« L'agglomération parisienne est beaucoup moins protégée contre les grandes crues que d'autres métropoles internationales », souligne la Cour des comptes dans son rapport. Celle-ci s'est penchée sur la connaissance du risque lié à une crue centennale de la Seine et les moyens pour le prévenir. Et son constat est plutôt sévère.
Concernant l'appréhension des inondations, si cette dernière s'est bien améliorée, des points restent à défricher, comme les phénomènes de ruissellement et les remontées de nappes. « Plusieurs acteurs (département de l'Essonne, Caisse centrale de réassurance ‒ CCR) soulignent la nécessité que l'État établisse et diffuse sans tarder une cartographie du risque de ruissellement pour qu'il soit pris en compte dans les documents d'urbanisme et éviter que des habitations soient construites dans des zones exposées », rappelle ainsi la Cour des comptes. D'ailleurs, la plupart des plans de prévention du risque inondation (PPRI) franciliens ne prennent pas en compte, du fait de leur ancienneté, le ruissellement pluvial ou la remontée de nappes.
De la même manière, certains acteurs concernés pas le risque en raison de leur emplacement (par exemple de nombreux établissements culturels ou l'Assistance publique-hôpitaux de Paris) ne disposent pas d'informations sur les remontées de nappes.
La Cour recommande donc que l'État rende l'ensemble des informations sur les inondations disponibles aux particuliers, aux administrations et aux entreprises. Pour mémoire, en Île-de-France, 200 sites industriels, dont plus de 30 classés Seveso à fort potentiel de pollution, sont concernés.
Mieux intégrer le risque dans la planification
Autre constat : la nécessaire augmentation de l'intégration du risque dans les instruments de planification, comme les plans de gestion des risques inondation (PGRI). « Au niveau national, plus de la moitié (57 %) des dommages causés par les inondations ont lieu en dehors de zones couvertes par des documents de planification inondation (33 % en Île-de-France) », relève le rapport. Le document pointe également un besoin d'améliorer le suivi des outils, comme les programmes d'action de prévention des inondations (Papi). « France Assureurs a répertorié, dans une base de données de suivi opérationnel, tous les programmes d'action des territoires de façon à effectuer leur suivi et à le mettre à disposition des assureurs, indique le document. La Direction générale de la prévention des risques dispose elle-même de ce type de données. Elle ne les rend pas publiques en raison du refus de l'Association des maires de France, qui craint que soient pointées du doigt les collectivités "mauvaises élèves". »
La Cour des comptes préconise également une adaptation des PPRI pour qu'ils soient mieux appliqués. « Si les mesures prescrites ont bien un caractère obligatoire, les sanctions prévues ne sont pas réellement dissuasives », constate-t-elle.
Une meilleure prise en compte du risque d'inondations est également nécessaire dans les documents d'urbanisme. Par exemple, le seul schéma de cohérence territoriale (Scot) prévu pour toute l'aire métropolitaine du Grand-Paris n'apparaît pas à la hauteur. « Son contenu reste nettement en deçà des préconisations des services de l'État en matière de prévention du risque d'inondation », illustre le rapport.
Grands dommages, petits financements
Concernant les financements, la Caisse centrale de réassurance évalue à 19 milliards d'euros les coûts d'une crue centennale de la Seine. Les départements les plus touchés seraient le Val-de-Marne, les Hauts-de-Seine et Paris. Pour la Cour, la stratégie des collectivités territoriales n'est pas adaptée à la hauteur des enjeux. « La mobilisation du fonds de prévention des risques naturels majeurs en Île-de-France est en net retrait par rapport aux autres régions, alors que les dommages potentiels sont bien supérieurs », constate-t-elle. Et d'appeller les collectivités locales à dimensionner les financements des Papi en fonction d'objectifs plus ambitieux de réduction de l'exposition au risque.
La Cour appelle également le ministère de l'Intérieur à réfléchir au levier d'une capacité budgétaire pour soutenir les communes dans leur préparation à la gestion de crise.
La gestion des digues à anticiper
Autre difficulté relevée dans le rapport : les digues. Depuis la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles de 2014, les principaux responsables pour leur gestion sont les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). La loi prévoyait une période de transition jusqu'en 2024, durant laquelle l'État assurerait cette mission. Cette date butoir approchant, des inquiétudes apparaissent, aux vues des moyens nécessaires. Par exemple, le recensement de la Métropole du Grand-Paris montre que, sur les 52,5 km de digues expertisées, couvrant Paris, les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis, 89 % doivent faire l'objet de travaux de réhabilitation.
« La Métropole du Grand-Paris s'est vu transférer la gestion de 111 km de digues et murettes. Cependant, certaines digues sont très endommagées et la MGP ne bénéficie pas toujours des transferts de moyens adéquats, souligne le rapport. Les modalités de ce transfert font apparaître des différences de régimes qui empêchent d'envisager une gestion harmonisée des digues : le département du Val-de-Marne conserve l'entretien et la gestion de son propre parc (32,7 km), de même que la Seine-Saint-Denis (4 km). »
Par ailleurs, le niveau de protection reste à homogénéiser : par exemple, certains territoires, comme une grande partie de Paris intra-muros, bénéficient d'une protection contre une crue de période de retour de cent quarante ans, alors que dans le Val-de-Marne, elle est de vingt-trois ans. « Il importe que les collectivités locales analysent l'opportunité d'harmoniser les niveaux de protection à l'échelle qui leur paraît adaptée (bassin ou sous-bassin) et se concertent à ce sujet », interpelle la Cour.
La protection des grands lacs réservoirs à compléter ?
Pour amortir les conséquences des inondations ou des sécheresses, quatre grands lacs-réservoirs ont été aménagés en amont de Paris (Yonne, Seine, Marne, Aube). Leur gestion est confiée à l'EPTB Seine-Grands Lacs. Toutefois, la question d'ouvrages complémentaires à ces derniers se pose. « Les ouvrages existants ne permettent pas de maintenir la ligne d'eau sous le seuil critique de 7,30 m à la station de Paris-Austerlitz, seuil au-delà duquel les protections du Val-de-Marne et des Hauts-de-Seine ne suffisent pas à protéger d'une inondation par débordement », rappelle le document.
- Renforcer les actions de réduction du risque d'inondation en Île-de-France ;
- Appuyer ces actions par une stratégie durable et un pilotage plus cohérent à l'échelle du bassin de la Seine.
D'autres opérations comme la restauration des zones d'expansion des crues ou de zones humides sont prometteuses, mais leur réalisation avance très lentement.
D'une façon plus large, la Cour des comptes déplore le manque de stratégie coordonnée à l'échelle du bassin de la Seine. Et appelle à renforcer le rôle du préfet coordonnateur de bassin. « La conscience du risque au sein de la population reste faible, note également Cour. Au-delà des initiatives des services de l'État, de certaines collectivités locales et des assureurs, les actions de sensibilisation doivent se poursuivre dans la durée. »