Lors de l'émission des Paroles et des actes, sur France 2, le 24 janvier dernier, le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg s'est dit favorable à l'exploitation du gaz de houille qui, contrairement au gaz de schiste, serait "sans atteinte pour l'environnement" et permettrait à la France de gagner en compétitivité. La ministre de l'Ecologie Delphine Batho se voudrait plus prudente et aurait demandé "un état précis des connaissances sur le gaz de houille et les conséquences environnementales de son exploitation", selon un article du Monde du 28 janvier 2013.
Ce sujet est relancé en France depuis que la société European Gas Limited (EGL), qui dispose de plusieurs permis d'exploration en France, a estimé les réserves de gaz de houille en Lorraine à environ 371 milliards de m3 (Gm3), soit l'équivalent de neuf années de consommation de gaz en France. Après avoir réalisé les premières phases d'exploration, la société souhaite poursuivre par une campagne de forages. Elle a lancé un plan d'investissement de 33 millions d'euros pour financer le forage de cinq puits exploratoires. Soutenue par le Conseil régional lorrain, la société estime pouvoir exploiter, à terme, trente centres de production (12 Mm3 par jour, soit 12 % de la consommation moyenne journalière française), à un coût trois à quatre fois inférieur à celui du marché.
Gaz de houille, gaz de mine : plusieurs réalités
Le gaz de houille (en anglais coal mine methane, CMM) n'est pas une ressource nouvelle. Principalement constitué de méthane, il est généré par une roche-mère de type charbonneuse. Il peut être stocké dans les fractures de charbon ou adsorbé par le charbon lui-même. "Lors des premières exploitations du gaz dans des mines désaffectées, les explorateurs ont été surpris de produire une quantité très supérieure au volume des veines et des galeries, 60 fois plus en certains endroits ; ce gaz était donc accumulé ailleurs que dans l'espace libre, cet écart mettait clairement en évidence le rôle majeur de l'adsorption", explique l'Ifpen dans un état des lieux sur les hydrocarbures de roche-mère, daté du 22 janvier 2013.
La Russie (84 Tm3 de ressources estimées), la Chine (4 Tm3 de réserves estimées dont 200 Gm3 prouvées) et l'Australie (415 Gm3 de réserves prouvées) représentent certainement les plus gros gisements estimés.
En Chine, "le précédent plan quinquennal prévoyait une production de 5 Gm3/an, mais n'a été réalisé qu'à hauteur d'un quart. Le nouveau plan 2011- 2015 prévoit 5 Gm3/an en 2015 et 10 Gm3/an en 2020", indique l'Ifpen. En Australie, la production atteint 6 Gm3 et "une projection récente envisage une production annuelle de 70 Gm3 en 2030". L'Australie développe aussi des projets de liquéfaction du gaz de charbon.
Aux Etats-Unis, la production atteint 50 Gm3, soit 10% de la production américaine de gaz.
En Europe, la Grande-Bretagne a démarré l'exploitation du gaz de houille dans les années 80 (2,3 Tm3 de réserves estimées). Depuis 2009, le site de Doe Green produit de l'électricité avec du gaz de houille. L'Italie est dans une phase exploratoire (12 Gm3 estimés).
De même, lorsque le méthane est adsorbé par le charbon, "il faut, pour le libérer, diminuer les conditions de pression au sein de la roche. Cette dépressurisation s'effectue généralement en pompant l'eau interstitielle contenue dans les charbons. Dans un premier temps, on commence donc par produire de l'eau puis, au fur et à mesure de la chute de pression dans la veine, on produit de plus en plus de gaz. La gestion de la production d'eau est un point important de la rentabilité de ces puits", explique l'Ifpen.
Le pompage déjà pratiqué en France
Lorsqu'il est présent dans les galeries des anciennes mines, le gaz de houille doit être pompé. "Le méthane accumulé dans les mines de charbon (« grisou ») peut être récupéré avec un double intérêt de commercialisation et de diminution de la contamination atmosphérique", note le rapport du Conseil scientifique régional d'Ile-de-France sur les hydrocarbures non conventionnels. En effet, le méthane est un puissant gaz à effet de serre qui s'échappe régulièrement des anciennes mines.
Cette technique éviterait également les "coups de grisou". "En réalisant de petits forages en avant du front de taille, on peut désormais produire et valoriser ce méthane et réduire les risques d'explosion. L'Australie, qui utilise cette technique de façon massive, a fortement diminué les accidents dans ses mines", indique l'Ifpen.
En France, le gaz de mine est actuellement exploité par l'entreprise Gazonor (qui a été rachetée en 2008 par EGL) dans l'ancien bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. "C'est le seul gaz non conventionnel actuellement en production", souligne l'Ifpen. La collecte de ce gaz a été démarrée à la fin de l'exploitation de ce bassin minier : "Après la fermeture des mines, la nappe phréatique a lentement remonté, poussant les émanations de grisou vers la surface et l'atmosphère. La collecte du grisou permet donc de réduire l'effet de serre tout en valorisant le méthane produit".
En 2010, la production de gaz de mine sur ce bassin aurait atteint 76 millions de mètres cubes. Les réserves prouvées s'élèveraient à plus de 800 Mm3 (10 Gm3 pour le méthane "désorbable").
Le gaz de houille peut également être collecté dans les couches de charbon inexploitées. Ce gaz "peut être produit par l'intermédiaire de simples forages verticaux quand la fracturation naturelle est suffisante pour obtenir un débit significatif de méthane. Dans le cas contraire, il faut stimuler la roche par fracturation hydraulique", expliquait un rapport parlementaire en mai 2011, au moment des débats sur l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels.
Quelle technique envisagée en Lorraine ?
En Lorraine, EGL a démarré ses travaux exploratoires en 2006, afin de "quantifier les volumes de gaz stockés dans les charbons se trouvant dans le sous-sol, volumes qui pourraient être commercialement exploitables dans le futur si certaines conditions géologiques et économiques [étaient] confirmées", indiquait la société en septembre 2011 dans son rapport sur les modalités d'exploration du permis Bleue Lorraine nord.
D'après les connaissances développées sur le sous-sol lorrain, le charbon y serait naturellement fracturé, ce qui permettrait au gaz de migrer naturellement, et éviterait toute fracturation hydraulique.
Le rapport, demandé par les autorités françaises, détaille les techniques envisagées : "La présence espérée de veines de charbon ayant une étendue latérale importante, une épaisseur conséquente, ainsi qu'un contenu en gaz substantiel favoriserait l'utilisation d'une technologie d'extraction qui est maintenant mature et dont l'efficacité a été démontré dans des situations analogues à celles probablement présentes dans le permis de Bleue Lorraine Nord, nommément le forage de puits horizontaux à branches multiples".
Cette technique permettrait d'accéder aux fracturations naturelles, sur une longueur proche d'un kilomètre. Elle est déjà utilisée par la société sur le permis Bleue Lorraine pour le puits Folschviller-2, qui représenterait "le premier essai de forage horizontal ciblant des veines de charbon" en France, indique EGL.
Sur ce puits, la production en surface d'eau contenue dans les charbons a été analysée en laboratoire, indique la société, "démontrant que c'est une eau propre compatible avec l'environnement et se prêtant dans le futur à de possibles utilisations industrielles".