
Secrétaire exécutive - Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)
Actu-Environnement : Ce travail commun entre les deux plateformes scientifiques est-il une première ?
Anne Larigauderie : Oui, tout à fait. C'est l'une des raisons pour lesquelles ce rapport revêt une importance particulière. C'est la première collaboration entre les deux organismes qui se sont chargés de fournir des expertises scientifiques, d'un côté sur le changement climatique, de l'autre sur la biodiversité. C'est important du point de vue du processus mais aussi du fond, sur les conclusions.
AE : Quels sont les principaux enseignements qui ressortent de ce travail commun ?
AL : Quatre choses. La première, c'est que le changement climatique et la perte de biodiversité sont les deux grandes crises environnementales qui compromettent sérieusement l'avenir de l'humanité. Ensuite, que ces défis environnementaux sont inextricablement liés l'un à l'autre. La troisième, c'est qu'il existe des solutions qui bénéficient à la fois à l'atténuation du changement climatique et à la réduction des atteintes à la biodiversité. La quatrième, et la plus importante, c'est que les politiques précédentes et actuelles ont largement abordé ces défis de manière indépendante. Ce qui peut conduire à des problèmes, en particulier liés à l'impact de certaines politiques d'atténuation du changement climatique sur la biodiversité. Désormais, ces deux grands défis doivent être abordés ensemble, non seulement au niveau scientifique mais aussi au niveau politique.
AE : Avez-vous des exemples d'actions d'adaptation au changement climatique néfastes pour la biodiversité ?
AL : Les scénarios prévus par le Giec pour rester à 1,5 °C ou 2 °C, en particulier ceux qui ne sont pas accompagnés de réduction importante des émissions, prévoient de déployer à très grande échelle des cultures pour la production de bioénergies. On parle de surfaces d'environ 500 millions d'hectares, une surface plus grande que l'Inde. Ce déploiement conduirait à une compétition entre bioénergies et biodiversité car, à cette échelle, on mettrait en culture des zones qui sont actuellement des aires protégées. On a là une concurrence très importante entre lutte contre le changement climatique et protection de la biodiversité, mais aussi vis-à-vis de la sécurité alimentaire.
AE : Quelles sont les solutions bénéfiques aux deux problématiques ?
AL : Il existe des manières de faire qui peuvent bénéficier à la fois au climat et à la biodiversité. Ces solutions n'ont pas pour l'instant été vraiment prises en compte par les négociateurs qui ont une préoccupation strictement climat. Dans le contexte de la convention sur le changement climatique, on parle très peu de biodiversité. En fait, ces deux problématiques ne font qu'une : un problème environnemental d'importance avec différentes facettes complexes. Le Giec et l'IPBES montrent la voie à travers ce premier atelier de travail. On espère qu'elle mènera un jour à une évaluation en commun.
AE : Faut-il faire évoluer la gouvernance ? Est-ce justifié d'avoir deux conventions internationales distinctes ?
AL : Si c'était à refaire, ce serait plus judicieux de ne pas les séparer. Mais la modification de cette gouvernance est très compliquée avec le processus des Nations unies. Je ne suis pas certaine qu'on ait le luxe de se lancer dans de grandes réformes institutionnelles. Une fusion des deux grandes conventions prendrait des années. Au vu des urgences climatiques et biodiversité, il est plus judicieux d'apporter une composante climat dans la convention biodiversité. Mais c'est surtout l'inverse qu'il est important de mettre en œuvre : construire une grande composante nature au sein de la convention climat.
AE : Des avancées sont-elles attendues des deux COP climat et biodiversité qui doivent se tenir cette année ?
AL : La COP 15 biodiversité est très importante car elle va négocier un nouvel accord-cadre sur la biodiversité pour 2030 avec un sentiment d'urgence accru. Dans ce contexte, on a des ambitions importantes. L'une d'elle est de protéger 30 % de la surface totale terrestre et marine. Ce sera aussi important pour protéger le climat. Cela fait partie des solutions fondées sur la nature. Il est mieux que la nature nous apporte elle-même une partie de la solution. Les écosystèmes naturels absorbent environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre, en particulier les forêts. Si on augmente la surface de ces écosystèmes, si on les gère de meilleure manière et si on les restaure, on protége la biodiversité et toutes les contributions qui en découlent (filtration de l'eau, pollinisation, etc.), mais on préserve aussi le climat.
AE : Et pour la COP 26 sur le climat ?
AL : La présidence britannique de la COP 26 a pris des engagements. Parmi les quatre grands objectifs de la conférence figurent la réduction de la déforestation ainsi que la protection et la restauration des écosystèmes. Le G7, qui s'est réuni cette semaine, a également parlé de l'importance de la biodiversité.
AE : Au final, comment peut-on résoudre cette double crise majeure ?
AL : L'idée fondamentale qui demeure, c'est qu'il faut toujours penser aux causes sous-jacentes. Ces causes sont nos modes de consommation. Même si on convertit des zones importantes en forêt, la nature ne va pas résoudre à elle-seule tous les problèmes du changement climatique. La priorité essentielle demeure la réduction des émissions. Il faut éliminer les subventions néfastes qui encouragent les combustibles fossiles, notamment pour l'agriculture, et l'utilisation des engrais. Il faut modifier nos préférences alimentaires avec une alimentation moins basée sur la viande et ne pas utiliser de produits à base d'huile de palme. Le fait que les virus s'échappent de la nature est aussi lié à ces problèmes de transformation des écosystèmes. En modifiant nos modes de consommation, on peut résoudre les problèmes de biodiversité, de changement climatique, de santé et d'émergence des zoonoses. Beaucoup de choses peuvent aussi être faites au niveau individuel.