En juin 2011, Wataru Iwata quitte Tokyo pour s'installer à Fukushima City où il fonde, le 1er juillet avec d'autres, le CRMS, Laboratoire citoyen de mesure de la radioactivité, avec le soutien technique de la CRIIRAD et de la German Society for Radiation Protection, et le soutien financier du Fonds pour les enfants de Fukushima et du magazine Days Japan. Le CRMS résulte du Projet 47. Celui-ci a été crée après la triple catastrophe du tremblement de terre, du tsunami, et de la fusion des réacteurs de la centrale de Fukushima-Daiichi, en référence aux quarante-sept départements du Japon, qui symbolisent l'autonomie de territoires face au gouvernement central. La jeune association réunit des fonds pour organiser l'évacuation des sinistrés et acheter des appareils de mesure de la radioactivité. Les habitants doivent pouvoir connaître la vérité, minorée ou occultée par les autorités, qui laissent les adultes à consommer des aliments contaminés. Les habitants sont désorientés, paniqués. Wataru Iwata veut les aider à ouvrir les yeux, leur faire comprendre que le désastre ne se limite pas aux conséquences du tremblement de terre, du raz-de-marée, que la radioactivité est là, qu'il faut partir.
Alerter et soutenir
En avril 2011, le petit groupe Projet 47 s'est élargi. Un programmeur met au point un système de saisie informatique des données. Des observateurs vont se rendre sur place avec des radiamètres et des compteurs Geiger, afin de prendre des mesures qu'ils pourront charger sur le site Internet de l'association. Le 23 avril 2011, le Projet 47 reçoit des appareils de mesure de la CRIIRAD. L'objectif est d'informer les habitants des zones irradiées de la province de Fukushima, afin qu'ils puissent décider en connaissance de cause de rester ou partir. Ils espèrent provoquer "l'auto-évacuation" : que les habitants concernés puissent prendre une décision personnelle éclairée par des données objectives, puisque l'Etat et les autorités compétentes filtrent les informations et minorent les impacts de la radioactivité.
De fait, le groupe Projet 47 mesure en mai 2011 60 millisieverts par an dans le village de Itate, à 39 kilomètres de la centrale. Sans compter les retombées des gaz radioactifs, qui n'ont fait l'objet d'aucune mesure par les autorités japonaises en 2011. D'après la CRIIRAD, les taux de rayonnement relevés fin mai en plein air, à un mètre du sol dans la ville de Fukushima étaient plus de dix, voire vingt fois supérieurs à la norme. Lors d'une conférence de presse conjointe à Paris le 29 mars, Wataru Iwata et la CRIIRAD décrivent "le déficit de radioprotection" qui perdure au Japon. Pour Bruno Chareyron, responsable du laboratoire de la CRIIRAD, l'évacuation sur un cercle de 20 kilomètres autour de la centrale de Fukushima-Daiichi n'a pas tenu compte des rejets. Pourtant, dès le 12 mars 2011, le gouvernement japonais pouvait s'appuyer sur la modélisation du logiciel SPEEDI développé par le ministère de l'environnement japonais. Ce cercle de 20 km ne recoupe pas davantage la carte du MEXT-DOE diffusée le 6 mai 2011 qui fait apparaître les retombées de césium 137 sur un trajet nord-ouest. Les autorités n'ont pas distribué de pastilles d'iode. Le contrôle des aliments n'est intervenu qu'à partir du 18 mars. Des épinards ont été mesurés à 54.000 becquerels par kilogramme (Bq/kg), des herbes, à Itate, à 2,5 millions de Bq/kg. "Pendant ce temps, le gouvernement japonais distillait des informations rassurantes", s'insurge Bruno Chareyron.
Banalisation des radiations
Dans certaines écoles, sous les balançoires, 370.000 Bq/kg ont été mesurés dans le sol. Soit un niveau de radiation qui, en France, susciterait un classement comme déchet de catégorie FA (Faible Activité) et un entreposage dans un site de l'ANDRA. Dans un bâtiment à Fukushima City, dans le quartier de Watari, le dosimètre affiche 600 à 700 coups par seconde. "La radioactivité s'élève quand on soulève l'appareil, elle atteint 1.100 coups par seconde, soit un taux de radiation pendant une réunion dix fois plus élevé que la normale. Mieux vaut être loin des fenêtres, car là, on atteint 1.400 coups par seconde", décrit Bruno Chareyron, qui s'est rendu sur place pour former le laboratoire CRMS. En temps normal, la norme est de un millisievert par an. Au Japon, après la catastrophe, elle a été fixée à 20 msv/an, soit la dose fixée pour les travailleurs du nucléaire.
Wataru Iwata s'inquiète de cette banalisation de la radioactivité, orchestrée par les autorités. Les chiffres de TEPCO évoluent de manière incohérente et "personne ne sait l'état des réacteurs". Le Dr Kawano, de la Japan Agency for Marine Earth Science and Technology estime que la quantité totale des substances radioactives rejetées dans l'océan est six fois plus élevée que celle fournie par l'opérateur TEPCO. Reste qu'un tiers de la préfecture de Fukushima est contaminé au césium 137 à plus de 37.000 Bq/m2. Avec ses neuf stations de contrôle réparties dans la préfecture de Fukushima et une à Tokyo, toutes administrées par des groupes de citoyens, le CRMS travaille avec et pour les habitants. Depuis juin 2011, il organise des consultations médicales. Le laboratoire CRMS s'est doté d'un Whole Body Counter qui mesure le niveau interne de l'irradiation. Des files d'attente se forment chaque jour. Au-delà du discours lénifiant des experts, comme le professeur Yamashita, pour qui les doses de 100 millisieverts par an ne présenteraient pas de danger pour la santé, le CRMS est en train de devenir un pôle de protection des citoyens et de suivi épidémiologique indépendant : "Etre victime, c'est rester passif et accepter les décisions prises par d'autres. Il faut que les gens cessent de se sentir des victimes", témoigne Wataru Iwata.