Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rendu son verdict au sujet des permis d'exploration d'hydrocarbures abrogés par l'Etat en 2011. En s'appuyant sur la loi du 13 juillet interdisant la fracturation hydraulique, le gouvernement avait décidé d'abroger trois permis d'exploration de gaz de schiste : les permis de Nant (12) et Villeneuve-de-Berg (07), détenus par la société américaine Schuepbach, et le permis de Montélimar (07), délivré au groupe Total. Ces trois dossiers étaient les seuls, selon le ministère de l'Ecologie, à prévoir la mise en œuvre de la technique tant décriée.
Une loi valable donc applicable
Le recours déposé en 2012 par le texan aura finalement mis trois ans pour être traité. Il faut dire qu'il a soulevé de nombreuses questions juridiques qui ont du être éclaircies par le Conseil constitutionnel lui même en 2013. Dans le cadre de cette affaire, les Sages ont été amenés à se prononcer sur la légalité de la loi interdisant la fracturation hydraulique de juillet 2011. Ils ont balayé les arguments de la société Schuepbach en estimant que ni l'égalité devant la loi, ni la liberté d'entreprendre n'étaient bafouées par cette loi. Pas plus que le droit de propriété.
Le tribunal de Cergy-Pontoise s'est appuyé sur cette analyse pour rendre son verdict. Il a constaté, dans le rapport soumis par la société texane, la référence "non équivoque" à l'emploi de la technique de fracturation hydraulique. Sachant que la loi interdit formellement cette pratique, l'Etat était dans son droit en abrogeant les permis. Surtout que la loi prévoit explicitement l'abrogation : "Si les titulaires des permis n'ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés", peut-on lire dans l'article 3. CQFD.
Le tribunal doit encore se prononcer sur la question de l'indemnisation. Schuepbach Energy demande à l'Etat 1,17 millions d'euros au titre des investissements engagés dans ces permis. La société attend également l'analyse du tribunal concernant la décision de l'Etat de refuser ses permis d'exploration de Brignoles et Lyon-Annecy.
L'incertitude plane sur le dossier Total
Egalement concernée par une abrogation pour son permis de Montélimar, la société Total a présenté un recours devant le tribunal administratif de Paris. L'affaire suit son cours. Prochaine étape : la présentation des conclusions du rapporteur public lors de l'audience du 8 janvier. "Dans ce dossier, la situation est moins claire", s'inquiète Paul Reynard, l'un des porte-parole du collectif 07 Stop gaz de schiste. En effet, contrairement à la société Schuepbach Energy, Total n'a pas explicitement fait mention de l'utilisation de la fracturation hydraulique mais a choisi une tournure sujette à interprétation.
Dans son rapport remis au ministère de l'Ecologie, le groupe indiquait que ''les techniques utilisées pour ces tests de production seront fonction des caractéristiques du (ou des) réservoir identifié et des techniques qui seront alors disponibles et autorisées par la loi''. Une réponse qui laissait entendre que la fracturation hydraulique, interdite par la loi, ne serait pas utilisée. Le ministère ne l'a pas compris comme ça : ''Dans les deux rapports de Schuepbach était explicitement mentionné le projet d'utiliser la fracturation hydraulique. [Dans le rapport de Total] ce n'était pas le cas, [mais] j'ai fait valoir l'argument que ce rapport n'était pas crédible. (…) Total déclare vouloir maintenant chercher des hydrocarbures classiques, donc non gaz de schiste, dans une zone où le potentiel est très limité et alors même que Total se désintéresse de la recherche du conventionnel sur le territoire terrestre français depuis des années", avait expliqué à l'époque Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l'Ecologie.
Les autres permis relancés ou abrogés ?
"Si la décision du tribunal va dans le sens de l'Etat, ce sera une grande victoire, anticipe Paul Reynard. Nous aurons ainsi de quoi faire pression sur l'Etat pour abroger d'autres permis". Le collectif a dans son collimateur les 61 autres permis d'exploration qui ont été suspendus mais non abrogés en 2011. "Dans leur rapport, les sociétés ont garanti qu'elles n'utiliseraient pas la fracturation hydraulique alors que certaines demandes initiales de permis y faisaient référence", précise M. Reynard qui attend donc avec impatience la décision sur le dossier Total.
Surtout qu'en février dernier le ministère de l'Ecologie a prolongé "exceptionnellement" l'un des permis suspendu en 2011 (le permis de Saint-Just-en-Brie en Seine-et-Marne) au profit de la société Vermilion. Motif invoqué par le demandeur ? Le report des travaux dus aux "évènements de l'année 2011 [qui] ont créé un contexte défavorable pour les activités pétrolières, en particulier pour la réalisation de travaux d'exploration". Ce pourrait être le début d'une longue série, à moins que le dossier Total ne bouleverse la donne.