Il faut permettre aux énergo-intensifs européens d'accéder à une énergie à un coût raisonnable afin de préserver leur compétitivité face à leurs concurrents nord-américains qui bénéficient de l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Telle est en substance la conclusion du rapport d'information relatif à l'impact économique de l'exploitation des hydrocarbures de schiste aux Etats-Unis présenté, ce mercredi 30 avril, en commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale par Fréderic Barbier, député PS du Doubs.
Pour le député, l'exploitation du gaz de schiste européen ne serait pas en mesure de modifier la situation en faveur des gros consommateurs européens de gaz, étant donnée la rentabilité inférieure attendue des gisements européens.
Vers un âge d'or de la pétrochimie américaine ?
La "révolution" du gaz de schiste, et plus généralement des hydrocarbures non conventionnels, est une réalité aux Etats-Unis. Le gaz de schiste représente aujourd'hui 35% de la production américaine de gaz et les Etats-Unis sont devenus depuis 2010 le premier producteur mondial de la précieuse molécule. Du côté du pétrole, entre 2008 et 2013, la production américaine a bondi de 50%, passant de 5 à 7,4 millions de barils par jour (Mb/j), dont 3 Mb/j d'huile de schiste en 2013.
Par ailleurs, "quels que soit les scénarios, il s'agit d'un phénomène durable", estime Fréderic Barbier, qui considère que "les Etats-Unis deviendront exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL) à partir de 2016 et stabiliseront leurs importations de pétrole jusqu'en 2030".
Conséquence, en 2013, le prix du gaz était de 3,7 dollars par million de British thermal unit ($/Mbtu) aux Etats-Unis, contre 10 à 12 $/Mbtu en Europe et 16 $Mbtu en Asie. Les consommateurs américains ont ainsi obtenu "un rabais de 30%" sur leurs factures de gaz entre 2005 et 2012 et les industriels "disposent des prix du gaz les plus bas du monde" à 10 euros du mégawatheure (MWh), soit l'équivalent des tarifs russes.
Autant de facteurs qui conduisent le parlementaire à prédire "un âge d'or de la pétrochimie nord-américaine". En effet, la production de gaz de schiste permet aussi d'extraire des liquides de gaz naturels, des produits utilisés en pétrochimie pour la production d'éthane, un produit de base en concurrence avec le naphta pour produire de l'éthylène. La chute des cours de l'éthane aux Etats-Unis associée à la hausse du cours du naphta (indexé sur le prix du baril de pétrole) a rendu particulièrement compétitif les vapocraqueurs américains fonctionnant à l'éthane. Quelque 90 milliards de dollars devraient être investis dans de nouvelles capacités de production d'ici 2016.
Protéger "à tout prix" les énergo-intensifs
Du côté européen, les conséquences de cette "révolution" sont négatives : fermeture de centrales au gaz sous l'effet, entre autres, de la concurrence des centrales à charbon alimentées en charbon américain exporté à bas prix, mise en danger de l'industrie pétrochimique européenne, basée à 75% sur l'usage du naphta, et peu d'espoir de voir les surplus de gaz américain alimenter le marché européen, les prix asiatiques étant plus attractifs.
"L'Europe est la grande perdante" de cette révolution, juge Frédéric Barbier, qui estime qu'"on s'est interdit le gaz de schiste, mais on récupère le charbon américain et les émissions de CO2". Comment améliorer la situation européenne dans ce contexte ? Trois leviers sont envisagés.
Tout d'abord, il serait possible d'exploiter les hydrocarbures non conventionnels européens. Mais la rentabilité est aléatoire, puisque nous ne connaissons pas le potentiel du sous-sol. Faut-il donc explorer le sous-sol européen ? Prudent, le député dit s'en tenir à la position de François Hollande, tout en indiquant qu'"à titre personnel [il n'a] jamais été contre la recherche". Et d'ajouter que "si on veut être tranquille et serein, on peut confier la recherche à une structure publique". Néanmoins, compte tenu d'un coût de production en Europe évalué à 8 ou 9 $/Mbtu par les experts auditionnés, le député juge que "les effets attendus sur les prix, les recettes fiscales et les emplois seraient faibles".
Une autre option envisagée par Frédéric Barbier est une réforme du marché carbone européen permettant de relever les prix pour atteindre environ 30 euros par tonne de CO2. La mesure permettrait de relancer les centrales au gaz européennes actuellement sous cocon, soit environ 50 gigawatts de capacité à l'échelle de l'Union européenne, au détriment des centrales au charbon. Mais ce qui est avantageux pour les électriciens utilisant du gaz serait négatif pour les industriels gros consommateurs d'énergie...
Enfin, le dernier levier, qui a clairement les faveurs du député, est "de permettre, à tout prix, aux énergo-intensifs d'accéder à une énergie à coût compétitif". Pour cela, il suggère de jouer sur les trois composantes de la facture. Il envisage tout d'abord un tarif préférentiel d'accès au réseau électrique pour les consommateurs de forte puissance. La deuxième possibilité serait de donner aux électro-intensifs un accès prioritaire à l'électricité nucléaire et hydraulique et d'assurer un approvisionnement stable en gaz pour les gazo-intensifs. Enfin, la dernière option serait de "tirer partie des nouvelles lignes directrices énoncées par la Commission européenne sur les exonérations de contribution au service public de l'électricité (CSPE) applicable aux électro-intensifs, et d'étudier la possibilité d'affecter à ces derniers la taxe locale sur la consommation finale d'électricité (TCCFE)". Autant de mesures que le député aimerait voir reprises dans la future loi de transition énergétique.