quelques personnes rassemblées autour du journaliste Fabrice Nicolino et de José Bové. Les premières réunions ont rassemblé de trois à quatre cents personnes en décembre 2010 à Saint-Jean-du-Bruel (Aveyron), ce qui était déjà beaucoup pour le lieu.
En Picardie, où je vis, le même processus s'est mis en place avec les premières réunions en janvier et février. Evidemment, en Picardie il n'y a pas la même dynamique militante que sur le plateau du Larzac et cela a mis un peu plus de temps.
Ensuite, tout cela a fermenté et les collectifs locaux et régionaux se sont réunis, chacun allant voir ce que faisaient les autres. Tout cela a abouti très vite à une coordination nationale qui a tenu sa première réunion en février ou mars dans le Sud, puis une deuxième réunion à Doue en Seine-et-Marne.
AE : Quel rôle ont joué les grandes ONG écologistes dans ce processus ?
FV : Il y a eu une implication des ONG en deuxième rideau, mais pas forcément dès l'origine du mouvement qui est parti d'une base locale. Surtout, lorsque les grandes associations sont intervenues elles n'ont pas cherché à récupérer un mouvement qui est avant tout basé sur les citoyens.
AE : Cette implication locale fait-elle du gaz de schiste un problème spécifique ?
FV : C'est la perception locale qui explique le côté massif de la réaction. Les gens se sentent agressés dans leur vie de tous les jours et il y a toujours des personnes prêtes à se mobiliser contre les atteintes visibles portées à leur environnement immédiat.
Par ailleurs, les gens se sont sentis complètement bafoués et méprisés parce qu'il n'y a pas eu d'information. Les permis ont été accordés dans l'opacité la plus totale.
Enfin, un autre élément important est l'atteinte à l'eau associée à la fracturation hydraulique. Sur le plan symbolique, l'eau et sa qualité sont très importantes.
Cependant, la mobilisation évolue et l'on est bien loin d'une opposition locale sur le mode Nimby. Le slogan "ni ici, ni ailleurs" témoigne au contraire parfaitement de la volonté de porter l'opposition sur un front global.
AE : Comment s'exprime l'approche globale ?
FV : L'extraction des gaz de schiste est probablement avant tout un problème global, car elle ne peut être séparée de la consommation énergétique. Le gaz de schiste pose en particulier la question du recours sans fin aux énergies fossiles alors que se profilent les dérèglements climatiques.
Si cet aspect n'a pas mobilisé les foules dès le début, le débat est maintenant placé de façon très claire sur la question de la transition énergétique. Le dernier rassemblement en date, à Lézan (Gard) fin août, illustre parfaitement cela puisque les débats portaient sur la question de l'énergie en France mais aussi en Europe et dans le monde.
Le gaz de schiste, croisé avec l'accident dramatique de Fukushima, contribue à remettre la question énergétique sur le dessus du panier et pointe la nécessité d'un grand débat citoyen.
AE : Comment s'est effectuée cette transition vers la question énergétique au sens large ?
FV : C'est un aspect très intéressant de la mobilisation, puisque ce basculement, d'une mobilisation locale à un enjeu global, s'est effectué naturellement au sein des collectifs au fil des débats. Là encore, même si certains leaders ont joué un rôle, ce sont avant tout les citoyens qui ont été à la pointe.
Par ailleurs, on voit que la mobilisation n'est pas un feu de paille. C'est important parce que justement le passage à un débat global ne brise pas la dynamique.
AE : Pensez-vous que cette mobilisation puisse être un modèle pour d'autres luttes écologistes ?
FV : On peut discuter des heures des avantages et inconvénients des différentes méthodes de mobilisation. En l'occurrence je ne pense pas que la façon dont l'opposition à l'extraction des hydrocarbures non conventionnels s'est organisée puisse être appliquée à tous les sujets.
Sur les OGM, il y a à la fois une action collective de citoyens, avec les faucheurs volontaires, un débat politique et un travail de lobbying des ONG. S'agissant des polluants organiques persistants (POP), l'adoption de la convention de Stockholm est le fait d'un lobbying féroce des associations au niveau mondial pendant dix ans. Cette convention n'aurait jamais été adoptée sans les ONG qui ont porté le sujet jusque devant les Nations unies.
Tout dépend des dossiers. Dans certains cas, il est strictement impossible de mettre dans la rue 10.000 personnes. C'est par exemple le cas de certains sujets, comme les tests de produits chimiques, que nous portons avec Générations futures.
C'est parce que le gaz de schiste touche énormément de personnes dans leur quotidien que le sujet est unique et qu'une telle mobilisation est possible.
Marine Jobert et François Veillerette ont écrit le livre "Le vrai scandale des gaz de schiste" publié chez Les Liens qui Libèrent.