Développée dans les années 70 pour relancer le transport ferroviaire face à la démocratisation de l'avion, "la grande vitesse est maintenant considérée comme un instrument majeur de l'aménagement du territoire, une technologie au service de l'Europe, un savoir-faire industriel à exporter, un vecteur de la « transition énergétique » et un outil de relance économique et de stimulation de l'économie locale", analyse la Cour des comptes. Mais dans un rapport publié le 23 octobre, les Sages remettent en question "la pertinence économique, sociale et environnementale de l'investissement public" de ce mode de transport.
Depuis 1983 et la mise en service complète de la ligne à grande vitesse (LGV) Paris-Lyon, 2.036 kilomètres de LGV ont été développés. Ce chiffre doit atteindre 2.700 km en 2018 avec les projets relancés par le Grenelle de l'environnement et 5.000 km à plus long terme, avec les dix projets inscrits dans le schéma national des infrastructures de transports (Snit) de 2011. "Ce mode de transport est supposé offrir, pour les déplacements à moyenne ou longue distance, une alternative aux modes de transport considérés comme polluants que sont l'aérien et la route", rappelle le rapport. Pourtant, le gain environnemental ne serait pas si évident…
La Cour des comptes remet donc en question les développements futurs de LGV et préconise plutôt une diversification de l'offre de transport longue distance : ferroviaire de proximité, bus… Elle rejoint ainsi l'avis de la commission Mobilité 21, chargée de hiérarchiser les projets inscrits dans le Snit. Cette dernière estime que "l'autocar moderne et prioritaire sur le réseau routier et autoroutier, longtemps ignoré, peut constituer une réponse performante aux besoins de mobilité collective de proximité lorsqu'il s'agit de desservir des territoires ruraux ou péri-urbains diffus". Une idée reprise récemment par le nouveau ministre de l'Economie, Emmanuel Macron. Celui-ci a fait part, la semaine dernière, de sa volonté de libéraliser le transport en bus à l'échelle nationale (il n'est autorisé pour l'heure qu'à l'international), dans le cadre du projet de loi pour l'activité et l'égalité des chances économiques.
Un choix de plus en plus réduit pour les voyageurs
Le développement de la grande vitesse française s'est fait en étoile, au départ de Paris. Le TGV dessert aujourd'hui 230 destinations, pour un trafic plafonnant ces dernières années autour de 53,8 milliards de voyageurs au kilomètre. "La croissance du trafic TGV s'est depuis l'origine faite au détriment des autres trains longues distances (TET / Intercités) dont la fréquentation a été divisée par cinq au cours des trente dernières années. (…) Dans les faits, la SNCF réduit le choix ferroviaire au TGV en le substituant à d'autres trains pour les dessertes qu'il assure". Les Sages dénoncent cette "captivité" des voyageurs, qui accentue les "inégalités entre territoires".
Résultat : "Le système ferroviaire à grande vitesse allemand transporte environ 70 millions de voyageurs par an, soit seulement les deux tiers du TGV français, ce qui n'empêche pas la Deutsche Bahn (DB) de voir son activité grande distance et sa marge opérationnelle croître".
Parallèlement, depuis 2013, l'Allemagne a libéralisé le transport en autocar. Ce marché est "en plein essor et s'impose comme un concurrent de la grande vitesse ferroviaire, là où l'offre de la Deutsche Bahn est soit trop coûteuse, soit insuffisante".
Pourtant, sur la longue distance, la zone de pertinence de la grande vitesse se situe surtout sur des trajets de 1h30 à 3h. Globalement, le transport des passagers (985 Md de voyageurs-km en 2013) reste dominé par la route (88%). Les transports en commun ne représentent que 17%, le TGV 5,5%... "La grande vitesse ferroviaire occupe une niche particulière et, pour assurer son rôle, des solutions de mobilité concurrentes doivent se développer en complémentarité et coordination", estime la Cour des comptes. Selon elle, certains usagers, comme ceux à faibles revenus ou ceux pour qui la valeur temps est moins importante, sont de plus en plus séduits par des modes alternatifs à bas-prix et plus lents, comme le covoiturage et l'autocar.
Un avantage pour l'environnement à nuancer
Par ailleurs, estime la Cour des comptes, les gains environnementaux longtemps mis en avant pour défendre la grande vitesse, ne sont pas si évidents. "L'impact de la construction des LGV sur les milieux naturels, quoiqu'inférieur, ne diffère pas fondamentalement de celui des autoroutes", note-t-elle. En termes énergétiques et d'émissions polluantes, le rail s'en sort globalement mieux, mais toutdépend de l'électricité utilisée et du taux d'occupation. Les bonnes performances environnementales du TGV baissent proportionnellement à son taux de remplissage. Résultat, certaines dessertes, situées en bout de ligne, affichent un très mauvais bilan. De même, souligne le rapport, l'électricité consommée par les TGV provient "de façon significative" des pays voisins, plus carbonée que l'électricité made in France. "En utilisant la moyenne européenne, le calcul montrerait que le TGV serait même nettement plus émetteur de CO2 que l'autocar".
Si l'on prend en compte le cycle de vie d'une ligne à grande vitesse, de la conception, à l'exploitation pendant trente ans, en passant par la construction (y compris des gares et des rames), les émissions atteignent 1,9 MteqCO2, "dont 43% sont dues à la construction de la LGV et de ses équipements connexes et 57% à l'exploitation". Le report modal de la route ou de l'air permettrait d'économiser 3,9 MteqCO2 (1,2 M de passagers par an). Résultat : "La LGV deviendrait favorable en termes d'émissions en carbone douze ans après sa mise en service, sur une durée de vie de l'infrastructure de cinquante ans et plus".
Les Sages rappellent que, selon le Snit, le gain en émissions de gaz à effet de serre de l'ensemble des projets LGV est minime par rapport au niveau des investissements. Et de conclure : "Le coût public de la tonne de carbone évité est donc particulièrement élevé pour les LGV".