Nouveau branle-bas de combat, ce lundi 16 janvier au soir. Après l'incendie de l'usine Lubrizol en septembre 2019, c'est au tour d'un entrepôt de Bolloré Logistics, situé à Grand-Couronne (Seine-Maritime) de brûler, plongeant de nouveau l'agglomération rouennaise dans l'inquiétude. Si ce sinistre est d'une moindre ampleur, il interroge sur l'efficience des mesures prises dans le cadre du plan post-Lubrizol, alors que certains dysfonctionnements ont encore pu être constatés.
Selon les communiqués successifs de la préfecture, l'incendie s'est déclaré vers 16 h 30 dans une cellule de 6 000 m2 d'un des entrepôts de la société qui abritait 12 250 batteries de véhicules ou éléments de batteries au lithium. « L'incendie s'est ensuite propagé à la cellule attenante, d'une superficie identique, appartenant à la société Districash accessoires, dans lequel (sic) était stocké environ 70 000 pneus », indique aussi la préfecture. Alors que cette dernière avait annoncé que l'incendie avait été circonscrit à 23 h 30 dans les deux cellules concernées, un nouveau départ de feu a été observé à 3 h 30 dans une cellule occupée par la société Ziegler abritant du textile et des palettes. Il a été circonscrit vers 6 heures du matin.
« Aucune victime n'est à déplorer, les employés ont été évacués », indiquent les services de l'État, tandis que 137 pompiers et 60 engins sont intervenus. D'abord confiée à la maire de Grand-Couronne, la direction des secours avait été transférée dès 19 h 15 au préfet, compte tenu de l'ampleur du sinistre.
« L'incendie initial provient d'un stockage de batteries au lithium, explique l'association Robin des bois. Malgré l'apparition relativement récente du lithium dans la gamme des produits instables, inflammables et toxiques, ce métal a déjà provoqué environ 150 incendies en France. Ils sont caractérisés par des autodéclenchements imprévisibles, une très forte intensité thermique et des capacités surprenantes de rebonds. Il est donc largement prématuré de déclarer que l'incendie est circonscrit. »
« Incendies très polluants »
« En raison de la nature des matériaux concernés, l'incendie produit une fumée noire », avait laconiquement indiqué la préfecture. « Les incendies de batteries au lithium sont très polluants », rappelle pourtant Paul Poulain, spécialiste des risques et des impacts industriels. « Ils dégagent de l'acide fluorhydrique et des oxydes de carbone. L'acide fluorhydrique est un puissant corrosif et un agent décalcifiant redoutable. Il a une très forte affinité pour le calcium en se fixant dans les dents, les os et le sang », ajoute le consultant.
« Comme d'habitude, déplore Robin des bois, les pompiers particulièrement disciplinés n'ont rien relevé dans l'air qui puisse mettre en danger leur santé, celle des riverains et la biodiversité. » L'association demande au préfet d'ordonner à Bolloré Logistics la réalisation d'un « diagnostic de l'environnement et un suivi des retombées du panache de l'incendie en cherchant des signatures particulières qui ne pourront pas être confondues avec les pollutions historiques ».
Fiche promptement mise à jour
D'autres éléments montrent que les leçons de la catastrophe de Lubrizol ne semblent pas toutes avoir été tirées, malgré la production de nombreuses analyses et rapports et la mise en place d'un plan spécial. Concernant le statut de l'établissement au titre de la réglementation des installations classées (ICPE), la fiche en ligne sur Géorisques indiquait qu'il était soumis au régime de l'enregistrement alors que les communiqués de la préfecture faisaient état d'un établissement « classé à autorisation ». Ce qui n'est pas sans rappeler l'ignorance dans laquelle se trouvait le Dreal quant au véritable statut de l'entrepôt de NL Logistique, qu'il était pourtant chargé de contrôler et qui jouxtait l'usine Seveso seuil haut de Lubrizol.
La fiche sur Géorisques a toutefois été promptement mise à jour entre le 16 et le 17 janvier pour indiquer que l'entrepôt Bolloré Logistics était bel et bien un établissement relevant du régime d'autorisation, tout en actualisant les substances et les quantités qui pouvaient y être stockées. Sont ainsi apparus les stockages de bois, de polymères et de pneus, des produits pétroliers ou encore des matières bitumineuses. Quant aux liquides inflammables, s'ils étaient bien mentionnés initialement, leur volume est soudain passé de 66 000 tonnes à 500 000 tonnes.
Où est l'étude de dangers ?
Le seul texte public en ligne sur Géorisques faisait état d'un établissement autorisé en 1999 et régularisé en 2010 malgré une mise en demeure préfectorale non satisfaite quant à l'insuffisance des rétentions et une mauvaise gestion des incompatibilités de produits, ainsi que le constat d'un dépassement des seuils autorisés. Se pose la question de savoir si une étude de dangers digne de ce nom a été imposée à l'établissement après les nombreux changements qu'il a connus tant en termes de volumes et de produits stockés que d'activités mises en œuvre. « Vu l'évolution régressive de la réglementation concernant les entrepôts logistiques, ils sont aujourd'hui simplement soumis au régime de l'enregistrement. En conséquence, ils ne font pas l'objet des exigences réglementaires, de sécurité et de publicité qui s'imposent aux usines Seveso », ajoute Robin des bois.
Le secteur de la logistique pose des difficultés particulières compte tenu du fait que l'exploitant peut louer des cellules de stockage à différentes entreprises sans avoir une connaissance fine des produits stockés qui peuvent par ailleurs varier beaucoup au cours du temps. « Au nom de la création d'emplois et du développement économique des territoires, le secteur traditionnel de la grande distribution, Amazon et les autres stockeurs et répartiteurs de biens d'hyper consommation ont convaincu les pouvoirs publics, et même les collectivités locales, de faciliter l'implantation de plateformes logistiques. Ces hubs de la société de consommation sont des réservoirs de produits combustibles, inflammables et toxiques », dénonce Robin des bois.
Manque d'informations
Le système d'alerte pose également question alors que le nouveau système d'alerte Fr-Alert, issu du plan post-Lubrizol, était censé être opérationnel. « Une fois de plus, FR-Alert est resté silencieux. Même si nous savons que cette application a été créée pour les cas de forces majeures, celle-ci ne devrait-elle pas cependant être utilisée pour informer la population, qui, une fois de plus, est restée avec de nombreuses interrogations ? », interpelle l'Union des victimes de Lubrizol à l'attention du préfet.
« Trois ans après Lubrizol, je ne peux que dénoncer le fait que les habitants de la Métropole de Rouen soient toujours victimes du manque d'informations et de l'absence de prise au sérieux des risques d'exposition à des substances chimiques dangereuses en combustion, s'indigne la députée de Seine-Maritime, Alma Dufour (Nupes). Au même titre que la CGT, je réclame la transparence par la publication sans délai sur le site de la préfecture, de la nature des produits brûlés, des résultats des analyses réalisées en lien avec l'incendie, ainsi que la publication des documents de l'entreprise sur la sécurité incendie. »