
Maître de conférence à l'Ecole polytechnique
Actu-Environnement : La fiscalité environnementale française est-elle trop faible et inefficace ?
Guillaume Sainteny : Cela dépend du point de vue que l'on adopte. Si l'on prend des indicateurs fréquemment utilisés comme le poids des écotaxes dans le PIB ou les prélèvements obligatoires, la France se situe, respectivement, au 24ème et au dernier rang sur les 28 pays européens. Ce type de ratio montre, certes, que la fiscalité française est peu "verdie" et qu'il y a de la marge en la matière, comme ne cessent de nous le répéter l'OCDE, l'Union européenne (UE), le Fonds monétaire international (FMI), etc. Mais, pour le second indicateur, il découle aussi du fait que le dénominateur (le poids des prélèvements obligatoires autres) est déjà très élevé.
Une augmentation de l'écofiscalité ne devrait donc pas se faire, en France, de façon additionnelle à la fiscalité existante mais, au contraire, parallèlement à la baisse d'autres prélèvements trop élevés (sur le travail par exemple).
Par ailleurs, ces ratios ne disent rien de l'efficacité des taxes concernées. Un pays, qui adopte une stratégie d'écofiscalité de rendement, additionnant les écotaxes à taux modéré sur des assiettes larges, en tirera des montants importants mais ces prélèvements ne seront guère incitatifs. A l'inverse, un autre pays peut n'avoir que quelques rares écotaxes, à visée spécifiquement incitative, assises sur des bases étroites à des taux très élevés qui rapporteront moins mais seront écologiquement plus efficaces. Le malheur pour la France est qu'elle n'a pas fait de choix clair en la matière. Du coup, elle a laissé s'installer une fiscalité de rendement, laquelle rapporte peu en raison de nombreuses exonérations ou taux réduit ! Nous perdons donc sur les deux tableaux…
AE : L'outil règlementaire est-il insuffisant pour lutter contre les pics de pollution?
GS : Je ne suis pas critique vis-à-vis de l'outil règlementaire. Il est très utile voire indispensable. Au niveau européen, par exemple, les normes Euro fixent les émissions légales de différents polluants. Aujourd'hui, avec la norme Euro 6, les véhicules neufs sont considérablement moins polluants qu'avant. Les normes des diesels ont été divisées par plus de 30 depuis 1993 pour passer de 140 mg à 4,5 pour les particules fines et par plus de 6 pour les NOx.
De même, en France, la loi sur l'air du 30 décembre 1996 instaurait déjà toute une série de mécanismes. La possibilité d'instituer la circulation alternée apparaissait peut-être spectaculaire mais ne constituait pas la plus importante ni la plus structurelle. Elle n'était qu'une mesure de court terme. La loi prévoyait aussi, par exemple, la mise en place de Plans régionaux de la qualité de l'air (avec des objectifs en la matière), de Plans de protection de l'atmosphère pour les zones polluées (avec des valeurs limites) ou de Plans de déplacement urbain (PDU). Mas cette loi a été mal appliquée. Les décrets ont été publiés avec retard et leur contenu était peu ambitieux. L'esprit des PDU était de diminuer la part des véhicules individuels dans les déplacements intra-urbains de façon progressive et structurelle. Ce n'est pas ce qu'on a constaté dans beaucoup de PDU.
AE : Le 10 décembre, Ségolène Royal a annoncé une série de mesures pour lutter contre les pics de pollution. Ce dispositif est-il novateur ?
GS : De manière générale, un ministre a toujours envie d'annoncer des mesures nouvelles parce que c'est cela qui retient l'attention des journalistes et de l'opinion, plutôt que de rappeler qu'existent des mesures qui pourraient ou auraient pu être appliquées de façon plus rigoureuse.
Or, outre les mesures de la loi sur l'air déjà rappelées, la loi Grenelle 2 a aussi institué des mesures concrètes : possibilité d'expérimenter des Zones d'action prioritaires pour l'air (ZAPA) avec interdiction des véhicules polluants (art. 182), étiquetage des composés organiques volatiles (COV), obligation de surveillance de la qualité de l'air intérieur (art. 180), lutte contre l'étalement urbain, redevance poids lourds, possibilité de moduler les péages autoroutiers en fonction de la norme Euro(fret), d'expérimenter les péages urbains (art. 65), etc. Là aussi, ces mesures ont été assez mal appliquées ou avec retard ou ne l'ont pas été du tout. Les ZAPA et la redevance poids lourds n'ont jamais vu le jour et ont été officiellement abandonnées par le gouvernement suivant. Il n'existe toujours pas de projet concret de péage urbain en France alors qu'ils fonctionnent à Dublin (Irlande), Londres (Angleterre), Milan (Italie), Oslo (Norvège), Singapour (Singapour), Stockholm (Suède) etc.
Les externalités (ou dommages) sanitaires causées par le trafic automobile sont plus importantes dans les zones densément peuplées. En toute logique, on ne peut pas tarifer ces externalités en augmentant de façon indifférenciée une taxation des carburants alors qu'on ne sait pas à l'avance quand on fait le plein dans quelle proportion on va rouler en inter-urbain ou en intra-urbain. Quasiment tous les économistes considèrent que le péage urbain est le bon instrument de taxation ciblée des externalités intra-urbaines émises par le véhicule thermique. Toutefois, politiquement, il semble visiblement difficile à instituer en France. Il est vrai qu'un tel dispositif aurait tendance à pénaliser les personnes qui vivent en milieu péri-urbain et travaillent en ville. Cela ne fait que souligner l'importance et l'urgence de deux politiques publiques pour diminuer structurellement la pollution de l'air : la limitation de l'étalement urbain et l'amélioration des transports collectifs périurbains.
AE : Les mesures de fiscalité environnementale accroissent-elles irrémédiablement les inégalités ?
GS : Il est possible d'avoir une fiscalité écologique dont les effets sociaux sont neutralisés. Ainsi dans tous les pays européens, les combustibles sont moins taxés que les carburants. Et la Directive européenne sur les accises admet parfaitement cela. En effet, les combustibles représentent une part plus importante du revenu et des dépenses des ménages modestes. Et on peut assez difficilement s'en passer. En revanche, il existe des substituts, au moins partiels, à l'utilisation du véhicule individuel thermique (transports collectifs, cyclisme, marche, covoiturage, véhicule électrique, etc.) et les catégories populaires sont beaucoup moins équipées en automobiles. La taxation du carburant touche donc davantage les catégories moyennes que modestes.
Par ailleurs, on sait que les inégalités écologiques sont plus importantes que les inégalités économiques. Les personnes défavorisées vivent dans des zones davantage polluées que les autres, près des aéroports, près de décharges de déchets, etc. La fiscalité écologique, si elle permet d'agir sur ces problèmes, participera donc à l'amélioration de leur qualité de vie.
Enfin, on peut gommer les éventuels effets sociaux d'une taxe environnementale de deux façons. Soit en atténuant la taxe pour les catégories défavorisées. C'est, par exemple, le cas des tarifs sociaux de gaz en France. Il s'agit probablement d'une mesure justifiée du point de vue social mais qui, en atténuant le signal prix, n'incite pas à économiser l'énergie ni à réduire les rejets de CO2 et COV. Soit en taxant un produit au même taux pour tous mais en versant une allocation monétaire aux ménages situés en dessous d'un certain seuil de revenus. Du point de vue social, l'effet est le même que celui de l'atténuation. Du point de vue environnemental, le signal prix est conservé et incite à économiser. Le ménage pourra soit utiliser l'allocation pour continuer à consommer autant d'énergie qu'avant, soit l'affecter à tout autre chose en réduisant sa consommation d'énergie, soit l'utiliser pour des travaux d'économie d'énergie qui contribueront, ensuite, à réduire ses dépenses énergétiques et à accroitre son pouvoir d'achat disponible. Il sera ainsi gagnant économiquement.