
Climatologue au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement - CNRS
Actu-Environnement : Les incendies qui ravagent le Var sont-ils liés au changement climatique ?
Robert Vautard : On ne peut pas lier cet évènement spécifiquement au changement climatique. Je ne pense pas qu'il y ait eu des facteurs météorologique de feu absolument exceptionnels cette année. Les incendies peuvent aussi se déclencher sans qu'il y ait des risques énormes, car les facteurs météorologiques représentent uniquement une partie du problème et il faut surtout prendre en compte les autres facteurs. Le principal étant le facteur humain.
En été, la négligence est un facteur de risque à prendre en compte : des barbecues qui tournent mal ou des mégots mal éteints, comme cela s'est probablement passé pour les incendies du Var. Il y a aussi des causes naturelles.
La façon dont ces feux se propagent, la façon dont ils vont prendre de l'ampleur ou non, est régie par la météorologie, le système de surveillance des feux et la gestion des forêts. Avoir des conditions très chaudes, sèches et ventées, favorise le développement et la propagation de feux, voire de feux très importants.
AE : Le changement climatique ne favorise-t-il pas les grands feux ?
RV : Le changement climatique modifie les conditions météorologiques. Si une région subit des sécheresses et des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes, le risque de feu augmente aussi. Autrement dit, le changement climatique augmente la fréquence à laquelle les conditions sont réunies pour avoir un risque de feu élevé. Selon le chapitre XII du rapport du Giec, il n'y a pas de région dans le monde où le risque de feu diminue. Certaines restent stables, d'autres augmentent.
Au sein des causes météorologiques, la température est un facteur énorme. Évidemment, quand il fait très chaud, les risques s'accroissent assez vite parce qu'il y a une relation directe entre la température élevée et la sécheresse, même dans les cas où les sols ne sont pas en état de sécheresse préexistante. Le vent est aussi un facteur important pour la propagation du feu, le rendant moins facile à maîtriser.
AE : En France, quel est l'impact du changement global sur le risque d'incendies ?
RV : Il y a plusieurs régions dans le monde pour lesquelles le Giec prévoit de telles conditions à risque. En France, le risque d'incendies est en augmentation, surtout en Méditerranée. Les modèles sont très clairs pour cette région. Avec le réchauffement climatique, les risques de feu y sont particulièrement accrus et ils vont s'accroître dans le futur. Les modèles sont un peu moins clairs pour le centre de l'Europe et le nord de la France car les scientifiques ne sont pas complètement certains que ces régions vont s'assécher et il n'y pas d'éléments pour pouvoir dire si le vent va augmenter. En revanche, ils sont sûrs que la fréquence des vagues de chaleur, elle, va augmenter. En Méditerranée, c'est beaucoup plus clair parce qu'on a à la fois une augmentation certaine de l'intensité et des fréquences des vagues de chaleur, et des sécheresses. Les régions méditerranéennes vont être soumises à des hivers et des étés plus secs, des températures plus élevées, donc des sols qui vont s'assécher et, par conséquent, des risques de feu accrus.
AE : Le changement climatique influe-t-il sur la durée de la saison propice aux incendies ?
RV : La saison des feux est principalement en été. Temporellement, on ne peut pas vraiment imputer les grands feux des dernières décennies au réchauffement climatique à cause d'une certaine variabilité dans leur fréquence. Par contre, dans le futur, les scientifiques s'attendent à des saisons extrêmement chaudes, accompagnées de sécheresses qui vont sûrement s'étendre au mois de juin, de septembre… D'ailleurs ces vagues de chaleur très fortes commencent à apparaître en dehors de la saison d'été habituelle. En 2019, par exemple, les températures étaient inhabituelles pour le début du mois de juin. Ces dernières années, des vagues de chaleur sont apparues en septembre, ce qui est assez nouveau. La saison estivale déborde donc sur les mois adjacents.
AE : La fréquence des grands feux a-t-elle augmenté en conséquence ?
RV : Dans les dernières décennies, une baisse du nombre de feux est observée, grâce à la surveillance efficace et à la bonne gestion de ces évènements. Dans le futur, il est clair que la pression climatique va être de plus en plus forte, mais de là à dire que la surveillance ne va pas suffire, je pense qu'il y a un pas à ne pas franchir. Il faudra cependant accroître cette surveillance. Cela demandera aussi des prédictions météorologiques de plus en plus précises, une représentation fine de la végétation et de bons indices. Aujourd'hui, ces derniers sont encore très grossiers. Des progrès sont attendus non seulement avec les calculateurs mais aussi avec la modélisation même des feux et des risques de feu en fonction des prévisions météorologiques. En ce qui concerne la gestion des forêts, il y a la question des essences d'arbres et de leur espacement qui influence la combustion mais il existe des pare-feux.
AE : À terme, peut-on imaginer que la fréquence des feux diminuera faute de combustible à brûler ?
RV : Aujourd'hui, les tendances annuelles sur les feux eux-mêmes ne sont pas très claires parce qu'il y a aussi beaucoup de régions où le risque de feux augmente avec le changement climatique mais où il n'y a plus de forêts à brûler. Ce sont des régions qui ont été brûlées pour installer de l'agriculture, par exemple. De là à dire que tout va disparaître et qu'il ne restera plus rien à brûler, c'est aller un petit peu loin. Il y a bien une aridification de certaines régions mais il restera quand même des forêts.
AE : Comment contrebalancer les effets du changement climatique ?
RV : Les possibilités sont multiples. Il faut plutôt aller les chercher autour de la prévention, de la prévision, de l'éducation. Comme l'allumage des feux (c'est-à-dire le facteur humain) est le principal responsable, il faut absolument que les gens soient concernés par le danger que constituent les feux. Les actions de prévention et d'éducation sont donc très importantes mais aussi la gestion des forêts et la surveillance. Au-delà de cela, le facteur climatique, lui, ne peut se gérer que par une réduction rapide des gaz à effet de serre.