
Conseiller Energie à l'Institut français des relations internationales (Ifri)
Actu-Environnement : Le prix du baril de pétrole est repassé en dessous de 80$… Qu'est-ce qui explique ce phénomène ?
Cécile Maisonneuve : Depuis le mois de juin, le prix du baril de pétrole a chuté de près de 30%. Cette baisse est liée à un excès de l'offre et un affaiblissement de la demande. Les Etats-Unis produisent toujours plus de pétrole de schiste. S'ils ne l'exportent pas, cela les conduit à en importer beaucoup moins. On aurait pu s'attendre à ce que les pays de l'Opep compensent cette moindre demande par une baisse de leur propre production mais, pour l'instant, ils n'en font rien. L'Arabie saoudite a même augmenté sa production au cours du troisième trimestre.
Parallèlement, la demande baisse. En Europe, depuis la crise de 2008, la consommation de pétrole est en chute continue. Mais ce qui est nouveau, c'est que la croissance de la demande fléchit également dans les pays émergents, notamment en Chine.
AE : Est-ce que cette situation va perdurer ?
CM : Selon les projections, la demande devrait rester atone en 2015. Ce qui pourrait changer les choses, c'est que l'Opep revoie ses quotas.Il y a un véritable débat interne, un certain nombre de membres de l'Opep le demandent. Tout dépend de la capacité des pays à équilibrer leur budget en fonction du prix du baril.
Mais les Saoudiens, dont le rôle est prédominant, ne souhaitent pas réduire leur production. L'Arabie saoudite veut conserver ses parts de marché, sécuriser la demande. Il existe par ailleurs un certain nombre de supputations sur les raisons extra-énergétiques de cette baisse du prix du pétrole. De fait, cette situation affaiblit un certain nombre de pays : la Russie couvre ses coûts budgétaires avec un baril à 114$, chiffre plus élevé encore pour l'Iran et le Vénézuela. L'Arabie saoudite et les Etats-Unis notamment trouvent un intérêt géopolitique dans cet affaiblissement. Enfin, le prix actuel du baril permet tout juste, voire remet en cause la rentabilité du gaz et pétrole de schiste américain.AE : Ce prix bas risque-t-il d'avoir un effet sur les stratégies énergétiques des pays consommateurs, et notamment sur l'Europe ?
CM : Pour l'Union européenne, cette baisse a un double effet, positif et négatif. Tout d'abord, elle va permettre d'alléger la facture énergétique, qui se compte en centaines de milliards d'euros - 66 milliards pour la France en 2013… Outre la facture pétrolière, la facture gazière pourrait aussi être tirée à la baisse avec les contrats gaziers indexés sur les prix du pétrole.
En revanche, alors que globalement l'Europe a fait le pari d'une stratégie de l'énergie chère pour faire évoluer son mix de production vers des énergies bas carbone, la question se pose de la soutenabilité de cette ligne dans la situation actuelle. Si cette baisse est durable, faudra-t-il revoir le rythme d'évolution des mix énergétiques ? Cette situation demande un volontarisme beaucoup plus fort et une capacité des politiques à faire de la pédagogie : comment expliquer que le coût de l'énergie augmente alors que le prix du baril de pétrole baisse ?
AE : Certains observateurs pensent qu'à un an du sommet mondial sur le climat, un prix bas du pétrole peut infléchir les ambitions…
CM : Il est évident qu'un certain nombre de grands producteurs d'hydrocarbures n'a objectivement pas intérêt à une réussite des négociations sur le climat. C'est le cas de l'Australie, qui a accepté avec réticence de voir figurer le sujet climatique dans le communiqué final du récent sommet du G20, de la Russie, du Canada, des pétromonarchies… Certes, il y a une dynamique négative pour la négociation climatique avec la baisse du prix du pétrole, mais il y a également une dynamique positive avec l'accord récent signé entre la Chine et les Etats-Unis. Ce sont les deux plus gros émetteurs de gaz à effet de serre et ils ont à leur disposition sur leurs territoires des énergies fossiles à foison. Malgré tout, ils affichent une détermination à aller de l'avant. Il faut saluer ce volontarisme et l'accompagner.
La Chine n'a pas le choix : ce n'est pour elle pas une question de changement climatique en 2050 mais une condition de croissance et de bien-être. Ses grandes villes deviennent invivables. Pour les Chinois, c'est un sujet de court et moyen terme.
AE : La mise en place d'un signal prix sur le carbone est-elle indispensable dans un contexte de chute des prix des énergies fossiles ?
CM : Si le charbon se développe en Europe, ce n'est pas seulement parce qu'il y en a beaucoup sur le marché, c'est surtout parce que le marché carbone ne fonctionne pas. Il faut un signal prix clair pour les investisseurs dans les technologies bas carbone. La Chine a mis en place plusieurs marchés carbone. Aux Etats-Unis, des initiatives se mettent en place à l'échelle des Etats ou des villes.