Mercredi 15 février 2011, le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS) organisait un colloque intitulé "décentralisation de l'énergie : stratégie et territoires" afin de confronter expériences et analyses. A cette occasion, le débat, au-delà de l'optimisme de rigueur, a pointé des difficultés concrètes posées par le jacobinisme français, mêlant pouvoir administratif et centralisme.
Le poids du passé
D'emblée, Edward Arkwright, directeur de la stratégie de la Caisse des dépôts (CDC), évoque le "poids du passé" qui pèse sur les ambitions de changement. Pour le représentant de la banque publique, si les collectivités locales s'intéressent de plus en plus aux enjeux énergétiques, le centralisme français et un réseau de distribution énergétique centralisé ne favorisent pas le changement.
Dans ce contexte, Christian Pierret, maire de Saint-Dié-des-Vosges (Vosges) et président de la Fédération des villes moyennes, appelle à "une véritable révolution culturelle". Cependant, l'ancien ministre de l'Industrie et de l'Energie affiche des doutes quant à la capacité de l'Etat à promouvoir rapidement la décentralisation. Aussi juge-t-il qu'il ne faut pas attendre de nouvelles lois de décentralisation, mais plutôt œuvrer concrètement avec les moyens disponibles pour révolutionner "les représentations et les pratiques locales".
L'outre-mer comme pilote ?
Erik Guignard, consultant auprès du Syndicat des énergies renouvelables (SER), a plaidé pour que les régions ultramarines soient des modèles pour la décentralisation de la question énergétique.
Plusieurs éléments plaident pour cela, et en particulier le fait que les coûts de production des énergies conventionnelles sont très élevés, les gisements d'énergies renouvelables sont importants, l'insularité est favorable à l'élaboration de smart grids pilotes et une telle politique bénéficierait aux PME et PMI locales.
Si la tache semble ardue certains éléments incitent à l'optimisme. C'est tout d'abord le sujet en lui même qui porte la décentralisation, puisque, pour Christian Pierret, la question des émissions de CO2 "place au cœur des préoccupations les transports et le bâtiment", deux sujets sur lesquels les élus locaux ont une prise directe. "Construire, vivre et se déplacer autrement", telles sont les questions centrales posées par la transition énergétique.
Une vision partagée par Roman Nägeli, consultant pour Sofies, qui estime qu'"il est trop facile de dire que la France n'avance pas à cause des blocages institutionnels". Pour le consultant spécialisé dans l'accompagnement "d'un système hyper-industriel vers un écosystème industriel", de nombreux acteurs locaux peuvent et doivent se réapproprier les enjeux énergétiques, et en particulier les copropriétés, les coopératives locales et les élus.
C'est d'ailleurs "toute la logique du Grenelle", plaide Axel Strang, chargé de mission filières vertes à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de l'Ecologie, expliquant que si les objectifs sont définis à l'échelon national, leur déclinaison est avant tout locale. Et de rappeler la place accordée aux autorités locales via les schémas régionaux climat air énergie (SRCAE), les schémas régionaux de l'éolien (SRE) ou encore les plans climat énergie territoriaux (PCET).
Il semble aussi que cette prise de conscience des acteurs locaux progresse. "On a été submergé", indique directeur de la stratégie de la Caisse des dépôts (CDC) en évoquant les fonds mis à disposition pour la rénovation thermique des HLM. L'objectif fixé par le gouvernement, à savoir la rénovation de 100.000 logements en quatre ans, a été mis en œuvre par les acteurs locaux en deux ans…
Autonomiste, Croisés et Astérix
Reste que le paysage n'est pas toujours aussi enthousiasmant et il faut souvent une bonne dose de persévérance pour porter à bien un projet local. Si tout le monde s'accorde à dire que l'usage de la biomasse, qui "favorise l'emploi et le développement économique local", synthétise Edward Arkwright, est l'un des éléments incontournables d'une politique locale de l'énergie, de nombreuses difficultés restent à surmonter.
C'est notamment le cas de la méthanisation qui propose "un vrai projet de territoire" transformant les déchets locaux en énergie et en amendement pour l'agriculture, rappelle Eric Lecomte, directeur du département Energie et environnement de la CDC. Cependant, les projets d'envergure manquent et l'exemple de la communauté de commune de Mené (Côtes d'Armor) qui vise une totale autonomie énergétique d'ici 2030 fait figure d'exception. Il s'agit là d'une démarche d'"autonomistes", estime Eric Lecomte, déplorant qu'une telle approche soit réservée a des collectivités particulièrement déterminées à l'image du "village d'Astérix".
Il y a là un "rapport de force entre l'Etat et les collectivités locales", confirme Christian Pierret qui explique que si la loi soutient la biométhanisation, dans les faits les textes d'application découragent cette pratique. Pour l'ancien ministre, la complexité des textes réserve le recours à cette énergie à une minorité de "Croisés des bioréacteurs".
Plus globalement, c'est le pilotage par l'Etat qui semble être inadapté aux problématiques de la biomasse. En effet, Pierre de Montlivaud, directeur des nouvelles offres énergétiques de Dalkia, rappelle que les appels d'offres nationaux, ouverts à des projets de grosses chaufferies industrielles bénéficiant d'une bonification versée par le Fonds chaleur pour la chaleur renouvelable produite, n'ont pas abouti pour environ la moitié des projets retenus par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Et de conclure : "les réseaux de chaleurs ne se développent que si les élus locaux se saisissent du sujet".