
Députée européenne, Docteur en Droit
Actu-environnement : Vous portez un projet de rapport proposant de limiter le taux d'incorporation des agrocarburants de première génération, produits à partir de cultures alimentaires et énergétiques. Quel est votre sentiment sur la position du Parlement européen à la veille du vote en plénière sur votre proposition ?
Corinne Lepage : Globalement, l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE), le groupe Socialistes et démocrates (S&D) et Les Verts soutiennent ma proposition plus ou moins fortement. Les Verts, par exemple, la soutiennent du bout des doigts compte tenu du compromis qu'ils jugent acceptable sans être extraordinaire.
C'est surtout le Parti populaire européen (PPE) qui est vent debout contre ce projet de réforme. Aujourd'hui, le PPE souhaite relever la limitation de l'incorporation d'agrocarburants de 5 à 6,5, voire 7 ou 8%. Quant à la prise en compte des émissions liées au changement d'affectation des sols indirect (Casi, ou Iluc selon l'acronyme anglais), le PPE ne veut pas en entendre parler. La droite européenne admet que le changement d'affectation des sols pose problème, mais refuse sa prise en compte au motif que ce serait de la "mauvaise science", les études ne seraient pas encore suffisamment concluantes pour agir ! Le PPE critique notamment l'étude de l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri, selon l'acronyme anglais) qui sert de base aux propositions de la Commission.
AE : Quels sont les points clés du compromis proposé ?
CL : Aujourd'hui, la Commission propose de plafonner à 5% l'incorporation des agrocarburants de première génération et de mettre un terme en 2020 aux quelque 6 à 7 milliards d'euros de subventions annuelles.
Mon objectif est de donner une direction claire à la politique européenne en matière d'agrocarburants. Il s'agit de combiner un seuil pour la part des produits agricoles alimentaires utilisés pour produire des agrocarburants, de ne pas mettre en danger les acteurs économiques concernés et d'encourager les investissements en faveur des agrocarbuants de deuxième génération produits à partir de la biomasse non alimentaire (lignocellulose) et de troisième génération (algues, power to gaz...).
S'agissant du plafonnement de l'incorporation des agrocarburants, le compromis adopté par la commission Environnement du Parlement européen fixe le taux à 5,5% et celui adopté par la commission Industrie à 6%.
Quant à atteindre 10% d'énergies renouvelables dans les transports en 2020, l'objectif reste réalisable. Aux 6% d'agrocarburants de première génération, s'ajouteraient 1,5% d'électricité d'origine renouvelable dans les transports (véhicules et rails) et 2,5% d'agrocarburants de seconde génération. Sans compter qu'aujourd'hui le recours aux huiles usagées et aux graisses animales représente environ 0,5% de l'énergie consommée pour les transports sans être pris en compte comme des agrocarburants.
AE : Et en matière de prise en compte du changement d'affectation des sols indirect ?
CL : Mon objectif est d'inscrire dans la législation européenne une obligation de le prendre en compte à partir d'une date donnée. Pour l'instant, le compromis passé avec le PPE visait à l'inclure dans la directive qualité des carburants en 2020 et de ne pas l'inclure dans la directive sur les renouvelables.
Cependant, le PPE semble aujourd'hui rejeter ce compromis au motif que cela graverait dans le marbre des règles de prise en compte du Casi qui détruiraient des emplois et l'industrie des agorcarburants. C'est totalement faux puisque ma proposition prévoit une revue de méthodologie en 2016 avant l'application en 2020. Ils sont très clairement de mauvaise foi.
AE : Voyez-vous là l'intervention de lobbies ?
CL : Evidement, des lobbies très puissants sont à l'oeuvre. Que les agriculteurs défendent leurs intérêts et qu'ils soient entendus par certains eurodéputés, je peux le comprendre. Mais sur ce dossier, le lobby le plus actif est celui des producteurs d'huile de palme. Ils ont fait une campagne tous azimuts avec, entre autres, un voyage en Malaisie pour plaider la cause de leur produit auprès des parlementaire . Evidemment, les parlementaires qui ont participé à ce voyage n'ont pas vu la réalité des petits exploitants agricoles malaisiens expulsés de leurs terres par la politique de terre brûlée dont bénéficient les plantations industrielles.