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Jugement de l'Erika : leçons et conséquences

Le jugement rendu par le Tribunal Correctionnel de Paris dans l'affaire de l'ERIKA a été traité par les médias comme une première historique du fait de la reconnaissance du préjudice écologique. Sans peut être aller aussi loin, ce jugement extrêmement motivé et articulé mérite d'être décrypté.

Publié le 24/01/2008
Le jugement rendu par le Tribunal Correctionnel de Paris dans l'affaire de l'ERIKA a été traité par les médias comme une première historique du fait de la reconnaissance du préjudice écologique. Sans peut être aller aussi loin, ce jugement extrêmement motivé et articulé, mérite l'attention sur deux points :
D'une part, dans le respect des conventions internationales, de la responsabilité des sociétés RINA et TOTAL S.A.
D'autre part, sur le montant des indemnisations pour atteinte à l'image de marque des communes et l'affirmation du principe de réparation du dommage écologique ainsi que ses modalités de calcul.
Ce jugement devrait conduire à la fois le monde économique et les collectivités territoriales à intégrer ces conséquences dans leur stratégie.

Sur le premier point, le Tribunal Correctionnel a porté son regard sur la cause déterminante du naufrage, comme l'avait du reste fait en son temps la Cour Fédérale américaine chargée d'examiner le dossier de l'AMOCO CADIZ. Les personnes renvoyées devant le Tribunal Correctionnel et dont l'intervention s'était réalisée après le chargement des cuves de l'ERIKA à Dunkerque (c'est-à-dire notamment tous ceux dont la responsabilité était mise en cause pour le chargement ou la gestion des évènements de mer) ont ainsi bénéficié du doute.
Ceci explique qu'aient été ainsi relaxés le Capitaine, tous les fonctionnaires de l'Etat qui étaient intervenus et plus généralement tous ceux dont la responsabilité était mise en cause du fait de la gestion de ces évènements de mer.

En revanche, ont été reconnus coupables ceux dont l'intervention était préalable au départ de Dunkerque c'est-à-dire qui étaient responsables de la mise à la mer d'un bâtiment dans un état catastrophique.
Ceci vise bien entendu le propriétaire du bateau, Monsieur SAVARESE (même si juridiquement il n'était pas le gestionnaire du navire du fait des montages auxquels il avait procédé), la société de classification qui en octobre 1999 avait cru pouvoir délivrer un certificat, et enfin la société TOTAL S.A dans la mesure où elle avait donné, dans le cadre du vetting*, un feu vert à un bateau dont elle ne pouvait ignorer les risques qu'il présentait. En particulier du fait de la nature de la cargaison qui allait être transporter, c'est-à-dire de fuel lourd à haute teneur en souffre.

Ce faisant, le Tribunal a évité d'avoir à trancher la question de la mise en cause de la responsabilité civile des personnes visées par la convention sur la responsabilité civile du fait de pollution (CLC) qui les exonère précisément de toute responsabilité. Mais, il a très clairement jugé que cette Convention n'était pas le seul mode de réponse à une catastrophe de mer par hydrocarbures et que toutes les personnes qui n'étaient pas visées expressément par la convention pouvaient parfaitement voir leur responsabilité mise en cause selon les règles du droit commun.

Ce jugement constitue donc une réaffirmation en force de la généralité d'application du droit commun, même lorsque, comme dans la convention sur la responsabilité civile du fait de pollution, des entreprises aussi puissantes que les sociétés pétrolières ont su organiser leur irresponsabilité juridique en tant qu'affréteurs (la CLC de 1969 a été en effet modifiée en ce sens en 1992, justement peu après le jugement de l'affaire AMOCO CADIZ).

Le second point concerne, bien entendu, le préjudice écologique.

En réalité, deux décisions avaient déjà reconnu l'existence d'un préjudice écologique, l'une au bénéfice des collectivités locales dans l'affaire des BOUES ROUGES DE LA MONTEDISON, l'autre au bénéfice des marins pêcheurs dans l'affaire de la pollution de la BAIE DE SEINE.

En l'espèce, si de manière générale le Tribunal a reconnu le droit des collectivités territoriales, communales et départementales à prétendre à voir réparer leur préjudice écologique - ce qui n'est pas le cas des Régions - le tribunal a réduit cette possibilité à l'existence d'une compétence spéciale dans le domaine de l'environnement.
C'est la raison pour laquelle seul le Département du Morbihan qui gère une réserve naturelle et qui a investi pour la sauvegarder a pu obtenir un droit à réparation. Les autres collectivités territoriales n'ont vu que l'infirmation du principe au sens de bénéficier de ces conséquences en termes pécuniaires.

En revanche, l'atteinte à l'image de marque, déjà reconnue dans d'autres décisions, a été réaffirmée avec l'allocation de sommes importantes. Les régions des Pays de Loire et de Bretagne ont ainsi pu prétendre à 3 millions d'Euros et certaines communes comme LA BAULE ont pu obtenir jusqu'à 1,5 million d'Euros pour réparer ce préjudice qui constitue à la fois un préjudice économique et un préjudice moral.

La véritable nouveauté résulte dans l'indemnisation de la LIGUE DE PROTECTION DES OISEAUX (LPO) qui se voit allouer pour la première fois, car là il s'agit effectivement d'une première, une somme de 75 € par oiseau mort.
Jusque là, la LPO n'avait pu prétendre qu'à la réparation des dépenses qu'elle avait engagées pour nettoyer et soigner les oiseaux. C'est la première fois qu'un tribunal lui alloue, comme c'est déjà le cas aux ETATS UNIS depuis de longues années, une réparation pour les oiseaux morts équivalente au coût nécessaire pour permettre la nidification et l'élevage des oiseaux de remplacement.
Il s'agit là d'une porte ouverte sur ce qui constitue réellement le préjudice écologique c'est-à-dire l'atteinte portée au milieu indépendamment de toutes considérations commerciales.

Quelles conséquences les entreprises et les collectivités territoriales peuvent-elles et doivent-elles tirer de ce jugement dont, lorsque sont écrites ces lignes, on ignore encore si appel en sera relevé ?
La première est incontestablement la nécessité pour les entreprises de penser que le droit commun peut constamment trouver à s'appliquer et qu'en conséquence, les règles de responsabilité générale, qu'elles soient pénales ou civiles peuvent toujours donner lieu à une procédure de la part de victimes.
Cela implique de revoir de manière extrêmement minutieuse, les risques de mise en cause de responsabilité et, par voie de conséquence, la sécurité juridique qui y est liée.

En second lieu, et pour les collectivités locales, la mise en exergue de leur droit à voir réparer le préjudice écologique, d'une part, et l'importance reconnue à leur image de marque d'autre part, devraient les conduire à aller beaucoup plus loin qu'elles ne le font pour un certain nombre d'entre elles aujourd'hui dans la gestion de l'un et l'autre de ces intérêts généraux.

Sans doute, en ce qui concerne le développement du tourisme et la gestion de l'image de marque, beaucoup est déjà fait. Mais, l'importance que le Tribunal Correctionnel de Paris vient de reconnaître à ce chef de préjudice, démontre le rôle majeur que l'image de chaque collectivité territoriale joue pour son développement économique, social et son rayonnement. Cette décision montre que la protection de l'environnement et la qualité de vie font parties intégrantes de cette image de marque et doivent devenir des éléments déterminants des politiques municipales.

S'agissant du préjudice écologique, le jugement devrait conduire les collectivités territoriales à inventorier de manière beaucoup plus précise qu'elles ne le font aujourd'hui, la réalité de la richesse de leur patrimoine écologique, de la préservation de la biodiversité. Toutes les actions faite dans ce domaine pourront donner lieu ultérieurement, et en cas de problème, à une indemnisation par les tribunaux ou encore à une compensation si une solution amiable peut être trouvée.

Ainsi, la décision du Tribunal Correctionnel de Paris constitue en elle-même incontestablement une jurisprudence qui fait avancer le droit non seulement dans les prétoires mais également dans la vie quotidienne et économique de notre pays et au-delà.

Corinne LEPAGE
Avocate, ancien Ministre de l'Environnement, Présidente de Cap21 avec la collaboration de Christian Huglo.

* Le vetting est le processus par lequel une société pétrolière détermine si un navire peut être utilisé à l'affrètement pour ses besoins.

Les Chroniques de Corinne Lepage et Yves Cochet sont publiées tous les mois et en alternance, sur Actu-Environnement.

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2 Commentaires

Consultant en EnR

Le 06/02/2008 à 18h01

Question: Est-ce qu'une association de quartier de logements sociaux en phase de renouvellement urbain peut se prévaloir d'un préjudice écologique et même durable quand le maître d'ouvrage refuse de suivre un diagnostic indépendant de choix d'énergie de chauffage prescrivant une solution de chauffage renouvelable?

P.S.:
1- le M.O. veut installer une solution gaz condensation
2- il y 5 ans le M.O. a déjà refusé la prescription d'une solution bois plaquettes pour imposer une solution gaz condensation

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Ariel DAHAN

Le 07/01/2009 à 20h39

Toujours sur le sujet, que penser de l'arrêt du 17 décembre 2008, qui tire les conséquences de la décision préjudicielle de la CJCE sur la nature (marchandise ou déchet) du fioul déversé par l'Erika et arrivé sur les plages?

La Cour de Cassation considérant que, en application de la décision préjudicielle, la qualité marchande du fioul a disparu (l'hydrocarbure mélangée à l'eau et au sel ne pouvant plus être utilisée comme tel), ce produit est passé de marchandise à déchet.
Et par voie de conséquence, qu'il est possible de s'interroger sur le rôle causal de Total, producteur et affrêteur de la marchandise, dans la survenue du sinistre environnemental.

Faut-il s'en réjouir ? Ou au contraire, faut-il craindre un effet retour ?

Cordialement
Ariel DAHAN

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