
Directeur scientifique adjoint à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie
Actu-Environnement.com : Dans le secteur des transports, où en est-on aujourd'hui sur les recherches et les tests de véhicules à pile à combustible en France ?
Daniel Clément : Plusieurs projets de flottes captives de véhicules à hydrogène ont été déposés dans le cadre de l'un des volets de l'Appel à manifestation d'intérêt (AMI) lancé par l'Ademe et le gouvernement qui s'est clôturé fin août dernier. Les projets sont actuellement en cours d'instruction. Si les grandes options technologiques sont maintenant à peu près partagées par les acteurs de la filière (hydrogène embarqué sous pression 350 bars ou 700 bars), il reste à concevoir et à valider les véhicules d'une part, les services et les modalités d'utilisation d'autre part, à une échelle et dans des conditions préfigurant un déploiement industriel.
Les applications de l'hydrogène bas carbone et des piles à combustible dans le domaine de la mobilité constituent des enjeux d'ici 2020 et tout spécialement la démonstration de leur complémentarité avec la traction électrique qui fait également l'objet d'un autre AMI qui s'est terminé fin décembre. Dans le cadre de cet appel à projet, il était possible pour les industriels de l'hydrogène de répondre sur le volet prolongateur d'autonomie (range extender) qui consiste à remettre une source à bord et permettrait de pallier une des contraintes du véhicule électrique qui est la faible autonomie, la durée de recharge, mais aussi le coût et le poids des batteries embarquées. Des projets de ce type pourront à nouveau être proposés dans l'AMI sur la "mobilité hydrogène" qui va être ouvert dès la fin du mois de janvier.
AE : En quoi les piles à combustible peuvent-elles constituer une réelle alternative pour alimenter les moteurs électriques ?
DC : Intégrer les technologies hydrogène aux véhicules électriques permettrait non seulement d'allonger l'autonomie des batteries qui dépasse rarement les 200 kilomètres mais aussi de diminuer significativement le temps de charge classique. La pile à combustible stocke de l'énergie comme le fait une batterie, mais sous forme d'hydrogène. Elle fait réagir du dihydrogène (H2) avec du dioxygène de l'air (O2) pour former de l'eau et de l'énergie électrique. L'équipementier Michelin propose déjà un système de piles à combustible pouvant remplacer un pack de même dimension de batteries d'une voiture électrique. Dans ce projet baptisé ''Véhicule urbain à H2'', le prolongateur d'autonomie à pile à combustible développe une puissance de 5 kWh et est couplé à une batterie lithium-ion de 2,4 kWh. Environ 1 kg d'hydrogène est stocké sous une pression de 350 bars dans un réservoir en composite, ce qui permet une autonomie de 150 km. Ce dispositif est donc capable de se substituer aux systèmes de batterie appliqués à de petits véhicules à vocation urbaine ! On peut dire que le véhicule électrique est un proto-véhicule à pile à combustible.
AE : Pourtant, l'hydrogène n'est pas la priorité des constructeurs, y compris les Français Renault et Peugeot-Citroën, pour des questions de coûts. Ils misent sur le marché des véhicules hydrides et électriques équipés de batterie et investissent pour justement les optimiser.
DC : Si on parle de coûts, ceux-ci ne peuvent que baisser, grâce à la R&D. Par exemple, depuis 10 ans, la quantité de platine utilisée dans la fabrication de pile à combustible a été fortement réduite avec bien sûr une réduction significative sur son coût mais aussi à travers les coûts décroissants qui résultent systématiquement d'une production industrielle. La plupart des constructeurs ont déjà lancé de programmes de recherche sur l'hydrogène. A l'instar de l'Allemand Daimler, des Japonais Honda et Toyota ou de l'Américain General Motors qui sont parmi les plus avancés. En France, Renault et PSA ne sont pas complètement absents mais ne sont pas très actifs, il est vrai, sur ce secteur, alors qu'ils avaient contribué à structurer la filière française à la fin des années 90. Mais aucun de ces deux constructeurs nationaux ne s'est depuis engagé de manière stratégique sur le véhicule hydrogène, contrairement à leurs concurrents étrangers. Un projet de prolongateur d'autonomie composé d'une pile à combustible est toutefois mené par Renault sur des Kangoo, en partenariat notamment avec Solvay et SymbioFCell en région Franche-Comté.
AE : Les Français sont-ils au point mort en matière d'innovation sur cette technologie ?
DC : De nouveaux entrants français sur ce marché sont en revanche plus dynamiques comme Air Liquide, spécialiste français de l'hydrogène industriel, Michelin et de petits constructeurs de véhicules urbains de transport ou d'entretien et de voitures sans permis. Début octobre 2011, Air Liquide a organisé des essais de 12 véhicules électriques à piles à combustibles sur le circuit de Marcoussis, près de Paris. Une station de distribution d'hydrogène bi-pression 350 et 700 bars conçue et développée par Air Liquide, a permis aux véhicules de faire le plein en 5 minutes lors de ces essais, avec un pistolet qui ressemble à celui des pompes à essence. De leur côté, Michelin et le constructeur FAM Automobiles ont développé la citadine F-City H2, premier véhicule roulant à l'hydrogène immatriculé en France. La commercialisation de la citadine est annoncée pour 2015-2016.
Les choses bougent quand même en France même si le pays accuse des retards qui s'expliquent notamment par la priorité donnée aux véhicules électriques à batterie et une stratégie commerciale axée sur les performances des moteurs diesel. Il y a des choses qui se font et ce n'est pas purement spéculatif. Les acteurs s'organisent et l'association française de l'hydrogène et des piles à combustible (AFHYPAC) regroupe aujourd'hui au total une quarantaine d'acteurs.
AE : Oui, mais à l'heure où Paris déploie les bornes pour son projet Autolib', aucune station de distribution d'hydrogène n'existe encore en France faute de soutien public. Or, l'Allemagne en compte déjà une quinzaine et l'hydrogène reste plus cher à produire que l'énergie des voitures électriques. Comment lever ces obstacles majeurs à la filière ?
DC : De nouveaux projets de stations pourraient être proposés dans le cadre du prochain AMI. Mais pour justifier la mise en place d'une première borne qui coûte environ 1 million d'euros au niveau national, il faut qu'il y ait suffisamment d'applications liées à l'hydrogène à mettre sur le marché pour amortir ces investissements. Or, actuellement comme il n'y a pas d'application, le modèle économique n'est pas bouclé. Ce sont des vrais projets en rupture ! Pour lever ces blocages et obtenir un cadre réglementaire adapté, il est nécessaire qu'il y ait des démonstrateurs. L'Etat et l'Ademe peuvent toutefois apporter des aides via les appels à projets mais il manque encore un vrai business model. Nous sommes pour l'instant à un moment charnière de la filière en France alors que des solutions technologiques existent et sont prêtes. Il y a un marché potentiel mais seulement à terme quand seront compensés les coûts et seront engendrés des profits raisonnables.
AE : Si vous prévoyez à terme le développement de la filière, une commercialisation de masse de véhicules à pile à combustible est-elle possible d'ici à 2020 voire 2050 comme le préconise votre Feuille de route ?
DC : Quelques centaines de véhicules à pile à combustible sont déjà mises sur le marché au niveau mondial notamment par le Japonais Toyota et le Coréen Hyundai. Mais les premiers véhicules commercialisés en masse sont annoncés pour 2015 avec l'Allemagne qui vise 100.000 voitures à hydrogène par an. Or, en 2000, on annonçait déjà la vente dans 5 ans de ces véhicules ! Plus de 10 ans après, on continue à réaliser des démonstrateurs pour tester la faisabilité de ces technologies et leurs potentialités en condition d'usage préalable nécessaire à leur déploiement à terme.
Il faut continuer à développer la R&D pour lever les verrous technico-économiques-législatifs mais aussi soutenir, par priorité, les innovations déjà concurrentielles sur certains marchés porteurs où les piles à combustible sont une alternative viable, comme les chariots élévateurs ou autres engins de manutention dans les entrepôts. La pile à combustible étant susceptible de fournir l'alimentation électrique pour plusieurs usages allant du véhicule électrique au téléphone portable en passant par le stockage d'énergie et la cogénération dans des réseaux intelligents pouvant alimenter les bâtiments.