L'Ile-de-France constitue un bon laboratoire de l'évolution des milieux naturels avec son urbanisation galopante et son modèle d'agriculture intensive sur des terres considérées parmi les plus rentables du monde. Or, l'un des meilleurs indicateurs de la santé de ces milieux, les papillons de jour, révèle que les clignotants sont au rouge.
Artificialisation agricole et densification urbaine
Il n'est pas nécessaire de rechercher très loin les causes de ce déclin. "Ces chiffres alarmants témoignent avant tout de la disparition des habitats de prédilection des papillons (pelouses, prairies, landes), au profit d'une artificialisation du territoire par l'intensification agricole et la densification urbaine", expliquent les auteurs de l'étude. Explications auxquelles on peut ajouter les changements climatiques, dont les papillons constituent également un excellent indicateur, précise Luc Manil, président de l'Association des lépidoptéristes de France.
L'étude pointe des milieux agricoles "simplifiés et exsangues". Ainsi, dans les paysages de la Beauce et de la Brie, la proportion de milieux herbacés tombe à 7%, soit près de trois fois moins que le seuil considéré comme écologiquement fonctionnel. Les aubépines et pruneliers, traditionnellement utilisés pour délimiter les parcelles agricoles, ont quasiment disparu, tout comme les fossés et les arbres isolés, constatent également les auteurs.
Ceux-ci mettent également en lumière les effets délétères de "la charge massive des pesticides". L'Ile-de-France est en effet l'une des régions les plus consommatrices de produits phytopharmaceutiques. "Les espaces agricoles, jadis zones foisonnantes en espèces, sont devenus impropres au développement des papillons et fonctionnent désormais comme des « barrières » ou des « puits »", explique Lucile Dewulf, chargée de mission naturaliste à Natureparif. Les herbicides font disparaître la diversité floristique des milieux agricoles, qui servent de zones de reproduction et d'alimentation aux papillons, tandis que les insecticides s'attaquent directement à eux. Mais les zones urbaines ne sont pas en reste, les jardiniers amateurs étant les plus gros consommateurs de produits chimiques à l'hectare.
Agir sur les prairies
Face à cet état des lieux plutôt sombre, les auteurs de l'étude proposent des outils pour réduire les menaces. "Les recettes sont connues", affirme Xavier Houard, responsable de la coordination des études à l'Office pour les insectes et leur environnement (Opie), tout en constatant que les causes du déclin ne sont toujours pas stoppées. "Il faut agir sur les prairies, les milieux ouverts et toutes les zones herbeuses en général", explique le spécialiste. La gestion écologique et planifié des habitats, via un pâturage adapté, des fauches différenciées ou le maintien de bandes enherbées s'impose.
L'apport des espaces protégés et des continuités écologiques est également important, à l'instar des couloirs à papillons entretenus par le parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse. Le schéma régional de cohérence écologique (SRCE), qui précise les "corridors" à préserver ou à restaurer, peut contribuer à la préservation des espèces "s'il est correctement mis en application", indique l'étude. "Les jardins privés jouent également un rôle essentiel dans les zones urbaines denses", ajoute Lucile Dewulf.
En bref, "l'effort maximum doit être mis sur la bonne gestion autant des milieux dits « ordinaires » que ceux protégés, avec une priorité pour les biotopes les plus fragiles, comme les pelouses calcaires et les milieux humides", résume Luc Manil. Soit peu ou prou les mêmes recettes que celles préconisées pour la préservation de la flore, des oiseaux ou des libellules sur lesquels la région Ile-de-France s'est préalablement penchée. Rien d'étonnant à cela : la préservation de la biodiversité repose sur les interactions entre les espèces et la qualité des milieux qui les abritent.