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L'exploitant avait initialement estimé le rejet en dehors de la cuve de rétention à environ 30 m3, présentant une concentration d'environ 12 grammes d'uranium naturel par litre. Mais selon les préfectures de la Drôme et du Vaucluse, un nouveau bilan a conduit à revoir l'estimation à la baisse. La quantité d'uranium rejetée dans l'environnement pendant l'opération de nettoyage de la cuve a été réévaluée à 18,7 m3 (contenant 12 g d'uranium par litre) soit 224 kg d'uranium naturel, explique les préfectures. La part d'uranium restée sur le site étant estimée à 150 kg, ce sont finalement 74 kg qui se sont écoulés jusqu'aux rivières de la Gaffière et du Lauzon, ajoutent-t-elles.
Dépêché sur place, l'Institut de Radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), explique que les premières actions ont consisté à isoler le réseau d'eaux pluviales sur le site et à réaliser un forage dans la nappe sous la zone de déversement pour réaliser des mesures localement. Une équipe d'intervention a également été envoyée sur le terrain pour réaliser des prélèvements et des mesures dans les cours d'eau et la nappe phréatique. Les premières mesures réalisées dans les eaux de surface par l'exploitant ont montré un dépassement de la valeur-guide préconisée par l'OMS pour les eaux destinées à la consommation humaine d'un facteur 1000 pendant une courte période correspondant au passage du pic de pollution, explique l'IRSN. L'Institut estime toutefois que les conséquences radiologiques pour les populations devraient être négligeables.
Malgré tout, les préfectures du Vaucluse et de la Drôme ont décrété des mesures de précaution : la consommation et l'usage de l'eau issue de captages privés, la pêche, la consommation de poissons et leur commercialisation, la baignade et les activités nautiques et l'irrigation sont interdits. Même si les dernières mesures font état d'une diminution de la concentration d'uranium dans les rivières proches par phénomène de dilution, les mesures ont été maintenues.
L'autorité de sûreté nucléaire (ASN) a provisoirement classé cet incident au niveau 1 de l'échelle INES qui en compte 8 (de 0 à 7). Elle a demandé par ailleurs à l'IRSN de procéder à des mesures indépendantes de l'exploitant et de déterminer les meilleurs moyens de surveillance complémentaires de l'activité de la nappe phréatique. L'exploitant doit quant à lui réaliser des mesures dans le lit de la Gaffière et du Lauzon afin de détecter d'éventuels dépôts d'uranium.
En attendant, l'ASN espère faire la lumière sur les circonstances de l'accident, inconnues pour l'instant. Car la polémique enfle un peu plus chaque jour concernant l'heure de la découverte de l'accident et les premières mesures de traitement. L'exploitant aurait découvert le déversement vers 23H00 alors que les préfets et l'ASN disent avoir été prévenus que le lendemain matin avant de mettre en œuvre les premières mesures vers 13h.
Pour les associations de protection de l'environnement, ces délais sont inacceptables : entre 23 h et 13 h, aucune restriction n'a donc été mise en place pour protéger les populations, affirme Yannick Rousselet, en charge de la campagne Énergie à Greenpeace France.
De son côté, la Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité (CRIIRAD) parle d'un nouveau dysfonctionnement grave sur le site nucléaire du Tricastin. L'association rappelle qu'aux termes de l'arrêté du 16 août 2005, l'exploitant ne doit pas rejeter sur un an, dans le canal de Donzère-Mondragon, plus de 71,7 MBq (mégabecquerels) en isotopes de l'uranium. Or, le rejet qui est survenu en début de semaine une activité totale en uranium de 9.200 MBq. La fuite qui s'est produite a donc conduit à un rejet dans l'environnement plus de 100 fois supérieur à la limite annuelle, estime la CRIIRAD.
L'association des Robins des Bois craint pour sa part que les effets de la dilution sur lesquels semblent se reposer les pouvoirs publics ne soient insuffisants et que les opérations de décontamination ne soient trop succinctes : la quantité globale déversée a transformé les sédiments, les algues et l'ensemble de la végétation aquatique et planctonique des cours d'eau adjacents en déchets faiblement radioactifs, explique-t-elle. Au fur et à mesure que la teneur en uranium de l'eau diminue, celle des sédiments augmente, ajoute-t-elle. L'association demande par conséquent que les limons et les végétaux en aval du point de rejet soient curés et extraits afin d'éviter la contamination à long terme de l'écosystème local et de ses chaînes alimentaires.
Pour l'instant il n'est pas encore question de traitement de la pollution. La question des responsabilités n'a pas non plus été évoquée même si le ministre de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement Durable et de l'Aménagement du territoire, Jean-Louis Borloo a prévenu que toutes les conclusions devront être tirées, notamment en termes d'éventuelles suites pénales et administratives.
Suite à une inspection réalisée hier sur le site, les inspecteurs de l'ASN ont donné leurs premières conclusions : ils confirment ainsi que les rejets ont cessé mais ils jugent que la mise en sécurité destinée à empêcher toute nouvelle pollution n'est pas complètement satisfaisante et que les conditions d'exploitation lors de l'incident présentaient des irrégularités par rapport aux dispositions réglementaires. L'autorité a donc décidé de suspendre l'arrivée d'effluents dans la station de traitement à l'origine de la pollution. L'ASN estime également que la gestion de la crise par l'exploitant a montré des lacunes en matière d'information des pouvoirs publics. Ces constats donneront lieu à l'établissement d'un procès-verbal qui sera transmis à M. le Procureur de la République, a expliqué l'ASN.