Auteurs de L'empreinte écologique, éditions La découverte
Actu-Environnement : Tous les médias ont parlé du jour du dépassement, le "Earth overshoot day", le 2 août. A quoi sert cette date ?
Natacha Gondran : Le jour du dépassement communiqué par l'ONG américaine Global Footprint Network est un jour médiatique un peu comme le jour de la femme. On en parle une journée et c'est fini ! Nous n'utilisons pas cet indicateur de cette manière pour notre part. Toutefois la 1ère vocation de l'empreinte écologique est de frapper les esprits, de prendre conscience qu'on consomme au niveau mondial une fois et demi ce que la planète est capable de "produire".
On se souvient en 2002 du fameux discours de Jacques Chirac à Johannesburg écrit par Nicolas Hulot d'ailleurs : "si tout le monde vivait comme un français, il faudrait 3 planètes". Cela veut dire que si toute l'humanité avait le mode de vie des français, le jour du dépassement ne serait pas le 2 août mais il serait en avril ! S'il survient le 2 août c'est parce qu'il y a beaucoup d'habitants sur cette planète qui ont des consommations plus faibles que nous. Il faut donc garder en tête que cet outil sert à sensibiliser et à dire qu'à partir de telle date, l'empreinte écologique de l'humanité est égale à la biocapacité disponible. Tout le reste de l'année va ainsi s'opérer sur un déficit c'est à dire qu'on va consommer d'avantage de services issus de la nature que ce que celle-ci peut en régénérer.
AE : Sur quoi repose l'outil "empreinte écologique" et que mesure-t-il ?
Aurélien Boutaud : La particularité de l'empreinte écologique c'est d'être un outil très synthétique qui a une unité de mesure commune appelée l'hectare global qui agrège une multitude de données de consommation. A l'image d'un système comptable, cet indicateur mesure la durabilité écologique. Pour cela, il faut être capable de comparer deux choses : la pression que l'on exerce sur l'environnement et la capacité de celui-ci à y répondre. Cette pression qu'on appelle l'empreinte c'est l'ensemble des surfaces biologiquement productives qu'il faut mobiliser pour combler les besoins de l'humanité. On va le comparer avec la biocapacité, c'est à dire l'ensemble des surfaces biologiquement productives de terres et de mers qui sont disponibles pour répondre à ces mêmes besoins.
Les données de base qui servent au calcul sont des données statistiques publiques qui sont recueillies au niveau international en grande partie par la FAO, l'organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation (consommation alimentaire mondiale, matières 1ères) et par d'autres organismes comme l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
AE : Cette conversion en hectare et en surface est-elle une méthodologie fiable ?
AB : Pour la partie production de ressources c'est relativement fiable car lorsqu'on consomme des produits alimentaires, cela va effectivement mobiliser des surfaces cultivées ou des forêts identifiables sur la planète pour produire ces objets de consommation.
En revanche, l'empreinte écologique est plus discutable pour la partie déchets et précisément CO2, qui est le principal déchet pris en compte par cet indicateur, car il a fallu établir une convention pour traduire les émissions de CO2 en surface. Cette convention ne prend pas en compte la partie du CO2 atmosphérique qui a déjà été absorbée par les océans mais seulement le surplus qui va s'accumuler dans l'atmosphère. La méthodologie consiste alors à regarder la surface minimale de planète qu'il faudrait dédier à ce processus de stockage de surplus de carbone. Ca s'apparente donc un peu à une empreinte fictive ou fantôme, c'est à dire une surface de la biosphère qu'il faudrait en plus, en supplément, pour assurer ce rôle d'absorption du CO2. C'est donc en ça que l'empreinte écologique est plus sujette à caution.
AE : Est-ce la seule limite à cet indicateur ? N'est-il pas incomplet ? L'empreinte écologique ne prend pas en compte l'érosion de la biodiversité par exemple.
AB : Il y a plusieurs limites à cet indicateur. Je rappelle que l'empreinte écologique est un outil ciblé sur la biosphère, c'est à dire la partie vivante du capital naturel. Donc toutes les ressources qui sont nécessaires à l'activité humaine mais qui ne relèvent pas de la photosynthèse et de la biosphère en général ne sont pas prises en compte. Par exemple, les minerais qui sont issus de la lithosphère ne sont pas comptabilisés dans l'empreinte écologique.
Parmi les autres limites, on peut aussi relever l'anthropocentrisme de cette approche qui considère que toute la biocapacité de la planète est disponible pour les besoins humains. Cela veut dire que si on décide de préserver 20% de ces espaces en faveur de la diversité biologique, c'est à dire des espaces qu'on ne va pas exploiter, alors la biocapacité serait moins importante. L'impact de l'homme sur la biodiversité n'est pas pris en compte dans l'empreinte écologique. Si on le faisait la biocapacité serait encore plus faible et le déficit écologique arriverait bien plus tôt dans l'année.
AE : Cela veut-il dire que l'empreinte écologique ne peut pas servir d'aide à la décision ?
NG : Effectivement. Mais il faut savoir que l'outil n'a pas été conçu pour ça. Il peut être un levier d'action important dans certains cas. Par exemple en identifiant la part de la consommation de viande, il va nous permettre d'agir sur celle-ci pour alléger notre empreinte écologique. En France, un quart de l'empreinte écologique est attribuée à l'alimentation.
En revanche, si l'on veut rentrer dans le détail, par exemple sur la façon dont on produit, alors l'outil n'est pas assez représentatif. Cet indicateur reflète en effet les rendements qui sont constatés aujourd'hui. Or si nous décidions d'avoir un mode de production qui soit moins impactant en terme d'épuisement du phosphore ou des ressources en eau, alors ces efforts ne seront pas pris en compte par l'empreinte écologique. Cet outil ne permettra pas de montrer que l'agriculture biologique est meilleure pour l'environnement que l'agriculture productiviste puisqu'il ne prend en compte que le rendement de la surface de terre. L'empreinte écologique est calculée pour représenter la surface de biosphère qui serait nécessaire pour produire les ressources qu'on utilise et non pour comparer différents modes de productions entre eux. C'est donc un outil non adapté pour un bon pilotage décisionnaire.
AE : L'outil doit-il être revu ou amélioré ?
AB : C'est un outil qui peut encore évoluer, mais à mon sens, son plus grand intérêt est d'avoir frayé la voie à l'approche du type "empreinte". Une multitude d'indicateurs est en effet apparue dans la foulée de l'empreinte écologique. La particularité de ces outils c'est d'imputer l'impact environnemental quel qu'il soit au consommateur final. Si l'on parle de l'empreinte écologique de la France on fait référence à l'impact lié à la consommation de la France quel que soit l'endroit où a été produit ce qui a été consommé sur le territoire français. L'empreinte écologique est le 1er outil à avoir fait cette démarche là !
L'autre indicateur qui s'est beaucoup développé dernièrement c'est l'empreinte carbone. La France émet 7 tonnes de gaz à effet de serre par habitant et par an mais