
© Damien Goubeau
Le concept n'est pas nouveau : les fibres végétales ont été introduites dans certains matériaux de construction (parpaings, isolants, panneaux, etc) et dans les matériaux composites. L'incorporation de fibres végétales (bois, lin, chanvre) dans les matériaux thermoplastiques ou thermodurcissables en remplacement des fibres de verre est un concept commercialisé, notamment par la société AFT Plasturgie, spécialisée depuis 2001 dans le développement de nouvelles applications pour le chanvre. La société commercialise un composite qui associe du PVC avec du chanvre ou de la farine de bois, pour fabriquer des profilés de terrasse, pontons ou barrières, a souligné Hervé Faucheron, responsable du développement technique et commercial, à l'occasion de la journée technique. La société, qui mène actuellement des recherches avec l'Institut National de Recherche Agronomique (INRA), commercialise également ces composites dans les pièces d'habillage intérieures d'automobiles où les polypropylènes sont associés à 30 % de chanvre. On trouve aussi ces composites dans l'électroménager (aspirateurs, fers à repasser), a-t-il ajouté. Car la substitution des fibres végétales aux fibres synthétiques présente de nombreux avantages, explique l'Ademe, tant en termes de baisse des coûts et de l'impact environnemental, liés notamment à une réduction du temps de cycle au stade de la fabrication. Au regard des avantages figurent aussi le gain énergétique, le caractère renouvelable de la ressource, la réduction du contenu en matières premières fossiles et le recyclage.
Des fibres de lin et de chanvre dans les voitures
Concernant le secteur automobile, un véhicule peut contenir plusieurs kilos de chanvre, de lin, voire de sisal ou d'abaca : accoudoirs, tablettes arrières, médaillon de porte, dossier de siège. Si en 2015, toutes les nouvelles voitures commercialisées en Europe devront être recyclables à 95 %, les constructeurs automobiles à l'instar du français PSA Peugeot-Citroën se tournent déjà vers ces matériaux ''verts''. Depuis le mois d'avril, toutes les Peugeot 207 sortent d'usine avec une pièce du rétroviseur contenant 30% de fibres de chanvre. PSA a également annoncé le 8 octobre son objectif de tripler la part des matériaux verts dans les pièces en plastique des voitures à l'horizon 2011 pour atteindre une proportion de 20% des polymères dans les véhicules du groupe à cette échéance, puis de 30% en 2015, contre une proportion de 6 à 7% actuellement. PSA table sur 2/3 de matériaux recyclés et 1/3 de fibres naturelles. Ces fibres naturelles participent en effet à la réduction du poids des pièces du véhicule. Les composites thermoplastiques chargés de fibres naturelles (chanvre, lin), plus légers de 20 à 30 % que les fibres de verre, permettent ainsi de réduire le poids des véhicules et les émissions de CO2. Toutefois, ces matériaux ''verts'' restent pour l'heure utilisés pour les parties non visibles de la voiture.
Des isolant naturels
Si ces biomatériaux renforcés de fibres se déclinent sous des objets aussi variés que des hélices de refroidissement, des tableaux de bord de scooter ou des matériaux d'emballage, le lin et le chanvre plus particulièrement trouvent également de nouvelles applications dans les éco-matériaux de construction, où ils sont utilisés comme isolants. La laine de chanvre en remplacement de la laine de verre et la chènevotte, issue des tiges de chanvre broyées sont en mesure d'améliorer les propriétés thermo-acoustiques et hygrométriques. Mélangée à un liant à base de chaux, la chènevotte permet de confectionner des mortiers et des bétons ''qui bénéficient, en particulier, d'une porosité ouverte qui leur confèrent des performances thermiques et énergétiques'', a souligné Bernard Boyeux, vice-président de l'association Construire en Chanvre (CenC). Outre l'isolation en toiture, le béton de chanvre est également utilisé pour réalisation de dalle isolante ou le montage de mur. Alors que les constructions neuves devront à compter de 2020, présenter un bilan énergétique positif, M. Boyeux a également rappelé qu'en termes de réduction de GES, les fibres végétales renouvelables ''stockent le carbone toute la durée de vie du bâtiment, soit en moyenne une centaine d'années''. Les isolants naturels présentent ainsi de nombreux atouts environnementaux : performances d'isolation thermique, faible énergie grise pour leur fabrication et recyclabilité. Par exemple, les laines de chanvre mises sur le marché présenteraient un coefficient de conductivité thermique de l'ordre de 0.04W/m*K et des densités comprises entre 25 et 45 kg/m3, selon la coopérative agricole Chanvrière de l'aube, regroupant 350 producteurs de chanvre.
Par ailleurs, sur le plan agricole, le chanvre présente certains avantages agronomiques et environnementaux. Il est défini comme étant une plante ''étouffante'' qui empêche le développement des ''mauvaises herbes'' et qui est très résistante aux maladies et aux parasites. Avec de faibles besoins en eau, en intrants azotés, en produits phytosanitaire, il est utilisé notamment autour des champs de captages. Parmi les autres débouchés de cette plante : la graine de chanvre, très riche en oméga 3 et 6, donne une huile qui est aussi utilisée dans les cosmétiques ou en pharmacie.
Des freins à ce marché émergent en France
Si depuis quelques années le bâtiment, l'isolation, la plasturgie, l'automobile et l'agroalimentaire… s'intéressent à ces éco-matériaux, ces marchés restent occupés en majorité par les TPE/PME qui peinent encore à se développer en France. Alors que les industriels de la filière misent de plus en plus sur l'isolation écologique, ces biomatériaux représentent seulement 1% du marché des matériaux de construction, leur prix étant deux à trois fois plus élevé qu'un isolant traditionnel à base de laine de verre. ''Le prix reste un frein pour bon nombre de client mais c'est à nous de leur expliquer que les qualités techniques de cet isolant naturel sont supérieures'', explique Olivier Joreau gérant de la société Cavac Biomatériaux qui développe un isolant à base de chanvre et de lin . ''Ce qui freine, c'est la méconnaissance des performances de ces fibres végétales'', souligne Benoît Savourat, président de la Chanvrière de l'Aube. ''L'étiquette naturelle, recyclée, n'est pas toujours synonyme de durabilité'' auprès du consommateur, confie-t-on chez PSA, expliquant les raisons de la commercialisation de matériaux verts invisibles. Pour Daniel Chazelas, Président directeur général de la société Grepa de matériaux composites pour emballages, article de bureau, ''il n'y a pas assez de prise de risque de la part des clients ''de l'ancienne génération'' pour utiliser des produits nouveaux, à cause du prix et de la crise''. Si selon, l'organisation professionnelle Interchanvre, la culture du chanvre en hausse en France est passée de 8.000 ha en 2008 à 12.000 ha cette année, celle du lin a revanche baissé pour passer de 67.000 ha en 2008 à 56.000 ha en 2009, due à la crise du textile, selon le Comité interprofessionnel de la production agricole du lin.
Alors que la France reste le premier producteur européen de lin et de chanvre, ces derniers ont appelé à soutenir les projets de recherche visant à développer les filières des plantes à fibres, à travers des mesures fiscales ou dans le cadre du grand emprunt national, annoncé par Nicolas Sarkozy pour 2010, dont le montant devrait se situer entre 20 et 40 milliards d'euros. Rappelons que deux programmes de recherche de l'Ademe ciblent la mise au point des biomatériaux : le Programme de recherche et d'expérimentations sur l'énergie dans le bâtiment (Prebat) et le Programme Bioressources, Industries et Performance (BIP).