C'est en fin de semaine dernière qu'ont été détectées les premières traces de contamination radioactive. Elles ont d'abord été mesurées sur du lait et des épinards à proximité de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, puis dans l'eau courante jusqu'à Tokyo, et enfin dans de l'eau de mer prélevée à 100 mètres de la centrale accidentée. Une liste de produits contaminés qui ne cesse d'évoluer au fil des jours et qui comprend aujourd'hui 11 légumes en provenance des préfectures de Fukushima et d'Ibaraki (située entre Fukushima et Tokyo).
En conséquence, le gouvernement a interdit la vente des produits agricoles concernés. "Malheureusement, cette situation risque de durer longtemps, c'est pourquoi nous demandons leur interdiction dès maintenant" a indiqué, selon l'AFP, Yukio Edano, le porte-parole du gouvernement. Il s'est néanmoins montré rassurant et a expliqué que "même si ces aliments sont mangés de façon ponctuelle, il n'y a pas de risque pour la santé."
10% des rejets de Tchernobyl
Si le gouvernement japonais communique peu sur les rejets de radioactivité et l'étendue de la zone contaminée, différents organismes ont néanmoins tenté d'établir des estimations.
S'agissant de la zone contaminée, Peter Cordingley, porte-parole de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la région Pacifique Ouest a déclaré à Reuters que la situation est "bien plus grave que ce que n'importe qui pouvait envisager les premiers jours lorsque nous pensions que ce genre de problème pouvait être cantonné dans un rayon de 20 à 30 kilomètres." Cependant, faute de données officielles, il est difficile de confirmer les craintes de l'OMS.
En France, la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) indiquait le 21 mars que "la contamination de l'air à Tokyo est passée pour l'iode 131, de 0,1 Bq/m3 d'air le dimanche 20 mars sur la période 00h à 8h (16h à 0h00 Heure France) à 15,6 Bq/m3 le lundi 21 mars entre 8h et 10h", ajoutant que "les niveaux ont légèrement décru depuis : 8 Bq/m3 entre 14h et 16h (soit 6h-8h HF)."
Cependant, la Criirad juge que "les activités en iode radioactif sont sous-évaluées car les analyses portent sur des filtres à poussières qui ne retiennent que les aérosols" et elle précise que "les iodes radioactifs (iode 131, 132 et 133) sont principalement présents sous forme gazeuse." Et de conclure qu'"il est assez probable qu'il faille multiplier les activités par 10 pour avoir une meilleure appréciation du niveau de risque." De même, les mesures ne portent que sur quelques éléments radioactifs et la Commission appelle à diverses mesures de l'activité du tritium, des isotopes du ruthénium, du tellure, du strontium et des émetteurs alpha très radiotoxiques comme les plutoniums 238, 239 ou 240 ou encore l'américium 241. "Ces informations ne pourront pas être reconstituées", prévient la Criirad qui juge que "des mesures de l'activité volumique de l'air sont indispensables."
Du côté des organismes officiels, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a proposé une évaluation des rejets radioactifs survenus entre le 12 et 22 mars 2011. Selon les calculs de l'institut, la somme des éléments radioactifs émis dans l'atmosphère est "de l'ordre de 10 % des rejets estimés lors de l'accident de Tchernobyl." Des chiffres qui devraient croître jusqu'à ce que la situation soit totalement sous contrôle. À ce sujet, l'IRSN est particulièrement prudent et insiste sur le fait que son évaluation est "établie sur la base des informations disponibles" et en particulier sur "l'activité rejetée lors des opérations d'éventage des enceintes de confinement des réacteurs."
La gestion de l'après crise est l'objet de premières évaluations et l'AFP rapporte les propos d'André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire française (ASN), qui juge que les rejets radioactifs "sont d'ores et déjà importants [et il] faut donc s'attendre à ce que le Japon ait à gérer durablement les conséquences de rejets importants sur son territoire, c'est un problème que le Japon aura à traiter pendant des dizaines et des dizaines d'années." Des conséquences d'autant plus graves que "les dépôts de particules radioactives au sol seront importants", a précisé Jean-Luc Godet, directeur à la direction des rayonnements ionisants et de la santé à l'ASN. Pour l'instant, "les autorités japonaises n'ont pas établi, ou pas transmis de cartographie de ces dépôts, et il n'est pas illusoire de penser que cette zone [contaminée] s'étend au-delà de la zone des 20 km" a indiqué Jean-Luc Godet, précisant que "compte tenu de la météo, il est probable que des contaminations aient eu lieu au-delà, jusqu'à une centaine de kilomètres."
Le démantèlement de la centrale suspendu à l'état des réacteurs
Plus précisément, l'avenir de la centrale fait lui aussi l'objet de spéculations. Pour l'instant le porte-parole du gouvernement japonais, Yukio Edano, a simplement admis qu'"en considérant avec objectivité la situation, […] il semble évident que la centrale de Fukushima Daiichi n'est pas en état de fonctionner de nouveau", rapporte l'AFP.
À plus long terme, dans le meilleur des cas, c'est-à-dire si les enceintes de confinement sont encore étanches et si le refroidissement est rétabli rapidement, il faudra alors refroidir les différents combustibles avant de décontaminer le site. À Three Miles Island, il a fallu attendre six ans avant de retirer le combustible partiellement fondu du réacteur endommagé en mars 1979, rappelle Le Monde dans son édition du 22 mars.
Par contre, dans le pire des scénarios, si le refroidissement ne peut être rétabli et si certaines enceintes ne sont plus étanches, il faudrait alors envisager la construction d'un sarcophage similaire à celui de Tchernobyl. Une solution particulièrement délicate si l'on considère l'exemple ukrainien. En effet, la construction de la structure de protection "définitive", prévue pour être efficace pendant un siècle, s'annonce longue et complexe. Il s'agit de construire une arche de 105 mètres de haut, pesant 29.000 tonnes et dont le coût est estimé à 1,6 milliards d'euros.
L'exemple de Tchernobyl soulève indirectement la question du financement de la réparation des dommages causés par la catastrophe. Pour l'instant, personne ne se risque à une quelconque évaluation de la facture. Ainsi, dans son estimation du coût des destructions du séisme, allant de 140 à 218 milliards d'euros, le gouvernement japonais précise qu'il ne tient pas compte des impacts associés aux accidents en cascade sur la centrale de Fukushima.
Qui payera la note ? L'AFP révèle que la centrale n'était plus assurée depuis sept mois, l'exploitant jugeant la facture trop élevée. Un élément qui ne change cependant pas la situation puisque les cas de force majeure, tels que les séismes, sont généralement exclus de la couverture. De plus, la loi japonaise limite à un peu plus d'un milliard d'euros, le montant des indemnisations versées pour les dommages subis par les tiers. Si cette somme semble à la portée de Tepco, rien n'est fixé s'agissant des compensations au-delà de cette indemnisation légale.