
Président de la commission des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP) de déchets
Actu-Environnement : Quel est le principal problème dont souffre le dispositif français de responsabilité élargie du producteur (REP) ?
Jacques Vernier : La réglementation européenne et française fixe des objectifs de collecte, de recyclage et de valorisation aux producteurs. Je leur donne acte des progrès réalisés : par exemple, 69% des emballages sont maintenant collectés séparément et près de la moitié des déchets électriques et électroniques (DEEE) aussi. Toutefois, les objectifs officiels ne sont pas toujours atteints. Je préfère des objectifs réalistes accompagnés de sanctions à des objectifs irréalistes sans sanction.
Sur le modèle du secteur de l'énergie, je propose donc de donner plus de liberté aux éco-organismes et de les sanctionner s'ils n'atteignent pas leurs objectifs. On pourrait établir une sanction financière équivalant au double du coût d'atteinte de l'objectif. Par exemple, pour les emballages, Citeo aurait à payer l'équivalent de 5% des éco-contributions qu'il perçoit pour un point d'écart avec l'objectif.
L'idée est de considérer que les éco-organismes sont au cœur du système, puisqu'ils passent des contrats avec leurs adhérents à l'amont et avec des opérateurs de traitement et des collectivités à l'aval. C'est ce que j'appelle le "diabolo". En conséquence, ils doivent organiser le dispositif et répondre de l'atteinte des objectifs.
AE : Comment voulez-vous leur donner plus de liberté ?
JV : Je préconise notamment que les filières financières puissent devenir plus opérationnelles. Cela se ferait sur une base contractuelle et volontaire, en accord avec les collectivités locales en charge du service public de gestion des déchets. En Allemagne, les éco-organismes interviennent directement après la collecte des déchets, et en Belgique, ils entrent en jeu après le tri. En France, ils n'interviennent pas et se contentent de financer. Je propose que les collectivités puissent leur donner un droit de regard sur la collecte et leur transférer la compétence de tri et de revente des matières. Je ne veux pas imposer un schéma opérationnel, mais je suggère que Citeo puisse le proposer dans un système gagnant-gagnant.
Dans le même esprit, je pense qu'il est possible de diviser par 5 le volume des textes législatifs et réglementaires. La France a empilé des couches de réglementations parfois contradictoires. Je propose de simplifier le dispositif en adoptant un tronc commun à toutes les REP, avec ensuite la définition des objectifs de collecte, de recyclage, de performance, de maillage du territoire, ou encore d'économie sociale et solidaire (ESS). Ensuite, la réglementation déclinerait ces objectifs filière par filière en fonction de leurs caractéristiques.
AE : Cette simplification concerne-t-elle aussi la gouvernance des filières REP ?
JV : Pour que le dispositif des REP fonctionne bien, il faut instituer une commission unique des filières REP qui donnerait son avis sur toutes les filières, au nom de l'intérêt général. Elle aurait une composition équilibrée entre toutes les parties prenantes et privilégierait les organisations généralistes. Le droit de vote de l'Etat y serait rétabli et des personnalités indépendantes y siègeraient. C'est la grande leçon que je tire de la rébellion d'EcoDDS qui a été rendue possible parce que les metteurs sur le marché disposent d'une majorité écrasante en commission de filière.
Je propose aussi qu'une autorité administrative indépendante chapote le dispositif. Elle exercerait l'essentiel des tâches effectuées actuellement par l'Ademe et le ministère en charge de l'écologie. Son financement serait essentiellement assuré par les producteurs. Enfin, elle serait capable de prononcer des sanctions qui seraient affectées à l'Ademe.
AE : Votre rapport recommande aussi de créer de nouvelles REP et d'en étendre d'autres.
JV : Je propose effectivement de créer cinq REP et d'en étendre trois à de nouveaux produits. Le but est de réduire le volume de déchets dont la collecte et le traitement sont financés par les seules collectivités.
Du côté des créations de REP, j'en propose une pour les huiles alimentaires et une pour les huiles de moteur usagées. L'objectif ici est essentiellement environnemental, puisque ces déchets liquides ont une forte capacité à polluer les milieux. La REP sur les déchets du BTP doit permettre une reprise gratuite de ces déchets grâce au financement d'un éco-organisme. C'est un point sur lequel je me battrai, parce que le dispositif de "responsabilité élargie du distributeur" s'appuie sur une reprise payante qui risque de rendre le dispositif inefficace. Ici, il s'agit surtout de favoriser le recyclage, à l'image de ce qui se fait en Belgique. Enfin, je propose deux REP pour les jouets et les articles de sport. L'objectif est de favoriser le réemploi, à l'image de ce que fait l'association Rejoué.
Du côté des extensions, il faut élargir le périmètre de la filière des déchets dangereux des ménages aux déchets des artisans. C'est le vice fondamental de la filière : EcoDDS ne veut pas collecter les déchets des artisans pour lesquels il ne collecte pas d'éco-contribution et les collectivités doivent doubler une collecte en neuf flux, ce qui aboutit à gérer 18 bacs en déchèterie ! C'est ubuesque. Je suggère aussi d'étendre la REP emballages ménagers aux emballages des cafés, hôtels et restaurants, et celle des VHU aux voiturettes, motos et quads.