Le déploiement à grande échelle des énergies renouvelables (EnR) peut-il mettre en péril l'équilibre du système électrique français ? Avec la crise, et la baisse de la demande d'électricité, la France s'est trouvée en situation de surcapacité électrique qui a conduit à une perte de rentabilité de certaines centrales thermiques. Résultat : gel des investissements, mise sous cocon de certaines centrales, fermetures envisagées…
Plus récemment, Dominique Minière, directeur délégué à la direction Production-Ingénierie d'EDF, analysait devant quelques journalistes l' "impact des renouvelables" sur le parc nucléaire français. Selon lui, ces énergies "imposent de faire varier plus fréquemment la puissance des réacteurs", parfois d'en arrêter certains, notamment le week-end lorsque la demande est plus faible. "C'est un phénomène que l'on constate depuis environ un an, même si l'impact économique est encore faible", ajoutait-il.
Faut-il freiner le déploiement des énergies renouvelables ? Une étude publiée par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) fin février estime qu'il est possible de développer les énergies renouvelables massivement à un coût maîtrisé, à condition que leur intégration soit anticipée. Ce qui nécessite un véritable changement de paradigme : "On ne peut pas intégrer les énergies variables en ajoutant simplement des capacités photovoltaïques et éoliennes dans la production. Il faut transformer le système dans son ensemble". La clé du succès : un système de production plus flexible, des capacités de stockage et une amélioration de la prévisibilité des productions renouvelables.
En appliquant ces recettes, l'augmentation des coûts est estimée entre 10 et 15% pour un taux de pénétration des EnR variables de 45% (sur la base des coûts actuels des technologies et d'un prix du carbone de 30 dollars la tonne). Avec la baisse du coût des technologies et l'augmentation du prix du carbone, l'intégration des EnR pourrait même s'avérer bien moins coûteuse, voire nulle…
Un mix électrique plus flexible
Pour y parvenir, il faut développer des moyens de production plus flexibles (gaz, centrales hydroélectriques), supportant des variations de production et des arrêts fréquents, et diminuer fortement le nombre de centrales qui sont conçues pour fonctionner en permanence (charbon et nucléaire). "Contrairement aux cas des pays émergents où la demande d'électricité est en croissance, dans les pays industrialisés, où la consommation est stable, l'introduction d'énergies renouvelables se fait au détriment d'autres moyens de production", reconnaît Cédric Philibert, expert de l'AIE. Cependant, "en France, cela devrait se faire assez naturellement avec la mise à l'arrêt, d'ici 2016 pour des raisons de non-conformité réglementaire, de centrales inflexibles au charbon". Selon l'AIE, les responsables politiques doivent accompagner la fermeture des centrales traditionnelles les moins flexibles, programmer ces fermetures dans le temps pour limiter les coûts et inciter l'installation de centrales d'appoint flexibles.
Mais les énergies renouvelables, elles aussi, doivent devenir plus flexibles et s'adapter davantage au système. Pour l'AIE, il faut penser et planifier leur développement sur le long terme, en fonction des infrastructures, et de la demande. "Par exemple, l'installation de panneaux photovoltaïques sur les toitures peut être plus judicieuse du point de vue du système qu'une grande centrale photovoltaïque installée loin des lieux de consommation, même si l'investissement est plus élevé au départ", illustre l'AIE. Pour l'éolien, l'installation des parcs devrait davantage prendre en compte la proximité de la demande plutôt que la force du vent : "Les technologies les plus récentes peuvent être installées dans des zones où le vent est plus faible sans perdre en production" et en réduisant la variabilité. Les synergies entre EnR doivent également être mieux prises en compte : solaire (production diurne) et éolien (production nocturne), éolien et hydraulique, dont les productions annuelles peuvent se compléter, lissages géographiques des productions… Enfin, comme c'est déjà le cas en Espagne et au Portugal, il faut que les productions renouvelables puissent être arrêtées en cas de surcapacité.
Stocker l'énergie et gérer les consommations
Pour accroître la flexibilité du marché, l'AIE mise également sur les interconnexions et le stockage (notamment via les stations de pompage turbinages - Step). Dominique Minière (EDF) estime d'ailleurs lui aussi qu' "avec le développement du stockage, il est possible de développer un mix intelligent et équilibré entre les renouvelables et le nucléaire".
Le marché de l'énergie doit également être adapté aux nouveaux moyens de production : "Les opérations de marché mettent en correspondance l'offre et la demande. Afin de traiter efficacement la variabilité et l'incertitude, les opérations de marché doivent être réalisées au plus près du temps réel", analyse l'AIE. Autrement dit, il faut développer un marché de court terme. Parallèlement, la prévision des productions renouvelables doit être améliorée pour faciliter ces opérations.
Enfin, il faut mieux gérer la demande, en la réduisant au moment où les EnR produisent peu et en différant les consommations vers les périodes de forte production. "On devrait également se demander comment encourager la consommation d'électricité renouvelable dans les secteurs consommateurs de fossiles : transport, bâtiment, industrie", souligne Cédric Philibert.