Après deux ans de controverse autour du caractère cancérogène de l'herbicide glyphosate, les 28 Etats membres de l'Union européenne, réunis en comité d'appel, se sont finalement accordés pour renouveler la substance pour cinq années supplémentaires. Pour la huitième fois en deux ans, les Etats se réunissaient. Cet ultime comité d'appel, présidé par la Commission européenne, a représenté les pays à un niveau politique supérieur par rapport aux experts du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux. La Commission devait être soutenue par 16 pays sur 28, représentant 65% de la population de l'UE, pour obtenir la majorité qualifiée et entériner sa proposition de renouvellement pour cinq ans, remise sur la table lors de ce comité.
L'Allemagne fait basculer le vote
Neuf pays s'y sont opposés : l'Autriche, la Belgique, Chypre, la Croatie, la France, la Grèce, l'Italie, le Luxembourg et Malte. Un pays s'est abstenu à savoir le Portugal, contrairement au vote des experts, le 9 novembre dernier.
L'Allemagne, qui s'était abstenue précédemment, a voté pour, après avoir demandé des modifications au texte proposé. Elle a demandé d'ajouter dans le texte que les Etats "portent une attention particulière" afin de protéger les utilisateurs non professionnels et d'évaluer l'impact du glyphosate sur la biodiversité. Le soutien de l'Allemagne, un poids lourd démographique de l'UE, a donc fait basculer le vote en faveur de la ré-homologation de la substance. La Pologne, la Roumanie et la Bulgarie, qui s'étaient aussi abstenues le 9 novembre, ont également voté ce lundi pour sa ré-autorisation.
Le texte, adopté par les Etats, prévoit un renouvellement du glyphosate, du 16 décembre 2017 jusqu'au 15 décembre 2022, assorti de conditions. Les Etats membres doivent ainsi veiller à ce que les produits phytopharmaceutiques à base de glyphosate autorisés ne contiennent pas le coformulant POE-tallowamine. Ils doivent également prêter une attention particulière à ce que les utilisations en période de pré-récolte soient conformes aux "bonnes pratiques agricoles." Le texte ne prévoit pas d'interdiction immédiate pour les usages non professionnels, ni d'interdiction totale du glyphosate à l'issue des cinq ans, contrairement aux préconisations du Parlement européen. Les Etats doivent aussi veiller à prendre des mesures pour "minimiser les risques" dans les parcs et les jardins publics, les terrains scolaires et les terrains de jeux pour enfants, ainsi qu'à proximité immédiate des établissements de soins.
"Le vote d'aujourd'hui montre que quand nous voulons, nous pouvons partager et accepter notre responsabilité collective dans la prise de décision", s'est félicité le commissaire européen à la Santé Vytenis Andriukaitis. L'expiration de l'autorisation du glyphosate intervenant ce 15 décembre, ce vote des Etats était décisif. Car faute d'accord des pays à la majorité qualifiée, la Commission aurait été dans l'obligation légale de trancher avant cette échéance. "Rien n'interdit à la Commission de prolonger à nouveau sa période d'approbation par un troisième règlement d'exécution", avait expliqué Elodie Simon, avocate du Cabinet Jones Day, à Actu-Environnement.
La France veut interdire le glyphosate au plus tard dans trois ans
"Peu importe l'issue du vote aujourd'hui sur le glyphosate, la France est déterminée à sortir de l'utilisation de cette substance en moins de 5 ans", a réitéré, sur twitter, Brune Poirson, la secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot. "Désormais, il s'agit bel et bien, dans un cadre harmonisé, de changer de modèle agricole, d'organiser les alternatives techniques. De nombreuses solutions existent, d'autres sont à améliorer, certaines encore à imaginer. Il faudra accompagner techniquement et économiquement les agriculteurs et mobiliser des moyens financiers publics et privés additionnels dans le cadre du plan d'investissement", a-t-elle expliqué dimanche dans l'hebdomadaire JDD. Cinq milliards d'euros d'investissement pour la transition agricole sont prévus sur le quinquennat.
A l'issue du vote, sur twitter, le Président Emmanuel Macron a affirmé "avoir demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l'utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées et au plus tard dans trois ans".
Le ministre belge de l'Agriculture Denis Ducarme a toutefois déploré qu'aucune disposition ne mettant en place "un 'phasing out' du glyphosate ni aucun budget pour financer des alternatives n'aient été prévus", selon l'agence Belga.
Les eurodéputés socio-démocrates français Eric Andrieu et belge Marc Tarabella ont décrié ce vote des Etats. "Ce renouvellement n'est en aucun cas une sortie du glyphosate comme l'exigeait notre Parlement européen. En prenant en compte la réglementation européenne sur les pesticides, on est reparti pour 8 ans minimum de glyphosate !". Les deux parlementaires réclament la mise en place d'une commission d'enquête au Parlement dans le but d'améliorer le processus d'autorisation des pesticides dans l'UE. Le principe de précaution "est foulé aux pieds. Bayer et Monsanto ont réussi à tordre le bras à Mme Merkel. C'est la victoire du business sur la science", a aussi regretté le député européen écologiste José Bové.
Les organisations Générations Futures, Foodwatch et la Ligue contre le cancer ont également fustigé "ce nouveau sursis accordé à Monsanto" tout en se félicitant de l'opposition maintenue par la France. "Le gouvernement doit maintenant mener le pays vers une sortie du glyphosate, en accompagnant les agriculteurs, comme il s'y est engagé et ce, indépendamment du verdict de la Commission européenne", ont-elles déclaré.
De son côté, le premier syndicat agricole français FNSEA déplore que la France "ne se soit pas ralliée [au compromis européen voté] et ait choisi de faire bande à part". Les agriculteurs "reçoivent la position [d'Emmanuel Macron] comme un reniement", fustige également la FNSEA, en dénonçant des "risques de distorsion".
Le syndicat agricole Confédération paysanne, quant à lui, demande le retrait "le plus rapidement possible" du glyphosate, assorti des mesures économiques et commerciales."Nous réaffirmons que les alternatives techniques existent mais conditionner chaque annonce sur les pesticides à une approche exclusivement technique est insuffisante. Pour sortir des pesticides, il faut avant tout oser affronter la logique de compétition sur les prix à laquelle les paysan (ne.s) doivent faire face pour obtenir un revenu".Et d'ajouter : "Si une clause de sauvegarde a été une option nécessaire sur le diméthoate [pour faire obstacle à l'entrée de cerises traitées sur le marché français], qu'elle en soit une pour le glyphosate".
Même si le renouvellement du glyphosate est désormais acté, les Etats pourront délivrer ou refuser des autorisations de mise sur le marché national au profit de produits fabriqués à partir du glyphosate. Ce type d'interdiction "pourrait faire l'objet de recours notamment par les agriculteurs qui pourraient invoquer des coûts supérieurs subis par rapport aux pays voisins qui continueraient à utiliser les produits à base de glyphosate", avait souligné l'avocate Elodie Simon.