
Directeur général adjoint de Bio Intelligence Service
Actu-Environnement : Plusieurs instruments économiques incitatifs pour développer le recyclage sont mis en avant par Bruxelles dans un récent rapport dont vous êtes l'un des auteurs. Quels sont-ils ?
Shailendra Mudgal : Cette étude, lancée en 2010, présente une dizaine d'outils économiques mais en analyse trois de manière détaillée. Il s'agit des taxes et des interdictions de mise en décharge et d'incinération, des programmes de responsabilité du producteur et des systèmes de tarification incitative en fonction de la production de déchets. L'objectif était de permettre à la Commission européenne d'intervenir au travers de recommandations ou d'aller plus loin en proposant des réglementations ou des accords volontaires. Les aspects économiques sont en effet l'un des outils considérés comme les plus efficaces, au moins dans certains pays.
AE : Quels sont les outils économiques actuellement privilégiés par les pays membres ?
Shailendra Mudgal : L'expérience des États a démontré que l'effet combiné des instruments économiques permet non seulement de limiter la quantité des déchets lors de l'utilisation des produits mais aussi d'agir à la source via l'éco-conception des produits. Les taux de mise en décharge et d'incinération ont baissé dans les pays où les interdictions ou les taxes ont entraîné une augmentation des coûts. Au Danemark, le pourcentage de déchets municipaux mis en décharge a diminué pour passer de 18% en 1995 à 3% en 2009 après une augmentation de taxes sur les décharges en combinaison avec des restrictions à l'enfouissement.
Le coût de l'incinération varie entre 45 euros par tonne en République tchèque à 175 euros par tonne en Allemagne. Le niveau de taxation de mise en décharge varie également entre 3 euros la tonne en Bulgarie et plus de 100 euros aux Pays-Bas où zéro déchet est enfoui. En France, la taxation est située entre 11 et 20 euros la tonne. Avec les charges fixées par les opérateurs de la mise en décharge, ce taux se situe entre 17,50 euros en Lituanie et 155,50 euros en Suède. Le rapport démontre que plus cette taxation est forte et moins nombreux sont les déchets enfouis. Le coût de mise en décharge à partir de 30- 40 euros a un impact sur la réduction des déchets et le recyclage dans certains pays comme la France, la Suède, le Luxembourg et l'Allemagne. Lorsque les frais liés à l'enfouissement atteignent 100 euros la tonne, le taux de recyclage peut même avoisiner les 50%. La Belgique (1% de déchets en décharge), l'Allemagne (0%), les Pays-Bas (0%), l'Autriche (1%), la Suède (1%) ou le Danemark (3%) qui ont taxé l'enfouissement et l'incinération ont exclu ou presque la mise en décharge. Les taxes sur les décharges restent pour le moment les plus efficaces et l'option la plus intéressante pour encourager le recyclage.
AE : Qu'en est-il des filières de responsabilité élargie des producteurs ?
Shailendra Mudgal : La Commission européenne mise sur le renforcement des programmes de responsabilité des producteurs via les éco-organismes qui ont permis à plusieurs états de collecter et de redistribuer les fonds nécessaires à l'amélioration des collectes séparées et du recyclage. Mais ces systèmes récents découlant de la réglementation nécessitent une planification et un suivi car la rentabilité et la transparence varient énormément entre les pays et les flux de déchets. Pour les emballages par exemple, la redevance des producteurs payée aux éco-organismes, évaluée notamment en fonction de la tonne mise sur le marché, dépend fortement du matériau utilisé. La redevance varie entre 8 euros en Roumanie et 175 euros en Allemagne pour le papier, entre 5 euros en France et 260 euros en Lituanie pour le verre, entre 3 euros en Finlande et 282 euros en Suède pour l'acier, et entre 20 euros en Roumanie et 1.300 euros en Allemagne pour le plastique.
Le rapport constate également un écart important entre les pays sur les filières DEEE qui ne sont pas harmonisées. Les déclarations des produits ne sont pas uniques dans l'UE. Or, il faut optimiser ces filières et débloquer des ressources. La responsabilité élargie des producteurs a un potentiel au travers des éco-contributions versées par les producteurs pour financer le recyclage. Ces éco-participations sont plus faciles à appliquer dans les pays que l'instauration d'une taxe.
AE : La mise en décharge est principalement utilisée dans les derniers pays entrés dans l'UE et ceux touchés par la crise. De nouvelles taxes ne risquent-elles pas d'être retoquées dans ces Etats fragilisés ?
Shailendra Mudgal : A l'heure actuelle, en période de crise, toutes les mesures environnementales étudiées à Bruxelles doivent se justifier quant à l'impact sur l'économie dans l'ensemble. Celles-ci peuvent être considérées comme un alourdissement lié au coût de mise en place des mesures. Mais le secteur des déchets, générant beaucoup de recettes et créateur d'emplois, a suffisamment d'arguments économiques favorables au développement des filières. La Commission a inclus la gestion rationnelle des déchets dans les conditions d'octroi de certains fonds européens. Les instruments économiques sont pour l'heure établis sur le mode volontaire. La Commission européenne juge néanmoins nécessaire de les imposer juridiquement dès 2014 à tous les états membres afin d'atteindre leurs objectifs 2020 en matière de déchets. L'Europe pourrait alors proposer un seuil minimal de taxe. Mais le niveau de taxation doit être fixé par les Etats membres car des écarts économiques persistent entre les pays. Il faut laisser une souplesse aux Etats en matière de fiscalité des déchets et en tenant compte de l'avancée du pays sur cette problématique. Il faut aussi trouver un bon équilibre entre les aspects réglementaires et la mise en place d'un nouvel instrument financier pour éviter des effets pervers.
AE : La France a prévu d'augmenter la TGAP sur la mise en décharge. D'autres instruments économiques sont-ils envisagés ?
Shailendra Mudgal : En matière de recyclage, la France n'est ni la meilleure élève ni la plus mauvaise. La Belgique et les Pays-Bas ont un taux de recyclage beaucoup plus élevé que la France et atteignent une performance équivalente à la croissance économique de leur pays. La France utilise les éco-contributions financées par les fabricants pour la collecte et le recyclage des emballages via le Point vert mais aussi des DEEE. La France reste axée sur les textes réglementaires et a développé des approches en matière de systèmes de tarification incitative. Elle a élargi le bonus malus sur l'éco-contribution des DEEE depuis le 1er juillet 2010 et des emballages depuis le 1er janvier 2012 pour prendre en compte les efforts en matière d'éco-conception. Un bonus sur les produits éco-conçus a un impact sur les déchets générés. La France réfléchit à élargir ce dispositif à toutes les filières REP mais hésite encore. Le ministère de l'Ecologie et l'Ademe envisagent de compléter la liste des produits prioritaires concernés par un bonus malus à l'éco-contribution pour 2012.
L'Ademe a également lancé un appel d'offres il y a deux mois sur le potentiel des certificats de recyclage négociables, qui sont un autre type d'instruments économiques permettant d'encourager le recyclage. Ces certificats pourraient prendre différentes formes. L'une d'entre elles pourrait consister à créer un système commercial de certificats analogue à celui de l'électricité verte.