
Actu-Environnement fait le point avec Alain Rival, coordinateur des recherches sur l'huile de palme au Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), sur un sujet beaucoup plus complexe que certains ne voudraient le laisser entendre.
Déforestation : le palmier à huile n'est pas le seul coupable
Il n'est pas rare de lire que l'huile de palme est responsable de la déforestation en Indonésie. Pourtant, selon Alain Rival, ''il n'y a pas de lien absolument direct entre déforestation et huile de palme. En vingt ans, 20 millions d'hectares ont été déforestés en Indonésie alors que ''seulement'' 3 millions d'hectares de palmiers ont été plantés. Il y a une multitude d'autres causes à la destruction des forêts tropicales : l'usage du bois pour l'ameublement, pour la cuisine, pour la pâte à papier… Le plus souvent, les terrains déforestés pour ces besoins sont ensuite laissés à l'abandon. Aujourd'hui, il y a plusieurs dizaines de millions d'hectares de terres dégradées en Indonésie''.
Alors pourquoi ces accusations ? Si l'huile de palme est attaquée, c'est parce qu'elle est largement utilisée par l'industrie agroalimentaire et cosmétique. Un produit de grande consommation sur dix vendus en Europe contiendrait de l'huile de palme. Bon marché, elle est la première huile consommée dans le monde (25 %), devant l'huile de soja (24 %), de colza (12 %) et de tournesol (7 %). Avec le boom des marchés émergents, la demande devrait exploser dans les années à venir. C'est cette évolution qui inquiète, car elle risque de ne pas être encadrée.
D'autant que le palmier à huile est la culture tropicale qui rapporte le plus, autour de 2.000 dollars par hectare et par an. ''Mais contrairement à ce qu'on lit souvent dans les journaux, la culture du palmier à l'huile n'est pas seulement le fait de multinationales. 60 % des exploitants sont de petits planteurs, analyse Alain Rival. Cette culture a contribué à l'élévation du niveau de vie de dizaines de milliers de personnes dans des pays où certains meurent de faim. Un instituteur ou un commerçant qui hérite de terres va être tenté de se lancer dans cette culture pour payer les études de ses enfants ou avoir un complément de revenus. Il y a donc eu un boom des petites plantations.''
Boycott ou huile de palme durable ?
Selon le chercheur, plus que freiner la culture du palmier à huile, il faut l'organiser, l'accompagner. Principal levier d'action : le marché. Alors que certains préconisent le boycott (des industriels sont déjà passés à l'acte ''à grand bruit'' en floquant leurs produits d'une marque ''sans huile de palme''), pour Alain Rival, ''c'est une très mauvaise idée utilisée par certains pour faire un coup marketing''. Et d'expliquer : ''si les pays du Nord boycottent ce produit, c'est une catastrophe. Certes, le système est déséquilibré aujourd'hui, mais il faut le tirer vers le haut et seuls les pays du Nord peuvent y contribuer. Il ne faut pas compter sur l'Inde, la Chine ou le Pakistan, qui représentent 60 % du marché, pour s'engager sur des critères éthiques ou durables ! Si la vieille Europe se retire de ce marché, celui-ci continuera à se développer sans limites. Il faut au contraire tirer le secteur vers la durabilité''.
Quelle solution ? ''Nous souhaitons développer des critères de durabilité. Premièrement, sur les territoires cultivés : à qui sont-ils ? Les populations sont-elles consentantes ? Les salariés ont-ils des droits sociaux ? Deuxièmement, sur la culture elle-même : il ne faut pas planter n'importe quoi. Selon les estimations, la demande va nécessiter un doublement de la production d'huile de palme d'ici 2050, or, on ne peut pas doubler les surfaces d'exploitation. Il faut donc adopter des pratiques intensives intelligentes pour produire la plus grosse quantité d'huile par surface. Enfin, il faut faire de la planification de paysage. Créer des zones sanctuaires, à haute valeur de conservation, où les espèces et les populations sont protégées. C'est un travail qui doit être réalisé de manière collective, avec des écologues, des ONG… Il faut éviter toute frontière directe entre ces zones et les champs de culture. Il est nécessaire de créer des zones tampons autour, une agroforêt par exemple, où animaux et populations vont et viennent. Une dizaine de projets de ce type est développée aujourd'hui à Bali avec des ONG''.
Le CIRAD s'est impliqué dans ce sens dans la très contestée Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO en anglais), lancée en 1994 par des industriels. La certification volontaire qu'ont mis en place les parties prenantes est aujourd'hui dénoncée par de nombreux acteurs. Alain Rival y croit : ''le système n'est pas parfait mais il a le mérité d'exister. Il faut être pragmatique : si l'on met des conditions trop strictes dès le départ, on va louper le coche. L'offre provient principalement des petits producteurs, il ne faut pas l'oublier. Les acheteurs veulent d'ores et déjà une étiquette, un label à coller sur leur produit. Mais qui va payer ça ? C'est une phase conflictuelle où chacun essaie de faire porter le poids de la certification sur l'autre. La démarche est longue, il faut discuter, écouter pour faire évoluer les choses… Il faut également organiser la traçabilité de l'huile de palme, qui n'existait pas jusqu'à présent. Il faut du temps pour organiser tout ça''. Près de 40 producteurs sont certifiés. Deux millions de tonnes d'huile de palme ont été certifiées aujourd'hui, ce qui représente 4 % de la production actuelle.
Le marché peut-il à lui seul être gage de durabilité ? ''L'idée est que les principes et critères soient inscrits dans le droit de chaque pays. Pour cela, nous avons besoin du soutien des gouvernements. Si au départ la RSPO était une initiative business to business, il manque autour de la table les Etats eux-même. Les gouvernements indonésiens et malaisiens se sont engagés récemment sur des moratoires sur la déforestation mais ce sont des démocraties relativement jeunes, il y a des problèmes de corruption. L'arrêt de la déforestation sera un processus lent qui nécessite l'aide des pays du Nord. Le poids politique est très important sur cette question, on l'a vu à Copenhague''.
Dans le cadre de la conférence d'Oslo sur la déforestation et le climat les 27 et 28 mai dernier, la Norvège s'est engagée à consacrer jusqu'à un milliard de dollars à la préservation des forêts indonésiennes, après l'annonce de la mise en place d'un moratoire de deux ans quelques jours plus tôt par le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono.