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« La réponse à l'augmentation de la criminalité environnementale est croissante »

Le général Sylvain Noyau présente le rapport sur l'état de la menace liée à la criminalité environnementale. Piloté par l'Oclaesp, il est destiné à orienter l'action des multiples acteurs de la lutte contre les atteintes à l'environnement.

Interview  |  Gouvernance  |    |  I. Chartier
Droit de l'Environnement N°319
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°319
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« La réponse à l'augmentation de la criminalité environnementale est croissante »
Sylvain Noyau
Chef de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique, Oclaesp
   

Actu Environnement : Qu'est-ce qui vous a amené à rédiger ce rapport (1)  ?

Sylvain Noyau : L'une des missions d'un office central est de faire du renseignement criminel. En centralisant les informations issues des enquêtes judiciaires, nous devons identifier les modes opératoires des groupes criminels, les tendances et les phénomènes émergents en matière de criminalité environnementale. L'objectif du renseignement criminel est de parvenir à réaliser une cartographie de la menace, pour adapter la riposte et anticiper sur l'avenir. Ces renseignements permettent d'établir une stratégie et de fixer des priorités.

Ce rapport permet d'orienter l'action. Vers le haut d'abord, quand on transmet cet état de la menace aux autorités politiques pour qu'elles identifient ce qu'il faut faire évoluer dans la réglementation. Ce rapport a également été transmis au directeur général de la Gendarmerie nationale, pour identifier les secteurs où il est nécessaire de développer des moyens supplémentaires. Vers le bas ensuite, ce sont les unités territoriales, pour qu'elles identifient les sujets les plus sensibles et orientent leur action, en fixant des priorités.

AE : Comment a été élaboré ce rapport ?

SN : Il s'agit d'un travail très important et collectif. Il a été élaboré à partir des contributions de plusieurs acteurs. Nous sommes un office interministériel, ce qui explique que nous ayons été désignés comme chef de file en matière de renseignement criminel. Le travail a d'abord consisté à identifier des acteurs de la lutte contre les atteintes à l'environnement, puis à leur demander ce qu'ils pensaient de l'état de la menace en matière de criminalité environnementale en France. Il ne s'agit pas seulement d'acteurs institutionnels, nous avons également sollicité la société civile organisée, comme la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), les réserves naturelles, etc. Tous nous ont ensuite fait remonter des renseignements, chacun sur son périmètre d'action, et le rapport en est la synthèse. C'est un vrai travail d'analyse, car il a fallu faire ressortir un état global et identifier de quoi nous avions besoin pour faire évoluer le dispositif de lutte. Les données rassemblées portent sur l'année 2021 et s'étendent jusqu'en mars 2022.

Ce rapport fournit, pour chaque thématique (risques technologiques, atteintes aux espèces, atteintes aux espaces naturels), des éléments de contexte, une typologie des menaces, les difficultés rencontrées et les moyens de lutte actuelle et de demain.

AE : Le rapport fait état d'une multiplicité d'acteurs, administratifs ou judiciaires, pouvant contrôler, constater, poursuivre. Comment se coordonnent-ils ?

SN : La coordination fonctionne bien. Nous avons pris l'habitude de travailler ensemble. Nous sommes d'ailleurs en co-saisine sur 70 % des dossiers que l'on traite. À titre d'exemple, concernant l'un de nos dossiers sur un trafic de civelles, nous sommes saisis, avec l'Office français de la biodiversité (OFB), la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP), ainsi que la douane judiciaire. La raison de ces co-saisines est que nous avons chacun des prérogatives et des compétences différentes qui se complètent. L'OFB est très compétent en ce qui concerne le monde de la pêche, il réalise par exemple de manière rapide et efficace le contrôle des fiches de pêche. Les douanes judiciaires ont, quant à elles, les moyens d'identifier le cheminement du trafic de civelles et fournissent des renseignements sur les flux. À l'Oclaesp, nous apportons nos compétences en termes d'enquête judiciaire et de lutte contre la criminalité organisée, avec notre connaissance des contentieux environnementaux.

Le plus souvent, un service est saisi d'un dossier et va de lui-même solliciter d'autres services pour travailler dessus, sous réserve de la décision des magistrats bien sûr. En revanche, il est très rare que les magistrats aient besoin d'imposer des co-saisines. En général, les services en prennent l'initiative, en fonction de leurs prérogatives. C'est ainsi que des automatismes se créent, sans cacophonie.

En termes de coordination, la clé est une meilleure communication entre l'administratif et le judiciaire. L'administration doit alerter le judiciaire suffisamment tôt. Il doit y avoir un dialogue permanent entre les deux. Aujourd'hui, l'efficacité de cette communication est variable. Cela fonctionne mieux à certains endroits qu'à d'autres. Il existe toutefois des comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale (Colden) sous l'autorité du procureur et du préfet, dont l'objectif est d'améliorer et d'accélérer le partage d'informations entre les divers acteurs (préfet, procureur, administrations compétentes).

AE : Les conclusions du groupe de travail Molins proposent la création d'un service national d'enquête spécialisé en environnement. Qu'en pensez-vous ?

SN : La coordination entre les organismes est importante, et nous en avons besoin. Il y a aujourd'hui 70 catégories d'agents qui peuvent rechercher et constater des infractions environnementales.

Deux voies sont possibles : créer un service à compétence nationale, comme cela est le cas pour l'Office antistupéfiants (Ofast), ou travailler sur le renforcement de la coopération entre les acteurs, en créant une communauté de coordination. Je n'ai pas à ce stade d'idée arrêtée sur le sujet, mais ce sont des questions que nous nous posons.

À l'heure actuelle, la coordination fonctionne bien, même si cela n'est pas parfait. L'un des chantiers du quinquennat actuel, piloté par l'Oclaesp et le ministère de la Justice, est de renforcer la lutte contre les atteintes à l'environnement. Dans ce cadre, tous les services travaillent de concert pour identifier les objectifs à fixer. On a organisé plusieurs réunions, fin 2022, à la fois au niveau central mais aussi avec les services déconcentrés (Dreal) pour réfléchir ensemble à la manière dont on pouvait renforcer la lutte contre les atteintes à l'environnement, fixer des objectifs matérialisés par des indicateurs et garantir la bonne trajectoire de ces objectifs. Pour ce faire, nous n'avons pas eu besoin d'un service à compétence nationale. Toutefois, cette dernière solution peut également comporter des avantages.

AE : Dans votre rapport, il est également question de former gendarmes, policiers, magistrats et douaniers. Depuis quand ces formations existent-elles ? Avez-vous constaté un impact positif de ces formations sur le traitement des enquêtes ? Prévoyez-vous de les élargir ?

SN : Ces formations existent depuis 1993 pour les gendarmes. Elles ont été ouvertes aux magistrats, policiers et douaniers en 2019. Elles sont dispensées sur deux volets, environnemental et de santé publique. Il y a effectivement, grâce à elles, une meilleure réponse au niveau des enquêtes. Cela facilite la prise en compte des contentieux, qui sont très complexes. On a aujourd'hui à peu près 500 enquêteurs formés sur tout le territoire, auxquels on peut se référer.

Nous prévoyons d'ouvrir ces formations aux gendarmes verts. Il s'agit d'un projet du ministre de l'Intérieur, qui prévoit des gendarmes formés aux atteintes à l'environnement dans chaque brigade. Nous prévoyons également de les ouvrir aux unités de milieux, qui sont des brigades spécialisées (unité de haute montagne, unité nautique, etc.). L'idée est de simplifier ces formations et de les orienter vers les sujets du quotidien auxquels sont confrontés les gendarmes : incivilités, déchets, incendies, pollutions locales, etc.

Nous ouvrirons certainement des modules aux policiers municipaux également.

AE : Le rapport fait état d'une augmentation de la criminalité environnementale. Arrivons-nous à apporter une réponse suffisante à celle-ci ?

SN : Suffisante, non, mais la réponse est croissante, c'est certain. Il y a une réelle prise en compte de ce problème, avec une forte volonté politique de renforcer la lutte. Cette forte volonté est relayée vers chacun des acteurs. Divers moyens sont ainsi mis en place, répressifs mais pas seulement, tels que la spécialisation des magistrats, la création des pôles régionaux environnementaux, la future création de la gendarmerie verte, le développement des formations…. Tous les acteurs sont de plus en plus mobilisés.

Mais il faut aussi avoir à l'esprit que plus nous réglementons, plus nous créons de dispositifs contraignants, et plus d'opérateurs indélicats vont chercher à contourner les lois, avec l'aide de groupes criminels.

AE : Quelles sont vos priorités, à l'Oclaesp, en matière d'atteintes à l'environnement ?

SN : Notre champ d'action est très large. Les principaux sujets sont les déchets, le trafic d'espèces protégées et le trafic de produits phytosanitaires. Mais nous travaillons également beaucoup sur les affaires de pollution, l'amiante, les incendies de forêt, ainsi que sur la maltraitance animale.

Les déchets sont un sujet fort, car il s'agit d'un segment dans lequel nous avons identifié beaucoup de réseaux criminels. Dans son rapport de 2021, l'Office européen de lutte antifraude (Olaf) a estimé que 30 % des transferts de déchets au sein de l'UE étaient illicites. Quant au trafic de produits phytosanitaires, c'est également l'un des principaux contentieux dans lequel il existe des réseaux criminels à l'échelle de l'Union.

La lutte contre le crime organisé étant l'une de nos compétences, cela explique que nos actions en matière de déchets, de produits phytosanitaires et d'espèces protégées (et plus généralement du patrimoine naturel) soient aussi importantes, puisqu'il s'agit des principales atteintes pour lesquelles la bande organisée est caractérisable en matière environnementale, depuis la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016.

AE : L'état de la menace en matière de criminalité environnementale a-t-il déjà été réalisé à d'autres échelles ?

SN : Nous nous sommes vu attribuer par la Commission européenne le pilotage d'un projet qui nous a permis, en consortium notamment avec l'École nationale de la magistrature, ainsi qu'une université italienne, de produire un rapport sur l'état de la menace à l'échelle, cette fois, de l'UE. Dans ce rapport, une première partie dresse le bilan de la criminalité environnementale au sein de l'Union, puis une seconde réalise un fichage par pays, où chacun d'entre eux fait état de sa situation, en identifiant les problèmes et les réussites. Ce rapport permet une identification collective par les États membres de l'état de la menace, pour organiser une meilleure lutte contre la criminalité environnementale. Il offre également l'occasion, à chaque pays, de constater ce qui est développé chez ses voisins, et d'éventuellement s'en inspirer pour s'améliorer.

AE : Quelles sont les forces et les faiblesses de la France en matière de lutte contre la criminalité environnementale ?

SN : Nous avons un dispositif pénal adapté en termes de sanctions par rapport à d'autres pays de l'Union. Toutes les infractions environnementales sont pénalement sanctionnables, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays. Beaucoup d'entre eux ne disposent que de sanctions administratives, ce qui est moins dissuasif et limite le champ d'action car cela ne permet pas d'avoir les mêmes capacités d'enquête. Par exemple, concernant le bois, il y a seulement dix-sept pays au sein de l'Union où les infractions donnent lieu à des sanctions pénales, alors que les enjeux sont importants, en termes de climat, de biodiversité, de déforestation. Par conséquent, si un trafic de bois s'étend sur plusieurs pays, dans ceux où il n'y a pas d'infractions définies, l'enquête judiciaire ne peut se poursuivre. Ces situations sont très bloquantes. Une harmonisation communautaire est donc essentielle, puisque la criminalité environnementale est une criminalité transnationale.

En revanche, en matière de droit pénal environnemental français, nous avons trop de textes, répartis dans quinze codes différents. Il s'agit là d'une faiblesse.

1. Consulter le rapport <br />
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-41088-rapport-criminalite-environnementale-2022.pdf

Réactions2 réactions à cet article

Je suis surprise que les DDT ne soient pas citées pages 13/15 de ce rapport, il me semble pourtant qu'elles aient des pouvoirs de police judiciaire en matière d'environnement...

rectifions les faits | 02 février 2023 à 10h17 Signaler un contenu inapproprié

Rapport très bien fait, merci pour sa diffusion! Les exemples sont la preuve des imaginations (criminelles) débridées, engendrées entre autres par des textes toujours plus complexes et pas toujours clairs, ni cohérents entre eux ... M.Noyau résume bien cette "faiblesse": "Nous avons trop de textes". Il semble par contre que les très (trop) nombreux acteurs impliqués dans la lutte contre la criminalité environnementale constituent bien aussi une faiblesse, que l'interviewé, tenu entre autres par son devoir de réserve ne puisse pas critiquer directement.

Pasisimple | 02 février 2023 à 14h21 Signaler un contenu inapproprié

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