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Gratification du geste de tri : les acteurs de la collecte face à de nouveaux modèles

Les applis de gratification du geste de tri entendent renouveler le rapport des citoyens aux déchets. Pour l'instant très marginale, cette ubérisation de la collecte soulève d'importants enjeux pour les acteurs traditionnels des déchets.

Déchets  |    |  P. Collet
Gratification du geste de tri : les acteurs de la collecte face à de nouveaux modèles
Actu-Environnement le Mensuel N°433
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°433
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L'achat de matière à recycler existe de longue date. C'est même une base de l'activité de tri : acquérir des déchets à moindre coût (idéalement nul, voire négatif), pour les trier et revendre la matière recyclable à des industriels. Traditionnellement, ces transactions s'effectuaient entre professionnels. Mais depuis quelques années, des start-up s'adressent directement aux citoyens grâce à la numérisation. Pour l'instant, les modèles économiques sont encore très variés, mais nombreux sont ceux qui considèrent qu'un champion va émerger et s'imposer. Chacun espérant devenir ce vainqueur.

Déjà, ces nouvelles applications, souvent présentées comme une ubérisation du geste de tri, interrogent un modèle économique bien établi. De nombreux sujets sont soulevés : écrémage des flux (en visant souvent des matières à forte valeur) ; éviction d'acteurs historiques ; fidélisation des consommateurs ; comptabilisation des flux recyclés ; ou encore raccourcissement de la chaîne de valeur du tri et rôle des éco-organismes.

Fidéliser des clients et acquérir de la matière

Le point le plus structurant concerne le rôle des enseignes partenaires qui, dans la plupart des cas, financent les applis pour un service d'acquisition et/ou de fidélisation des clients. La gratification, essentiellement sous forme de remises ou de bons d'achat, est comparable à une stratégie promotionnelle assez classique : le commerçant prend en charge la remise et l'application le met en relation avec une clientèle ciblée. Redonner, par exemple, joue sur l'affinité, en permettant à des marques de textile « engagées » de se faire connaître de consommateurs sensibilisés au geste de tri. De même, les enseignes partenaires de l'appli Wetri, attirent à elles des clients qui achètent le produit de remplacement (la gratification étant une réduction offerte sur ce produit neuf).

“ Étendre cette approche risque de faire imploser le système ” Un représentant d'un éco-organisme
Bien sûr, le collecteur de déchets y trouve aussi son compte. La collecte des bouteilles en polyéthylène téréphtalate (PET) via des automates en est l'exemple type. Ici, il devient possible de capter directement auprès des citoyens la résine recyclable la plus recherchée actuellement, soit pour la revendre (dans la majorité des cas), soit pour la réincorporer directement dans de nouvelles bouteilles. Ainsi, Cristaline (groupe Alma) alimente directement en PET son usine de recyclage de Lesquin (Nord) grâce à un réseau d'automates. Ce modèle contourne les intermédiaires entre le bac jaune et l'usine de recyclage de PET (les opérateurs de collecte et de tri et les collectivités, essentiellement).

L'accès à la matière (que ce soit pour le réemploi ou le recyclage) est aussi un enjeu pour certains partenaires de l'appli Wetri. Pour l'instant, la question est secondaire, mais « l'enjeu "matière" va prendre du poids par rapport à l'enjeu "communication" de l'appli », anticipe Arnaud Louiset, cofondateur de Wetri. Preuve que le sujet est important, certaines collectivités réfléchissent avec Terradona à une adaptation au PET de Cliiink, son dispositif de collecte gratifiée du verre.

Améliorer les performances et réduire les coûts

Terradona, justement, propose de soutenir une collecte déjà en place en greffant son dispositif Cliiink au bac jaune. Les collectivités voient ainsi progresser le taux de collecte du verre (+ 20 % en moyenne, selon Terradona) et baisser le coût d'élimination des déchets résiduels et la TGAP associée. Et c'est sur ces économies que les collectivités rémunèrent Terradona. Le choix du verre s'explique par son caractère pondéreux qui permet de dégager une économie rapide sur une facture basée directement sur le poids des déchets éliminés. Autre cas de figure : l'appli Redonner accroît pour sa part la collecte de Refashion, mais cette fois-ci sans que l'éco-organisme participe activement au projet. Mais ce bénéfice, sans contrepartie, est loin d'être une règle générale.

Quant au service de « reprise par le don » de Geev, il joue sur la réduction de la contrainte supportée par l'enseigne partenaire, censée reprendre un déchet. Plutôt que d'assurer son obligation de reprise du mobilier ancien pour l'achat d'un équipement neuf (la reprise « 1 pour 1 »), elle préfère que le client le donne. La valeur d'usage de ce meuble rend possible le don, et cela d'autant plus facilement que Geev assure que la demande est bien souvent supérieure au nombre de produits donnés. Ici, l'appli est financée grâce à l'économie réalisée par l'enseigne qui n'a pas à gérer la reprise (économie de stockage et de logistique). Un service susceptible d'intéresser tous les acteurs confrontés à une difficile gestion de l'obligation de reprise en magasin.

Des acteurs attentifs

Bien sûr, les acteurs traditionnels de la gestion des déchets suivent avec intérêt l'arrivée de ces applications. Au premier rang des intéressés figurent les collectivités, qui s'alarment de la concurrence des automates de collecte des bouteilles en PET. En effet, chaque tonne détournée du bac jaune représente près de 1 000 euros de manque à gagner pour elles (perte des soutiens à la collecte versés par Citeo et des recettes matière liées à la vente du PET). Pour le Cercle national du recyclage (CNR), les automates proposent surtout de « démutualiser » un bénéfice : pour chaque bouteille gratifiée de 1 à 2 centimes, la collectivité perd 3 centimes. « Cela revient à augmenter les impôts de tous, au profit de quelques-uns », regrette le CNR. Sans compter que la chaîne de collecte et de tri est contournée puisqu'en séparant les bouteilles des emballages le citoyen « fait le ripeur ».

Bien sûr, les éco-organismes sont, eux aussi, directement concernés, car les produits repris sont souvent couverts par des filières de responsabilité élargie du producteur (REP). Pour l'instant, les jeunes pousses et les éco-organismes se connaissent et échangent, mais collaborent peu. Du côté des start-up, les éventuels soutiens que pourraient verser les éco-organismes sont jugés très faibles. Pour les éco-organismes, les volumes gérés par ces entreprises restent trop faibles. Surtout, pour l'essentiel, les applis bénéficient déjà aux éco-organismes dans la mesure ou les déchets sont repris ou orientés vers des acteurs avec lesquels ils sont en relation (reprise « 1 pour 1 », acteurs de l'ESS, etc.). Pour autant, de part et d'autre, des risques et des opportunités ont été identifiés.

Les éco-organismes inquiets

Surtout, la gratification du geste de tri inquiète les éco-organismes. Étendre cette approche « risque de faire imploser le système », se soucie le représentant d'un éco-organisme, rappelant que le système a été construit à partir d'un geste de tri désintéressé. Et de noter que le sujet arrive vingt ans après le lancement des filières, ce qui pose un problème. D'ailleurs, l'adoption de la loi Agec a déjà donné lieu à quelques réflexions à ce propos. Il a notamment été envisagé le versement d'une « prime au retour » pour les voitures hors d'usage (VHU) afin de concurrencer la filière illégale qui, elle, rachète les voitures en fin de vie (un tiers du gisement européen échapperait ainsi aux centres VHU agréés). Finalement, la loi se contente d'évoquer les primes au retour comme une simple possibilité pour les téléphones portables et les piles et accumulateurs.

Autre sujet suivi : le réemploi, qui détourne les meilleurs produits de la collecte classique. Refashion (REP textile) estime que la revente-réemploi ne fait que retarder le geste de tri. Mais en même temps, l'éco-organisme de la REP textiles déplore que, depuis une dizaine d'années, les meilleures pièces se raréfient dans les bacs de collecte. Cette tendance interroge, au moment où les pouvoirs publics lui fixent des objectifs de réemploi en France et en Europe (la fast fashion participe aussi à cette dégradation de la qualité des textiles collectés).

Le sujet pourrait devenir d'autant plus complexe que le réemploi existe bel et bien grâce aux applis, mais n'est pas forcément comptabilisé dans l'atteinte des objectifs règlementaires de Refashion. C'est d'ailleurs, ce que met en avant Mökki : son service de conciergerie génère une collecte supplémentaire en s'adressant à des personnes qui n'ont pas le temps de donner via le réseau de collecte classique.

Une limite au tri désintéressé

Plus généralement, les entreprises interrogées sont convaincues que leur appli permettra de relancer la collecte, le geste de tri désintéressé atteignant une limite. Elles savent aussi très bien que la collecte est devenue un enjeu structurant pour les éco-organismes depuis que la loi Agec prévoit de sanctionner financièrement ceux qui n'atteignent pas leurs objectifs. Parallèlement, Wetri souligne l'avantage de la collecte gratifiée, même faiblement. L'appli explique en particulier avoir des trieurs très assidus qui, chaque mois, convertissent leurs points en quelques euros. Et de noter qu'avec l'inflation, la conversion en chèque des points a le vent en poupe.

Problème : les gratifications proposées par les applis « sont hors de propos » par rapport aux soutiens que peuvent verser les éco-organismes pour soutenir leur collecte, explique Corepile, un des deux éco-organismes concernés par l'éventuelle prime au retour des piles proposé par la loi Agec. Avec une prime d'un centime par pile, et à raison de dix piles par an et par foyer l'incitation serait trop faible, explique-t-il.

Alors, plutôt que de contribuer à la gratification, les éco-organismes préfèrent déployer leur propre dispositif. Ainsi, Ecosystem collecte des smartphones usagés via son offre « Je donne mon portable » et fournit gratuitement ceux qui sont réemployables aux acteurs de l'ESS. En contrepartie, ces derniers lui font remonter des informations sur l'ensemble des produits qu'ils reconditionnent et contribuent ainsi à l'atteinte de son objectif (2 % de réemploi). Si la REP DEEE a pris de l'avance, c'est que dès son lancement elle a été confrontée à la concurrence d'autres acteurs, les DEEE ayant toujours eu une valeur d'usage ou une valeur marchande.

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