Analyses contradictoires, appels à la justice… Après la publication par l'association Campagne Glyphosate, dans la revue Environmental Science and Pollution Research, en janvier dernier, des résultats de ses dépistages de l'herbicide dans les urines de milliers de volontaires, les agriculteurs contre-attaquent. « Campagne Glyphosate ment avec de faux tests, accusaient la FRSEA de Bretagne et la FNSEA du Val-de-Loire, lors d'une conférence de presse, le 19 janvier dernier. C'est la tentative de trop ! »
Principales critiques émises par les syndicats d'exploitants vis-à-vis de l'association : l'utilisation de la méthodologie de détection Elisa, jugée beaucoup trop sensible, ainsi que le non-respect du protocole du fabricant de tests. Les agriculteurs accusent ainsi les « pisseurs volontaires » de présenter un bilan faussé, soit 99,8 % de participants positifs, et leur opposent leur propre résultat – 20 % –, issu de tests croisés Elisa-chromatologie sur 73 de leurs pairs.
Des débats à géométrie variable
Non seulement la controverse n'est pas nouvelle – elle s'est déjà produite au printemps 2021, presque à l'identique –, mais elle risque de reprendre de plus belle dans les prochains mois, alors que les autorités européennes étudient le renouvellement de l'autorisation de l'herbicide, pour cinq ans, d'ici à la fin 2022.
Ces polémiques autour du glyphosate existent même depuis des années, confirme François Allard-Huver, chercheur au Centre de recherche sur les médiations (Crem) spécialiste des débats autour des systèmes d'évaluation et de gestion des risques. « D'abord, elles ont porté sur sa dangerosité. Mais, depuis qu'il a été classé comme cancérigène probable par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), elles se sont déplacées sur le terrain des risques liés à l'exposition. » Sans issue pour le moment.
Directrice de l'équipe Epicene (Epidémiologie du cancer et expositions environnementales) de l'Inserm, Isabelle Baldi se montre sceptique quant à l'intérêt de la démarche : « Les mesures ponctuelles sans connaissance du contexte ont du mal à produire des informations utilisables, car on n'a pas d'éclairage sur ce qui fait varier les valeurs : état physiologique de la personne, âge, sexe, alimentation… Par ailleurs, la très grande majorité des pesticides sont éliminés de notre corps en quelques jours, et donc de notre sang et de nos urines. Ils ne sont plus mesurables ensuite. » Or, ce sont les expositions survenues il y a cinq, dix ou trente ans, voire plus, qui intéressent la chercheuse. « Si vous ne mesurez pas le pesticide au moment pertinent, cela n'apporte aucune aide pour comprendre son lien avec la maladie. »
Des paramétrages d'études compliqués
Lorsque l'on compare et met en relation des études de cohorte, il est possible de faire ressortir des liens entre une exposition globale aux pesticides et certaines maladies‚ avec un niveau de confiance très élevé, analyse ainsi Jean-Noël Jouzel, sociologue et directeur de recherche au CNRS, dans un article publié sur le site de l'institut de recherche, en novembre dernier. « Mais si on change de focale et que nous nous intéressons à des substances spécifiques, le niveau de preuve diminue et les controverses rejaillissent immédiatement. C'est ce qui s'est passé pour le glyphosate. »
Les experts reconnus et disponibles sur le marché pour mener de telles recherches sont, par ailleurs, peu nombreux, s'exposant au risque de se retrouver, lors des appels à candidatures, à la fois sélectionneurs et… candidats. C'est la mésaventure vécue par l'Anses, en 2019, pour des études toxicologiques sur le glyphosate. L'agence a dû renoncer au projet.
Une controverse chasse l'autre
Mais pour André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé, la question n'est plus vraiment là : « Viser la certitude absolue pour agir n'est pas la bonne méthode. L'expérience de l'amiante montre qu'en attendant cinquante ou soixante ans, on se retrouve avec 100 000 morts. Mieux vaut surestimer un risque que l'inverse et agir à partir du moment où la probabilité est forte. »
Chaque controverse en alimente ainsi une autre – ou plusieurs – réveillant les anciennes polémiques : à différents niveaux, sur les méthodes d'évaluation comme sur les instances qui en sont chargées. « Le glyphosate, c'est la mise en abyme des controverses qui mélangent les enjeux et les acteurs, dont ceux qui n'ont pas intérêt au retrait de la molécule », constate François Allard-Huver.
Mais, la substance est surtout le symbole de l'ensemble des pesticides. Pas forcément la plus dangereuse d'un point de vue toxicologique, mais la plus décriée et la plus sulfureuse. « Si celui-là tombe, la méfiance et le rejet peuvent s'étendre aux autres produits issus de la pétrochimie, voire à l'agriculture industrielle dans son ensemble », observe François Allard-Huver.
Car en filigrane, ce sont aussi deux visions de l'agriculture, et même du monde, qui s'affrontent. « Ce ne sont pas les fabricants qui s'opposent aux citoyens antiglyphosates, mais bel et bien les agriculteurs en leur nom propre », note François Allard-Huver. Il n'est pas certain que les tergiversations d'Emmanuel Macron, regrettant de « ne pas avoir réussi sur le glyphosate », avant d'appeler l'Union européenne à porter le sujet, apaise les tensions.