
Face à la contestation qui enflait autour de la multiplication des recherches exploratoires sur le gaz de schiste ces derniers temps en France, les ministres de l'Ecologie et de l'Industrie ont annoncé la semaine dernière le report des projets et le lancement d'une mission sur les gaz et huiles de schiste, confiée conjointement au Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET) et au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).
Quelques jours auparavant, le 20 janvier, le Président de la République, le Premier ministre, la ministre de l'Economie, la ministre de l'Ecologie, le ministre de l'Intérieur, le ministre chargé de l'Industrie et la ministre de l'Outre-mer signaient une ordonnance visant à ''moderniser et simplifier les dispositions applicables aux exploitations minières en veillant à leur intégration dans l'environnement et à l'association des parties prenantes dans l'attribution des titres miniers'', précisant que ''le nouveau code minier facilitera la valorisation des ressources du sous-sol français''. Le texte concerne notamment les hydrocarbures non conventionnels mais aussi le stockage de carbone ou l'exploitation des ressources sous-marines.
''Il y a une contradiction entre le discours et les actes'', dénonce Eric Delhaye, président délégué de Cap 21. La présidente de Cap 21, Corinne Lepage, a déposé le 14 février un recours devant le Conseil d'Etat contre cette ordonnance. Le texte est attaqué sur le fond et sur la forme : selon ce parti politique, l'ordonnance devait être soumise au Parlement pour ratification conformément à l'article 38 de la Constitution, ce qui n'a pas été le cas, mais il est surtout ''en parfaite contradiction avec les engagements internationaux de la France, ses engagements communautaires et ne respecte pas la charte de l'environnement adossée à la Constitution''.
Non-respect de la Charte de l'environnement, de la Convention d'Aarhus et du principe de précaution
L'ordonnance comporte deux parties : un projet de réforme du code minier d'ici le mois de juin et une partie législative qui le réactualise dès aujourd'hui. C'est sur cette deuxième partie que Cap 21 conteste les actes du gouvernement.
Eric Delhaye estime que l'ordonnance ''ne renforce pas le cadre de l'exploitation au contraire elle simplifie la vie des explorateurs'' et ''ne respecte pas la Charte de l'environnement, la convention d'Aarhus (droit à l'information du public) et le principe de précaution''. Et de lister les incohérences : les permis de recherche ne nécessitent pas d'enquête publique ou de concertation, le passage du permis de recherche à l'autorisation d'exploitation est facilité, les documents de prospection sont non communicables au public pendant vingt ans pour les hydrocarbures, les autorisations de recherche peuvent être renouvelées deux fois pour cinq ans (dix ans au total) sans mise en concurrence, les autorisations existantes avant 2014 ne nécessitent pas de garanties financières, absence de sanction en cas de dommages à l'environnement ou de non respect des autorisations administratives lors de l'exploration, facilités à entrer et à occuper le terrain d'autrui…
Sur le droit à l'information du public, de nombreuses voix se sont élevées ces derniers temps pour dénoncer une signature des permis de recherche en catimini par Jean-Louis Borloo avant son départ.
Sur le principe de précaution, Eric Delhaye rappelle que ''les techniques employées –par fracturation hydraulique- lors de la dernière phase d'exploration de gaz de schiste posent problème, aux Etats-Unis notamment. Des additifs chimiques sont utilisés, qui risquent de polluer les nappes phréatiques et plus largement l'environnement. On a pourtant appris que cette technique avait déjà été employée en France, notamment par la société Toreador''.
Position alambiquée du gouvernement ?
L'annonce de suspension des explorations ne constitue pas une grande avancée, selon Eric Delhaye : ''les industriels ont accepté de décaler certaines opérations jusqu'en avril ou juin mais dans les faits, ils sont en mesure de les lancer dès aujourd'hui. Ils ont toutes les autorisations pour''. Les opposants demandaient en effet un moratoire, dispositif écarté le 26 janvier dernier lors de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale par la ministre de l'Ecologie car ''le code minier ne le permet pas''.
''Quid de l'après ? s'interroge le président délégué de Cap 21. Sachant que le code minier facilite l'exploration, il est en totale contradiction avec les discours officiels actuels''. Sur le rapport commandé par les ministres, Eric Delhaye est tout autant réservé : ''les conseillers généraux sont composés d'ingénieurs des Mines, des Eaux et Forêts… Peut-on laisser l'expertise de ces sujets aux seuls grands corps de l'Etat ? Aux Etats-Unis, l'agence de protection de l'environnement (EPA) a également lancé une expertise sur le sujet pour 2012. C'est, contrairement à la France, un processus très transparent, très participatif''.
Selon lui, il ne faut pas être naïf au sujet du gaz de schiste en France : ''tous les joint-ventures, rachats ou mouvements de capitaux entre les firmes américaines qui détiennent la technique et les industriels français visent à se positionner sur le marché européen du gaz de schiste. D'autant que la Pologne a fait rajouter quelques mots récemment sur l'introduction des hydrocarbures non conventionnels dans le mix énergétique européen''. Lors du Conseil de l'UE, le 4 février dernier, les gaz non conventionnels ont en effet fait leur apparition dans le texte final : ''afin de renforcer la sécurité de l'approvisionnement de l'UE, il conviendrait d'évaluer le potentiel dont dispose l'Europe en matière d'extraction et d'utilisation durables de ressources en combustibles fossiles conventionnels et non conventionnels (gaz de schiste et schiste bitumineux)''. Les gaz non conventionnels, dont le gaz de schiste, permettrait à de nombreuses régions d'accroître leur indépendance énergétique. L'agence internationale de l'énergie (AIE) estime que les ressources en gaz non conventionnels mondiales égalent quasiment le niveau des gisements connus de gaz naturel conventionnel. Aux Etats-Unis, la vaste exploitation de ces gaz a permis de réduire ses importations de gaz.
Autant de signaux, pour Eric Delhaye, qui laissent la voie ouverte à l'exploitation de gaz de schiste à l'avenir…