
Rédacteur en chef à l'association de veille citoyenne Inf'OGM
Actu-Environnement.com : L'étude controversée du professeur Séralini alimente les débats sur les évaluations européennes des OGM. Une réforme des procédures est déjà en discussion entre la Commission et les États membres. Où en est-on ?
Christophe Noisette : La Commission européenne a proposé début 2012 un règlement qui établit de nouvelles règles d'évaluation des risques des plantes génétiquement modifiées (PGM) à destination de l'alimentation humaine et animale avant autorisation de mise sur le marché. Ces nouvelles règles sont censées répondre à la demande faite, à l'unanimité, en décembre 2008 par les ministres européens de l'environnement de les renforcer. Ce projet de règlement est actuellement en discussion auprès des Etats membres.
Il vient en complément de la directive 2001/18 et du règlement 1829/2003 sur la base desquels sont délivrées les autorisations. Mais ce nouveau règlement présente un défaut majeur : il fait du concept "d'équivalence en substance" la clef de voute de l'évaluation des PGM et l'affaiblit. Les caractères généraux (phénotypes) et la composition moléculaire d'une plante transgénique vont être comparés à ceux de la même plante mais non transgénique. Si, à l'exception du caractère induit par le transgène, aucune différence n'est observée, alors les deux plantes sont équivalentes en substance. Or, le règlement stipule que si l'équivalence en substance entre une plante transgénique et sa contrepartie non GM est montrée, les analyses de toxicité ou d'alimentarité ne seront pas obligatoires !
La procédure actuelle permet déjà aux entreprises de ne pas conduire d'analyses de toxicité. On observe qu'un nombre de dossiers d'autorisation - qui ne constitue toutefois pas la majorité des dossiers déposés - ont été proposés par les entreprises pétitionnaires, que ce soient Monsanto, Syngenta ou Bayer, en s'abstenant déjà de présenter de telles études sous ce prétexte d'équivalence en substances entre le maïs, le soja ou le coton transgéniques et leurs homologues non GM. Des dossiers qui ont été acceptés par l'Agence européenne de sécurité des aliments (AESA/EFSA) ou sont en cours de traitement ! L'inclusion du caractère obligatoire des analyses de toxicité, dans le règlement, constituerait effectivement un renforcement, en complément d'une réelle mise en œuvre de tests d'équivalence.
AE : Quels PGM ne présentant pas d'analyse toxicologique sont en cours d'autorisation dans l'UE ?
C.N. : L'Agence française de sécurité sanitaire (Anses) a mis en exergue ce manque d'analyse de toxicité dans le dossier du coton transgénique GHB 614 de Bayer, un dossier validé par l'AESA en 2009 et autorisé par la Commission européenne en juin 2011 pour l'importation et la transformation. Idem pour le dossier d'autorisation en cours de traitement du colza MON 88302 alors que l'Anses notait en juin 2012 qu'aucune étude de toxicologie n'était présentée par Monsanto. D'autres dossiers présentent la même lacune comme celui du maïs 5307 de Syngenta ou du maïs DAS40278-9 de Dow AgroSciences sont dans les tuyaux de la Commission.
Il faut rappeler que trois PGM sont déjà autorisées à la culture dans l'UE - le maïs Mon810 de Monsanto, le maïs T25 de Bayer tolérant au glufosinate d'ammonium et la pomme de terre Amflora de BASF. Le maïs Mon 810 est principalement cultivé en Espagne avec 97.326 hectares, ensuite vient le Portugal avec 7.724 ha, les autres pays (Pologne, Roumanie, République Tchèque, Slovaquie) ne cultivant que très peu de PGM. La pomme de terre Amflora représente moins de 100 hectares en Europe (en Suède et en Allemagne). Le Mon810 a été autorisé en février 1998, trois années après que son dossier ait été déposé. En revanche, le dossier de la pomme de terre GM Amflora a été déposé en 1996 en Suède et Amflora n'a été autorisée à la culture qu'en 2010, soit 14 ans après le dépôt du dossier.
AE : Combien de dossiers d'homologation pour la culture sont en attente ?
C. N : Il y a actuellement 27 dossiers d'autorisation pour la culture en attente : des pommes de terre, des maïs, des colzas, des betteraves, des cotons. Parmi eux, la pomme de terre "Fortuna "de BASF résistante au mildiou ou le maïs TC1507 pour lequel l'AESA vient de rendre un quatrième avis, lui aussi favorable.
41 OGM sont également autorisés à la commercialisation pour l'importation destinés à l'alimentation humaine et/ou animale. On y trouve vingt-cinq variétés de maïs, huit de coton, sept de soja, trois de colza et une de betterave. Tandis que 68 demandes d'importation sont en attente. Le dernier OGM, homologué le 20 octobre par la Commission européenne, est le maïs MIR 162 de Syngenta alors que fin septembre les États membres n'étaient pas parvenus à un consensus sur sa commercialisation. Tous ces chiffres sont le fruit d'un suivi assez compliqué par Inf'OGM des dossiers d'autorisation. Par exemple, plusieurs dossiers peuvent être déposés pour une même plante et la mise en ligne des informations est assez disparate. Un vrai jeu de piste pour essayer d'être exhaustif...
AE : Le projet de règlement ne risque-t-il pas de s'avérer inefficace si la Commission le passe en force en cas de désaccord entre États membres ?
C. N. : Ce règlement est en cours de discussion via la procédure de comitologie. Il suit donc exactement le même chemin que les demandes d'autorisation, un chemin qui ne passe pas par le Parlement européen et qui exige de la part des Etats membres une majorité qualifiée difficile à atteindre. Si aucune majorité n'est atteinte - comme cela se passe toujours pour les demandes d'autorisation de PGM -, ce projet de règlement devra passer devant le comité d'appel, comité qui statue lui aussi à la majorité qualité. Et en cas d'absence de majorité qualifiée, la Commission européenne pourra valider sa propre proposition.
Les Etats membres ont donc deux fois la possibilité de se mettre d'accord pour amender le texte et notamment clarifier le caractère obligatoire des analyses de toxicité. Précisons encore qu'aujourd'hui aucun règlement ne légifère sur le sujet et que seules les lignes directrices de l'AESA existent. Les pétitionnaires souhaitant obtenir une autorisation ont intérêt à suivre les lignes directrices édictées par les experts. Donc rejeter le règlement ne devrait pas modifier grand chose. En revanche, l'amender afin de rendre les analyses obligatoires et l'adopter serait clairement un progrès.
AE : La France, qui applique le principe de précaution pour la culture des OGM, souhaite une réévaluation des procédures d'autorisation et un renforcement des études toxicologiques à long terme. Est-ce possible dans ce contexte ?
C. N : Le premier avis de l'AESA sur l'étude de GE Séralini a été délivré en un temps record et sans discussion avec l'équipe du professeur. Dans cet avis, l'AESA s'applique avec méthode à critiquer l'ensemble du travail de l'équipe. Cela est tout à l'honneur de l'Agence... Cependant, cette position, légitime, contraste sévèrement avec la bienveillance avec laquelle l'AESA rend des avis favorables sur les dossiers de demande d'autorisation. Concrètement, nombre de critiques effectuées par l'AESA sur l'étude Séralini pourrait s'appliquer sur les dossiers de demande d'autorisation notamment quant à l'insuffisance de puissance statistique. Inf'OGM a montré dans un livret publié récemment que l'évaluation des demandes d'autorisation conduite notamment par l'AESA n'était pas scientifique.
La durée de l'étude, longue de deux ans, a également été critiquée par l'agence sanitaire alors que les tests demandés dans les dossiers d'autorisation sont de 90 jours. On peut réaliser une étude sur une longue durée mais il est nécessaire de l'enrichir car dans celle de Séralini, il aurait fallu travailler avec d'autres mammifères, d'autres rats, plus de lots. Plus l'étude est longue, plus elle demande une grande vigilance sur la race de rats choisie, leur nombre et les paramètres étudiés, ceci est incontestable et le professeur Séralini le sait. Il a fait ce qu'il a pu avec l'argent qu'il a réussi à obtenir auprès de bailleurs privés. L'étude du Pr Séralini a malgré tout permis de faire émerger les failles de l'ensemble des évaluations menées jusqu'à présent. A ce jour, aucune étude de cancérologie sérieuse n'a été menée sur les OGM et très peu d'études d'allergologie ont été suivies.
Le gouvernement français dispose donc actuellement d'un contexte au contraire favorable pour avancer dans la direction d'un renforcement de l'évaluation des OGM : le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) met en exergue, pour chaque demande d'autorisation, les lacunes des analyses fournies par les entreprises. L'Anses a énoncé à plusieurs reprises sa position quant au caractère obligatoire que doit avoir la fourniture d'analyses de toxicité. Le contexte actuel paraît donc tout à fait propice pour la France pour obtenir un tel renforcement de l'évaluation, sur base d'un règlement clair et précis qui ne laisse pas place au doute.
AE : Prévu mi-novembre, l'avis définitif de l'AESA sur cette étude ne risque-t-il pas d'entacher les négociations sur le nouveau règlement ?
C.N : Le fait que les dossiers d'autorisation des pétitionnaires passent la barrière de l'AESA, malgré l'absence d'études toxicologiques, démontre que le caractère obligatoire de ces analyses de toxicologie n'est pas juridiquement établi. Encore une fois, le gouvernement français qui annonce vouloir remettre à plat le système d'évaluation doit donc obtenir que cette obligation d'analyse soit énoncée clairement dans le règlement en discussion. Et entre temps, certains acteurs, comme la Confédération Paysanne, demande à ce qu'un moratoire soit décrété afin qu'aucune autorisation ne soit donnée tant que les réponses sur les effets à long terme ne sont pas obtenues.
Au-delà des aspects toxicologiques, remettre à plat, c'est aussi repréciser le cahier des charges de demandes d'autorisation et y adjoindre une étude socioéconomique sur les intérêts de mise en culture des OGM, demandée depuis des années. Cette étude est d'autant plus importante qu'elle devrait aborder la question de l'utilité des OGM. Il serait également intéressant de tester dans leur globalité les OGM tolérant aux herbicides Round up, ce qui rappelons-le n'est pas le cas actuellement. Seul le glyphosate, le principe actif de l'herbicide, est évalué dans les tests demandés aux entreprises et non tous les adjuvants qui constituent le cocktail final.
AE : La question de conflit d'intérêt est également au cœur de la polémique. Comment organiser et surtout financer des études indépendantes sur l'impact des OGM ?
C.N : Le fait que l'AESA soit actuellement l'objet de nombreuses critiques pour conflit d'intérêt n'est plus à démontrer. Les cas emblématiques de Diana Banati (ex-présidente du conseil d'administration de l'Agence amenée à démissionner) et ont été largement commentés par la presse internationale. Concrètement, l'AESA fait d'ailleurs l'objet d'une plainte et l'Agence a aussi été montrée du doigt dans un rapport de la Cour des comptes.
Le Pr. Séralini demandait aux pouvoirs publics un plus grand financement pour compléter son étude, ce qui lui a été refusé. Résultats : il a obtenu trois millions d'euros pour faire son étude en testant les groupes témoins de rats composés de 10 mâles et 10 femelles jugés insuffisants au lieu de 50 rats par lots conseillés par l'OCDE pour des études de cancérologie. Or, pour faire une étude avec 50 rats par lots, il aurait fallu au chercheur recueillir un financement bien supérieur (d'autant que certains experts de l'Anses parlent de 80 rats par groupe/sexe). Mais cette étude va être refaite, a annoncé la ministre de l'Environnement, Mme Batho, au HCB. Il semble finalement paradoxal d'avoir refusé de subventionner l'étude du Pr. Séralini pour, ensuite, demander à ce qu'elle soit refaite car soulevant des questions non encore répondues. Pour certains acteurs, la mise en place d'un fonds publics alimenté par les entreprises de biotechnologie permettrait de financer les études menées de façon contradictoire et réellement indépendante lors du dépôt de demandes d'autorisation de l'OGM. Le gouvernement français a annoncé la menée d'une telle étude. Inf'OGM attend avec impatience le cahier des charges de cette étude censée être indépendante, transparente et contradictoire.