Les objectifs affichés par le plan Ecophyto 2018 de réduction de 50 % de l'utilisation des pesticides semblent difficilement réalisables avec les modes de production agricoles français actuels et les attentes sur la productivité qui pèsent sur les producteurs. Pour preuve, le directeur de l'UIPP (Union des Industries de la Protection des Plantes), Jean-Charles Bocquet, vient d'annoncer il y a quelques jours la hausse des ventes d'intrants chimiques en 2011 de 1,3% en volume et qui ne devraient, selon lui, pas évoluer à la baisse "en raison du printemps humide qui a occasionné de nombreuses maladies".
L'association de défense de l'environnement, Générations Futures, s'indigne du pessimisme de l'UIPP et pointe un immobilisme politique encouragé par le lobby des pesticides. Jean-François Lyphout, président d'Aspro-PNPP (Association pour la promotion des PNPP, les Préparations Naturelle Peu Préoccupantes), "le plan Ecophyto 2018 est une fumisterie puisque les lobbies des pesticides bloquent tout ce qui est alternatif. La France est le pays d'Europe au plus grand nombre de dérogations autorisées pour des produits toxiques : 74 contre 50 en Espagne et en Grèce…".
Des chercheurs de l'Inra à Dijon ont expérimenté pendant dix ans des nouveaux modèles de culture avec réduction des quantités d'intrants. Selon eux, les objectifs de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires d'Ecophyto ne peuvent être atteints qu'avec "des modifications substantielles des systèmes de cultures actuels".
La protection intégrée, une combinaison de techniques culturales
L'agriculture raisonnée a pour premier objectif de réduire l'utilisation d'intrants chimiques et impose une traçabilité des traitements appliqués dans chaque parcelle. Elle est encadrée par un cahier des charges officialisé en 2002 dans le Journal officiel. Ce mode de production est défendu par le réseau Farre (Forum de l'agriculture raisonnée respectueuse de l'environnement) qui regroupe l'UIPP, l'Ania (Association nationale des industries alimentaires)… Il propose des améliorations des pratiques classiques actuelles, comme une utilisation moins systématique des produits phytosanitaires, mais ce peut être un outil de transition vers des systèmes de culture plus respectueux de l'environnement.
L'agriculture intégrée apporte des alternatives au traitement chimique comme la lutte biologique (lâcher d'auxiliaires pour réduire les effectifs d'un organisme gênant, plante ou animal) ou la mise en place de surfaces de compensation écologique (mise en jachère temporaire de certaines terres agricoles).
La protection intégrée (PI), nouveau modèle agricole au centre des recherches de l'Inra, serait un mode de production intermédiaire entre l'épandage accru et non raisonné d'herbicides de l'agriculture intensive et l'interdiction de tout intrant chimique imposée par le cahier des charges en agriculture biologique. Cette alternative propose différentes pratiques culturales qui, individuellement, ne peuvent rivaliser en termes d'efficacité ; "il faut combiner les différentes techniques (…) et connaître les interactions entre techniques pour valoriser d'éventuelles synergies". L'agriculture intégrée n'interdit pas l'utilisation de biocides si elle est jugée nécessaire et lorsqu'il n'existe pas de solution de remplacement pour lutter contre certains parasites. Le bilan réalisé par l'Inra à l'issue de dix années d'essais révèle que "la PI permet de maîtriser de façon satisfaisante les infestations tout en réduisant de façon importante la dépendance aux herbicides et les impacts environnementaux associés". Les chercheurs reconnaissent cependant la nécessité d'un soutien financier pour compenser la baisse du revenu estimée et, pour les producteurs, d'accepter une réorganisation complète de leur travail.
Et les PNPP ?
Seule une recette remastérisée du purin d'ortie a fait l'objet d'une autorisation officielle. La première liste des substances autorisées pour faire des PNPP, annoncée le 20 avril par Bruno Le Maire se fait toujours attendre. Pour Jean-François Lyphout d'Aspro-PNPP, "ce sera la même guerre voire pire pour toutes les autres PNNP car leurs recettes appartiennent au savoir populaire, au domaine public, et ne sont donc pas brevetables, seule chose qui intéresse l'Etat". Rémy Lestang, conseiller agricole à la Chambre d'Agriculture de Dordogne, est plus optimiste quant à la commercialisation des PNPP, mais comme "complément sans afficher leurs principes actifs ou sous la normalisation engrais". Il ajoute que ces préparations ne sont pas des traitements de remplacement des pesticides, mais un ensemble de pratiques qui favorisent le bon équilibre végétatif de la plante. En bref, "c'est bien s'occuper de ses cultures pour ne pas avoir à les guérir plus tard, c'est du préventif et non du curatif".
Et qu'en pensent les producteurs ?
Certains producteurs ne peuvent pas se passer de la plupart des intrants chimiques à cause de conditions de sol ou de climat difficiles. Pour d'autres, c'est avant tout une barrière psychologique qui les freine pour revoir leurs pratiques agricoles. Les techniciens des Chambres d'Agriculture accompagnent par la formation et le suivi technique les agriculteurs en demande à se convertir à un mode de production alternatif plus respectueux de l'environnement et de la santé mais il ne pourra y avoir de véritable déblocage des habitudes sans campagnes nationales ou européennes et guides d'accompagnement exhaustif pour faciliter la conversion. Il semble qu'aller chercher un peu dans les recettes du passé peut apporter des pistes pour les techniques culturales de demain. Rémy Lestang pointe un manque de connaissance des écosystèmes chez les producteurs et les techniciens. Selon lui, il faut arrêter de paniquer dès que trois pucerons apparaissent sur une plante et laisser voir venir les coccinelles. De même, certaines "mauvaises herbes" s'avèrent être parfois des terres d'accueil pour des auxiliaires, "nous pouvons compter sur la biodiversité pour nous aider à contrôler les parasites".
Associations et chercheurs travaillent donc sur des propositions de substances alternatives aux herbicides comme les PNPP ou de modèles "poly outil" pour réduire les épandages d'intrants chimiques, tout en maintenant les niveaux de production agricole française et en limitant la dépendance aux subventions des producteurs. François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, lance un appel au nouveau gouvernement pour qu'"il mette au cœur de ses politiques publiques la protection de la santé et de l'environnement et la promotion de systèmes alternatifs respectueux de l'Homme et de la planète".Peut-être la "loi d'avenir sur l'agriculture, l'agroalimentaire et la forêt" annoncée par Jean-Marc Ayrault hier lors de son discours de politique générale sera un véritable pas en ce sens.