"Le gaz de schiste est devenu un sujet tabou. Ce dossier a été diabolisé en France. Nous devons pourtant rejoindre le peloton de tête des pays qui font des recherches sur le sujet", estime le sénateur Jean-Claude Lenoir (UMP, Orne). Ce dernier est l'auteur, avec Christian Bataille (député SRC, Nord), du rapport sur les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour explorer et exploiter les hydrocarbures non conventionnels, adopté le 26 novembre par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), à 19 voix contre deux (Denis Baupin et Corinne Bouchoux, tous deux EELV, cf. vidéo).
Ce rapport passe en revue les différentes techniques alternatives à la fracturation hydraulique, mais revient également sur cette dernière technique. "La fracturation hydraulique est la technique mondialement utilisée. Les autres techniques sont marginales. Par conséquent, nous considérons que l'interdiction de la fracturation hydraulique est un blocage clair de la principale technique d'exploration et d'exploitation pour laquelle, comme nous le montrons dans le rapport, les impacts environnementaux sont maîtrisables", indique Christian Bataille.
Les deux élus demandent donc, outre le respect de la loi de 2011 (mise en place de la commission d'évaluation des techniques de recherche et d'un programme d'expérimentations scientifiques), l'abrogation de la circulaire du 21 septembre 2012 qui va plus loin que la loi en interdisant tous travaux de recherche recourant à la fracturation hydraulique. Ils sont en effet favorables au lancement de forages expérimentaux, avec ou sans fracturation hydraulique, notamment en Seine-et-Marne, "où de tels forages ont déjà été réalisés avant l'adoption de la loi". Pour le Sud-Est, les élus se montrent plus prudents et estiment qu'une meilleure connaissance du sous-sol est nécessaire avant tous travaux.
Enfin, ils souhaitent la poursuite "sans tarder de l'exploration puis de l'exploitation du gaz de houille si sa production sans fracturation hydraulique se révèle viable". Comme ils le soulignaient déjà dans leur rapport d'étape publié en juin, les principaux gisements, qui se trouvent en Lorraine et dans le Nord-Pas-de-Calais, pourraient représenter dix années de consommation de gaz en France. Leur extraction ne nécessiterait pas de recours à la fracturation hydraulique.
Une piste : la stimulation par propane non inflammable
"Il n'existe pas de technique miraculeuse", reconnait Jean-Claude Lenoir. Les parlementaires ont néanmoins recensé différentes techniques qui ont "des effets positifs sur l'environnement" puisqu'elles ont un moindre impact sur la ressource en eau et qu'elles sont sans additifs, principaux reproches faits à la fracturation hydraulique.
Actuellement, est expérimentée en laboratoire la fracturation par arc électrique (notamment par Total), par procédé thermique ou encore pneumatique (injection d'air, notamment d'hélium).
Mais les deux techniques qui ont réellement attiré l'attention des deux élus sont celle de stimulation à partir de gaz liquéfié ou gélifié (azote ou CO2) ou encore de fluides alternatifs, comme le propane.
"La stimulation au propane n'est pas une technique récente puisqu'elle est utilisée par l'industrie depuis une cinquantaine d'années, notamment pour réactiver des puits conventionnels", indique Jean-Claude Lenoir. Ses avantages selon lui : peu d'additifs et aucun biocide.
Le recours à du propane non inflammable, "utilisé pour éteindre les feux et dans le domaine médical", permettrait de réduire les risques en surface. De plus, ce produit pourrait être développé par Solvay en France…
"D'autres méthodes sont en cours de développement. Nous avons pu mesurer la rapidité avec laquelle la recherche progresse et les résultats qu'elle peut obtenir. Malheureusement, elle se développe partout dans le monde, sauf en France et en Bulgarie", souligne ironiquement le député de l'Orne.
L'alternative ? La fracturation hydraulique !
Et selon lui, la recherche progresse aussi sur la fracturation hydraulique, "qui est en constante amélioration". De ce fait, alors qu'ils avaient été mandatés pour plancher sur les alternatives à la fracturation hydraulique, les deux parlementaires y consacrent plus de pages qu'aux autres techniques (50 contre 35 pour l'ensemble des autres techniques) !
"La fracturation hydraulique reste la technique la plus efficace et la mieux maîtrisée", estiment les parlementaires, ajoutant que "des solutions existent [pour parvenir] à un impact acceptable sur l'environnement". Ce qui n'a pas manqué de faire réagir Jean-Paul Chanteguet (SRC, Indre), président de la commission Développement durable de l'Assemblée nationale. "Cette conviction se révèle, au fil de la lecture du rapport, relever de l'acte de foi et non de la moindre preuve scientifique", écrit-il dans un communiqué.
En 2010, la société Vermilion a également procédé à deux fracturations sur le site de Champotran (Seine-et-Marne), à la recherche d'huile de roche mère. Le bassin parisien fait d'ailleurs l'objet actuellement de 39 demandes de permis de recherche. Dont sept permis controversés, pour lesquels la société Hess Oil a fait une demande de mutation.
Un cadre juridique dérogatoire
Il faudrait pour cela que la réglementation prévoie transparence et concertation, que le choix des sites de forage soit optimisé, que les puits soient contrôlés pendant et après l'exploitation, qu'une liste établisse les additifs autorisés, que les fuites de méthane soient traquées et que le nombre de puits soit limité (regroupés en "pads") afin de limiter l'impact sur les paysages. Un cadre juridique dérogatoire à la loi de 2011 pourrait être mis en place, pour encadrer ces "exceptions", autorisées pour une durée temporaire et sous le contrôle des autorités compétentes.
Les parlementaires préconisent également la création d'un programme de recherches sur la fracturation hydraulique et sur les techniques alternatives, pouvant "inclure des expérimentations dans un ou plusieurs puits tests, destinées à valider des techniques de stimulation améliorées".
Pour limiter l'opposition à ces expérimentations, les élus recommandent la mise en place d'un dispositif de participation du public mais aussi la création d'un "intérêt local à l'exploitation des ressources du sous-sol", autrement dit faire bénéficier collectivités et propriétaires concernés des retombées financières de ces explorations… Des mécanismes fiscaux spécifiques pourraient également être mis en place afin de "faire financer partiellement la transition énergétique par les éventuelles retombées financières des hydrocarbures non conventionnels".