
Auditionnés par les parlementaires hier à l'Assemblée nationale, Eric Besson, ministre de l'industrie et Nathalie Kosciusko Morizet ont redit leur volonté d'"informer sans relâche les citoyens" : "toute l'information dont nous disposons, nous la diffusons", a répété M. Besson. A l'issue de ces trois heures d'audition, force est pourtant de constater que les informations sur l'évolution de la situation de la centrale de Fukushima demeuraient floues.
La ministre de l'écologie a confirmé la fusion partielle dans les réacteurs 1, 2 et 3, ainsi que le risque d'incendie des combustibles qui ne sont plus "enoyés" dans les piscines de refroidissement du réacteur 4, combustibles d'autant plus exposés qu'ils ne se trouvent pas dans une partie confinée de la centrale. La ministre a également fait état des conditions d'intervention dans la centrale, devenues très difficiles, et de l'héroïsme des opérateurs travaillant dans des conditions extrêmes. Tous les intervenants ont exprimé leur empathie vis-à-vis du peuple japonais et des opérateurs de la centrale, qui travaillent au milieu des retombées radioactives.
Canons à eau
Tandis qu'Areva a rapatrié ses 18 salariés présents sur le site de Fukushima, Anne Lauvergeon, présidente du groupe, a annoncé le décollage imminent d'un avion pour le Japon transportant 3000 masques, des gants et combinaisons et de l'acide borique, ainsi que du matériel de mesure de la radioactivité. Et a plaidé pour la mise en œuvre d'une action urgente pour refroidir le site, par camion citerne et par bateaux pompe. Selon Mme Lauvergeon, il faut un débit de 100 m3 d'eau par heure pour refroidir l'ensemble du site par camion citerne. Chiffre qui peut paraître modeste, en regard de la puissance des réacteurs, celle du réacteur n°3 étant de 784 MW. Sur le coefficient de combustion des réacteurs en fusion, aucune précision n'a été apportée.
Président de l'Autorité de sûreté nucléaire, André-Claude Lacoste a exprimé sa préoccupation sur l'évolution du réacteur n°2, qui se trouve en communication avec l'extérieur, et sur le combustible usé stocké dans la piscine du réacteur n°4. "Nous suivons la situation heure par heure : une situation qui, au pire, pourrait conduire à une fusion plus importante. Un accident de niveau 6 est majeur et la situation peut devenir encore plus grave".
S'agissant du panache radioactif, la ministre s'en est remise à l'expertise de l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) qui modélise son évolution, notamment vers les territoires d'Outre Mer du Pacifique distants de 7000 kilomètres. Sur la composition radiotoxique de ce panache, aucune précision n'a été apportée, notamment sur son contenu possible en plutonium, matière hautement radioactive, issue du combustible Mox utilisé dans le réacteur 3, qui est actuellement celui qui dégage les niveaux de concentration les plus élevés.
Unanimité
Sur ce point, Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN a biaisé en comparant les émissions de Fukushima à celles des essais atomiques du Pacifique dans les années 60 : "Les couches de Césium actuelles sont inférieures à celles des essais du Pacifique", a-t-il rassuré, évitant de comparer le panache à celui de Tchernobyl, alors que le matin même, le porte-parole du gouvernement, François Baroin, avait annoncé que le dégagement radioactif de Fukushima serait pire que Tchernobyl.
Tout en affirmant que la France entend tirer les leçons de la catastrophe, le ministre de l'industrie Eric Besson s'est livré à un plaidoyer en faveur de l'industrie nucléaire : "Elle assure l'indépendance énergétique de la France, dans un contexte de hausse du prix des autres énergies. L'énergie nucléaire est la moins émettrice de gaz à effet de serre. La France dispose d'un parc de 58 réacteurs mais aussi de capacités industrielles partout reconnues dans le monde". Le ministre demeure confiant : "Notre système de sûreté et d'information est reconnu dans le monde entier". Et la France œuvre en Europe et dans le monde à élever les normes standard, que la ministre de l'écologie confirme être "réévaluées en fonction des risques, comme à la centrale du Blayais, qui a été mise à niveau suite à la tempête de 1999".
Transparence revendiquée
Sur l'indépendance des autorités de contrôle, il n'y a pas d'inquiétude à avoir non plus, affirme Mme Kosciusko-Morizet : "L'Autorité de sûreté nucléaire est une autorité indépendante qui s'appuie sur l'expertise de l'IRSN. Elle a été renforcée par la création du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire en 2006. Les incidents sont signalés systématiquement à l'ASN, qui en tire des conclusions". C'est donc dans des conditions de pluralisme suffisant que sera organisé la série d'audits, centrale par centrale, annoncée par le gouvernement : "Il faudra que l'expertise soit croisée et transparente pour être rendue lisible à nos concitoyens", affirme la ministre de l'écologie, sans plus de précisions. Le député Yves Cochet (Europe écologie les Verts) s'est étonné du manque de pluralisme dans le débat, en l'absence d'ONG environnementales et d'experts indépendants du type CRIIRAD, qui n'ont pas été invitées à participer à l'audition d'hier et ne le seront pas à l'audit organisé par les autorités.
La fermeture des réacteurs anciens tels que Bugey et Fessenheim n'est pas davantage à l'ordre du jour, ni le référendum demandé par les écologistes. Quant à la fréquence à la hausse des anomalies signalées dans les centrales françaises, M. Besson, dont la circonscription d'origine recoupe le site de Tricastin dans la Drôme, l'explique par le fait que "le moindre incident fait l'objet de publicité, donc il n'est pas anormal que de plus en plus d'incidents soient recensés". Mme Kosciusko-Morizet a annoncé un débat national, sans que les contours en soient précisés à ce stade. Aux députés communistes Daniel Paul et André Chassaigne, soucieux du sort des sous-traitants dans les centrales et des conséquences catastrophiques des dérives d'entreprises privées telles que la japonaise TEPCO, Henri Proglio, PDG d'EDF a répondu qu'il ne s'agissait pas d'utiliser la sous-traitance comme un exutoire, mais dans le cadre d'un respect des compétences, et M. Repussard a reconnu que "la vision économique derrière l'exploitant n'est pas sans rapport avec la sûreté".
Quant à la présence de Mox sur le site de Fukushima, le représentant l'Areva, venu prendre le relais de Mme Lauvergon partie avant la fin de l'audition, a relativisé : "Opérer un réacteur avec du combustible Mox n'est pas plus dangereux qu'avec de l'uranium. Ce combustible a des caractéristiques différentes, les règles opératoires sont adaptées en conséquence et le niveau de sûreté est le même. Un combustible recyclé, c'est une bonne pratique". Pourquoi pas, mais Areva, premier exportateur mondial de Mox (combustible issu de la récupération d'uranium et de plutonium) est-elle vraiment la mieux placée pour donner un avis impartial ?