
Vice-président de la Fédération nationale de la pêche en France, FNPF
Actu-Environnement : Le niveau d'étiage et les températures de l'eau constituent-ils un phénomène exceptionnel cette année ?
Jean-Paul Doron : C'est dramatiquement exceptionnel, avec, malgré tout, des situations contrastées selon les départements et suivant la nature géologique des sols. Les cours d'eau sont soit sur des bassins sédimentaires, soit sur des socles granitiques, comme la région Ouest. Pour ces derniers, il n'y a aucun apport complémentaire qui vient soutenir le débit, à part le ruissellement. Aujourd'hui, ce qui est sûr, c'est qu'on n'a jamais connu de tels assecs, même en 1976, qui est une référence, ou en 2003. Certains cours d'eau sont des chemins de randonnée alors qu'ils n'avaient jamais été asséchés. Il y a des éléments aggravants suivant les régions. Dans les Deux-Sèvres, par exemple, on a déjà des sécheresses hivernales liées à l'alimentation des retenues de substitution, qu'on n'arrive d'ailleurs plus à remplir maintenant. Certes, c'est une crise qu'on n'a jamais connue, mais ça fait plus de dix ans que l'on constate une baisse récurrente du débit des cours d'eau. Elle n'est pas liée uniquement aux sécheresses et il faut aller chercher les causes ailleurs.
AE : Quelles sont les conséquences en termes de mortalité piscicole ?
JPD : C'est très variable en fonction du milieu, de la nature des espèces concernées, de leur fragilité, mais aussi de l'élévation des températures de l'eau. À 20 °C, on est proche de la température létale pour la truite fario. Les poches d'eau formées par des barrages ou des moulins ne sont pas la bonne solution. Ces masses d'eau inertes se réchauffent très rapidement, car il n'y a pas de renouvellement. S'y ajoutent des phénomènes d'évaporation, de sédimentation et d'eutrophisation très importants. La faune dans ces retenues n'a rien à voir avec le milieu naturel, puisque ce sont souvent des chevennes, des brochets ou des gardons, alors qu'on est sur des eaux salmonicoles où vit normalement la truite. Là où l'on pense qu'il y a beaucoup d'eau, c'est en fait pire que là où l'on a un écoulement naturel. Les températures sur une rivière naturelle sont beaucoup plus faibles que dans des milieux eutrophisés ou aménagés.
AE : Les dérogations accordées à certaines centrales nucléaires pour rejeter des eaux plus chaudes posent-elles des difficultés ?
JPD : Aujourd'hui, il y a des rejets qui sont effectivement plus chauds, donc une élévation des températures et une baisse de l'oxygène dissout dans l'eau. Pour autant, on n'a pas constaté de mortalité directe, mais on a aussi affaire à des espèces beaucoup moins exigeantes que des salmonidés, et sur des périodes où il n'y pas de flux migratoires. Par contre, il peut y avoir une mortalité ponctuelle en période nocturne quand il y a une surconsommation de l'oxygène dissout dans l'eau par les algues aquatiques liées à l'eutrophisation. En cas de très forte invasion d'algues, la teneur en oxygène peut chuter à des niveaux dangereux, voire létaux, et entraîner cette mortalité.
AE : Certaines espèces déjà fragilisées risquent-elles de disparaître ?
JPD : On a des espèces qui risquent d'être plus que fragilisées, notamment parce qu'elles sont présentes en tête de bassins versants. C'est le cas de la mulette perlière, un mollusque bivalve qu'on trouve en Bretagne, en Normandie et dans le centre de la France. Cette espèce vit sur des radiers, dans le sable, et ne se déplace pas alors qu'un poisson a la capacité de le faire. On la surveille comme l'huile sur le feu. Pour l'instant, ça tient le cap, mais on est dans une situation d'étiage qui a pratiquement deux mois d'avance. S'il n'y pas de pluie d'ici la fin de la période d'étiage, début octobre, la situation va être très compliquée. On a des populations de mulettes qui ont 80 ans. Si les radiers ne sont plus immergés, elles vont mourir. Les espèces piscicoles sont, quant à elles, plutôt sur des cycles de trois à cinq ans. S'il reste un stock ponctuel de géniteurs, la nature est en mesure de se régénérer. Mais il y a des secteurs qui sont malheureusement anéantis. Il faudra voir comment réensemencer. La difficulté vient du fait que l'on a des espèces génétiquement autochtones, associées à leur milieu, et on peut avoir différentes souches selon les bassins versants. Il n'est pas question d'introduire des souches qui n'ont rien à faire dans ces milieux. On n'a d'ailleurs pas de réserves à disposition. Plutôt que d'agir sur le facteur biologique, il vaut mieux agir sur le facteur physique et l'accessibilité des poissons. Les espèces ont une très grande facilité à recoloniser les milieux, pour peu que ceux-ci soient en état et que la qualité de l'eau soit au rendez-vous. Ce sont d'ailleurs les années les plus compliquées durant lesquelles on a les meilleurs retours en matière de reproduction. La nature est bien faite.
AE : Quels sont les secteurs anéantis ?
JPD : Ce sont ceux qui ont subi les affres des travaux d'hydraulique agricole connexes au remembrement, avec des recalibrages de cours d'eau : approfondissement, élargissement du lit, suppression de la végétation rivulaire. Sont aussi en cause le drainage des zones humides et hydromorphes, ainsi que la suppression des prairies.
AE : Les effets du réchauffement climatique sont-ils constatés sur les espèces ?
JPD : Plus les eaux vont se réchauffer, plus on va avoir des espèces qui vont remonter vers le nord et d'autres disparaître. Des espèces exotiques envahissantes, comme le Pseudorasbora, colonisent des secteurs où elles n'étaient auparavant pas en mesure de s'implanter et de se reproduire. On a aussi une modification profonde de la cohorte des populations. On voit apparaître des cyprinidés de type rotangles ou gardons dans des secteurs où l'on avait des espèces de cours d'eau intermédiaires. Il y a aussi un phénomène de dynamique de population. La modification des habitats et le réchauffement des eaux favorisent certaines populations plus productives, avec des phénomènes d'opportunisme. C'est le cas de l'aspe, dont la population explose dans la Loire après avoir colonisé le Rhin. Le silure, quant à lui, est malheureusement toujours en phase ascendante. On a par ailleurs constaté la diminution de la taille et du poids de certaines espèces de poissons, comme le saumon de printemps, qui passe deux ou trois hivers en mer. C'est lié aux changements climatiques.
AE : Est-il possible de mettre en œuvre des actions immédiates face à la sécheresse ?
JPD : On essaie de sauver ce qui peut l'être par des pêches électriques de sauvetage. Le champ électrique attire le poisson et l'anesthésie très brièvement, ce qui permet de le faire remonter en surface et de le récupérer à l'aide d'épuisettes. Le transport se fait dans des remorques sous oxygène. Outre les autorisations réglementaires, cela pose des difficultés d'organisation et implique des coûts liés aux hommes, salariés des fédérations de pêche et bénévoles, ainsi qu'aux moyens techniques à mobiliser. Le prix moyen d'une pêche de sauvetage est compris entre 1 800 et 2 000 euros, financé par les fédérations, mais cela peut varier du simple au double suivant le contexte. Ces mesures d'urgence modifient également le calendrier des interventions des fédérations. Souvent, à cette époque, on a des pêches d'inventaires environnementaux dans le cadre des réseaux de suivi de la directive-cadre sur l'eau ou des indices d'abondance truite ou anguille. On est donc obligé de les décaler ou alors de les annuler. Nous avons déjà effectué de 10 à 20 pêches de sauvetage par département, mais c'est toujours du cas par cas, car le remède peut être pire que le mal. La pêche de sauvetage n'est valable que dans certaines conditions. À certains endroits, on ne peut rien sauver, car on stresse un peu plus le poisson, on l'expose à des chocs thermiques et on doit trouver des endroits où il reste un peu d'eau pour les relâcher. Ce qui peut s'accompagner d'une forte mortalité. Il vaut mieux parfois laisser les poissons dans des poches d'eau, ne pas les stresser, et attendre un orage qui renouvellera la masse d'eau.
AE : N'est-il pas nécessaire de restreindre la pêche ?
JPD : La restriction de pêche s'attaque à la conséquence. De toute manière, les pêcheurs ne vont pas sur le bord de la rivière en ce moment, car les conditions ne sont pas favorables pour pêcher. Ou alors ils vont sur de grandes rivières ou de grands fleuves. De plus, les poissons ne sont pas mordeurs en cette saison, car ils se préparent pour remonter et pour frayer. C'est aux causes et à l'inaction régalienne qu'il faut s'attaquer, et de façon collective.
AE : Quelles sont les actions de fond à mener ?
JPD : On ne peut pas dissocier les causes de la sécheresse, aggravée par le changement climatique et les épisodes caniculaires, de tout ce qui a été fait pour ne plus retenir l'eau en tête de bassin versant, les aménagements agricoles, mais aussi l'urbanisation. Il en est de même pour les inondations, car « aux mêmes causes, les mêmes effets ». L'hydromorphologie, la préservation du lit mineur et du lit majeur d'un cours d'eau sont essentielles. La nature peut s'adapter pour peu que l'on ait, à l'échelon du bassin versant, un certain nombre d'éléments naturels qui permettent de garder de l'eau et d'en restituer graduellement. L'enjeu est donc de faciliter la connectivité des cours d'eau, de restaurer la continuité écologique et l'hydromorphologie du cours d'eau et des zones humides. Il s'agit de prioriser les solutions fondées sur la nature. Malheureusement, on est encore dans une logique de déménagement paysager. Ce n'est plus possible ! On va vers la désertification des territoires. Il faut prendre conscience que derrière chaque robinet, il y a une rivière. Lorsque l'eau ne coulera plus au robinet, ce sera l'électrochoc. On y arrive.