Robots
Cookies

Préférences Cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site. Certains sont essentiels, d'autres nous aident à améliorer le service rendu.
En savoir plus  ›
Actu-Environnement

Gestion quantitative de l'eau : les points de blocages qu'il reste à dépasser

De la question des retenues à celle de la vocation de l'agriculture, les débats restent vifs entre les ministères de l'Écologie et de l'Agriculture. Une vision partagée devrait pourtant être rapidement établie, estime une mission interministérielle.

Eau  |    |  D. Laperche
Gestion quantitative de l'eau : les points de blocages qu'il reste à dépasser

Dans un contexte de changement climatique, la question de la gestion de l'eau divise les ministères de la Transition écologique et de l'Agriculture.

Une doctrine partagée pourrait pourtant contribuer à l'apaisement des tensions sur le terrain, selon le rapport « Changement climatique, eau, agriculture : quelles trajectoires d'ici 2050 (1)  ? ». « La capacité à faire aboutir des accords à l'échelle des territoires de gestion - bassins versants - nécessite qu'une meilleure cohérence soit affichée et perçue dans les politiques des deux ministères sur l'enjeu de l'eau », soulignent ainsi les corédacteurs, le Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Leur ambition ? Proposer une vision partagée des relations entre l'agriculture et l'eau à l'horizon 2050, dans le contexte du changement climatique.

Mais, au sein même de la mission, certains sujets continuent d'alimenter le débat. « La mission a permis de rapprocher les points de vue en son sein sur de nombreux sujets. Sur cinq points, des divergences demeurent », indiquent les deux corédacteurs.

Premier point sur lequel le CGAAER et le CGEDD n'ont pas pu s'entendre : l'utilisation de nouvelles technologies, comme celles de mutagénèse aléatoire, considérées aujourd'hui comme des techniques de modifications génétiques et donc normalement interdites. « Le progrès génétique constitue un important levier d'adaptation, afin de produire du matériel végétal plus résistant à la sècheresse, aux ravageurs, aux maladies et à des conditions évolutives de climat et de milieu », estime le CGAER. Les NBT [New breeding technologies – nouvelles technologies de production] (…) doivent pouvoir être testées et utilisées dans un cadre réglementaire adapté ». Pour le CGEDD, celles-ci relèvent de la réglementation relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM) et doivent rester interdites.

Quelle maîtrise d'ouvrage pour les retenues multi-usages ?

Le désaccord n'a pas pu être dépassé non plus sur la question de l'intervention de l'État en matière de maîtrise d'ouvrage pour les retenues structurantes multi-usages. Alors que le CGAAER considère que cela pourrait pallier les difficultés de portage et de maîtrise d'ouvrage pour des ouvrages comme les retenues multi-usages ou transferts d'eau, le CGEDD estime, dans l'esprit des vagues de décentralisation, que ce sont aux usages ou aux établissements publics locaux de s'emparer du sujet. « L'existence de vocations à but économique parmi les usages dévolus à ces ouvrages, comme c'est le cas de l'irrigation, de l'hydroélectricité ou de l'AEP (2) , rend illégitime leur portage par l'État, qui pourrait être taxé d'entrave à la libre concurrence, argumente ce dernier.

Les sept grandes recommandations de la mission

Outre l'élaboration d'un discours commun sur le sujet de l'eau et l'agriculture, entre les ministères de l'Agriculture et de la Transition écologique, la mission a établi six autres recommandations. Elle propose ainsi :

1 – L'accélération de la transformation de l'agriculture en mobilisant une pluralité de solutions techniques, en particulier l'agroécologie et l'évolution des filières agricoles.
2 - Faire des sols le socle de la stratégie d'adaptation de l'agriculture au changement climatique. 3 - Concevoir et mettre en place une irrigation « de résilience » plus économe en eau.
4 - Renforcer la ressource en eau pour l'agriculture de manière acceptable pour les milieux, notamment par des financements incitatifs et un accompagnement adapté prioritairement par les retenues de substitution, les démarches de gestion collective de l'eau PTGE, la réutilisation des eaux usées traitées….
5 – Dynamiser la gestion territoriale de l'eau en renforçant l'efficacité des projets de territoire pour la gestion de l'eau et en élargissant l'implication des collectivités dans ce domaine.
6 – Renforcer les liens entre recherche, agriculture innovante et les filières, et refonder le développement agricole pour réussir la massification de la transformation agricole.
Envisager une maîtrise d'ouvrage par les agences de l'eau est à proscrire : cela dévoierait complètement le rôle d'incitation financière qu'elles jouent depuis de nombreuses années de manière extrêmement précieuse. Par ailleurs, l'État maître d'ouvrage ne pourrait bien-sûr pas bénéficier de financements des agences de l'eau ni des régions et des fonds européens qu'elles gèrent ».

Le suivi des petits hydrauliques individuels en question

Autre sujet sensible : la question des petits hydrauliques individuels comme les retenues collinaires et les forages. Pour le CGEDD, une évolution réglementaire est nécessaire. Les seuils (3) fixés aujourd'hui conduisent à ce que de nombreux ouvrages d'irrigation individuels soient autorisés sans autorisation formelle et donc sans étude de leurs impacts. « La faiblesse des moyens des services en charge de la police de l'eau rend utopique le contrôle de la mise en œuvre de ces prescriptions techniques générales », indique-t-il. Il appelle à fixer pour les forages une obligation de déclaration de réalisation de travaux par l'entreprise de forage et à abaisser les seuils qui séparent les régimes de déclaration à autorisation de 200 000 à 100 000 m3/an.

« Pour ce qui concerne les retenues (déconnectées), un abaissement du seuil séparant les régimes de déclaration et d'autorisation de 3 ha à 1 ha permettrait de soumettre un nombre accru de projets à une étude d'évaluation environnementale de nature à faire mieux prendre en compte les points de vigilance que sont la sécurité des digues d'une hauteur importante (par exemple 5 m), la préservation de la qualité des milieux naturels potentiellement impactés (amonts de bassins versants), l'analyse hydrologique permettant d'assurer le remplissage en contexte de changement climatique, l'analyse du risque de colmatage de la retenue par les sédiments... », souligne le CGEDD. A l'inverse, le CGAAER avance que l'accès à l'eau pour l'agriculture est déjà complexe et fortement réglementé.

Enfin, les deux Conseils s'opposent sur la question de la vocation nationale ou internationale de l'agriculture française. « La crise du Covid a fait ressortir l'importance comme la nécessité d'une part plus grande d'autonomie ; en particulier pour les produits courants de consommation, de plus en plus importés alors même qu'ils pourraient être produits chez nous, note le CGAER. Mais, cette sécurité est en partie assurée par les échanges internationaux qui, dans une économie mondialisée, resteront incontournables pour la fourniture ou la sécurisation de l'approvisionnement de certaines produits agricoles et alimentaires ».

Pour le CGEDD en revanche, il n'est pas recevable que la préoccupation d'équilibrer une balance nationale des échanges en développant des productions irriguées prime sur la préservation du bon fonctionnement des milieux aquatiques et le renouvellement de la ressource en eau.

Lancer des travaux interministériels de rapprochement…

La mission propose quatre orientation de travail pour améliorer la situation. Tout d'abord, elle souhaite que soit lancé un groupe de travail permanent, placé sous l'autorité des deux ministres, pour établir les éléments de doctrine partagés et assurer un suivi du couple eau-agriculture.

Elle préconise également de mettre en place à l'échelle nationale un réseau d'observatoires de l'agriculture et du changement climatique. L'idée ? Capitaliser les bonnes pratiques, faire connaître les impacts du changement climatique sur les exploitations et les filières agricoles mais également tracer des trajectoires de transition de l'agriculture à différentes échelles territoriales. Ce réseau pourrait également s'appuyer sur les observatoires régionaux existants et les travaux d'élaboration des Sdage et de leurs programmes de mesures. Il pourrait servir au pilotage et au suivi de la politique partagée MAA-MTES sur l'eau en agriculture.

Selon la mission, ces éléments de doctrine partagés devront également bénéficier d'une communication « volontariste », par exemple à travers des guides pratiques à destination des acteurs des différents secteurs.

Enfin, la mission préconise l'élaboration par le ministère de l'Agriculture d'une feuille de route sur l'adaptation de l'agriculture au changement climatique, notamment dans le domaine de l'eau. « Le MAA doit, dans ce cadre et en cohérence avec les éléments de doctrine partagés a établir avec le MTES, qui pilote la politique de l'eau, construire et mettre en œuvre une logique d'intervention relative à la mobilisation de l'eau en agriculture pour promouvoir des scénarios gagnant-gagnant (déploiement de l'agroécologie, intégrant une ambitieuse politique des sols, nouvelles filières plus économes en eau/sécurisation de la ressource dans une optique de développement durable) », précisent les deux corédacteurs.

…avec des arbitrages gouvernementaux nécessaires

Pour certains sujets, la mission estime que des arbitrages gouvernementaux seront nécessaires. C'est le cas pour différents indicateurs de gestion de l'eau : débits d'objectifs d'étiage, débits de crise, débits réservés au droit des ouvrages, mais également concernant les volumes des prélèvements autorisés, gérés par les organismes uniques de gestion collective.

« L'État aura à dire, après avoir précisé ses intentions pour les rivières françaises (compensation de la baisse des débits ou non-intervention) dans quelle mesure et de quelle manière les prochains Sdage et décisions administratives devront en tenir compte », note la mission. Autre arbitrage sensible : les enjeux liés au renouvellement des concessions d'État. « A l'occasion du renouvellement de ces concessions, les usages hydroélectriques et agricoles (entre autres usages) risquent d'être concurrents, la période de pointe de l'irrigation n'étant pas celle de la consommation de courant, alerte la mission. Si ces éléments ne sont pas considérés attentivement, il y a un risque que les ressources mixtes soient détournées de l'irrigation, (…) l'hydro-électricité constituant un mode direct de valorisation beaucoup plus avantageux du seul point de vue financier de l'État et des exploitants des concessions, entreprises n'ayant a priori pas d'intérêt agricole ». Pour la mission, l'État devra également se positionner, en relation avec les collectivités territoriales et les acteurs de l'eau, sur la question de la mise en œuvre ou non d'ouvrages de résorption des déficits hydrologiques chroniques ainsi que sur le portage et le financement.

Enfin, la mission rappelle la nécessité d'une voie à tracer entre l'injonction de zéro émission nette de gaz à effet de serre à l'horizon 2050, notamment grâce aux productions agricoles et forestières, et celle d'une sobriété accrue en eau.

Quel que soit le chemin du rapprochement entre les ministères, ce dernier devra être court, selon la mission. « Cette initiative commune doit être engagée rapidement, car les tensions sur l'eau s'accroissent et les délais sont importants pour la mise en place de l'agroécologie, de la production de ses effets sur l'eau et les sols, et pour le montage des opérations de renforcement de la ressource », rappelle-t-elle.

1. Télécharger le rapport Changement climatique, eau, agriculture : quelles trajectoires d'ici 2050 ?
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-36778-cgaer-cgedd-gestion-eau-changement-climatique-doctrine-partagee.pdf
2. Alimentation en eau potable3. Hors ZRE, le régime de la déclaration au titre de la loi sur l'eau s'applique pour la réalisation des forages avec un prélèvement de moins de 200 000 m3/an et pour les retenues (rubrique 3.2.3.0 loi sur l'eau, hors lit mineur des cours d'eau) d'une superficie de plan d'eau de moins de 3 ha.

Réactions2 réactions à cet article

quid de la gestion qualitative de l'eau ? en 1990 le plan saumon 2000 sur la Vire a échoué : 9 micro centrales entre St Lo et Ponfarcy ont empêché toute remontée.

babucologne | 24 décembre 2020 à 12h04 Signaler un contenu inapproprié

Une telle problématique ne pourra avancer qu'avec une forte volonté politique de protection de la ressource en eau tant superficielle que souterraine ET sans aucune pression d'une quelconque fédération professionnelle ou autre ... Une gestion raisonnable de l'eau lors de l'irrigation en période estivale pourrait etre mise en place au lieu d'arroser en pleine canicule les céréales diverses et variées (modifier les pratiques d'irrigation serait déja un premier pas au lieu de pomper sans mesure dans les nappes)

EHB | 07 janvier 2021 à 17h40 Signaler un contenu inapproprié

Réagissez ou posez une question à la journaliste Dorothée Laperche

Les réactions aux articles sont réservées aux lecteurs :
- titulaires d'un abonnement (Abonnez-vous)
- inscrits à la newsletter (Inscrivez-vous)
1500 caractères maximum
Je veux retrouver mon mot de passe
Tous les champs sont obligatoires

Partager

Votre conseil juridique en matière de biodiversité et d'espèces protégées Cabinet Valentin Renoux - Avocat