Pour les militants du climat, c'est une décision historique. Suite au recours de la commune de Grande-Synthe, le juge administratif ordonne au Gouvernement de vérifier que sa politique est cohérente avec les objectifs climatiques.
« Un mouvement de fond se lève et il est plein d'espérance. » C'est ainsi que l'avocat Christian Huglo a salué la décision rendue jeudi 19 novembre par le Conseil d'État en matière de politique climatique. La Haute juridiction statuait sur la requête de la commune de Grande-Synthe (Nord) et de son ancien maire, Damien Carême. Menacée par la hausse du niveau de la mer, la collectivité s'est retournée contre l'État en vue de le contraindre à renforcer sa politique climatique. Elle a été rejointe dans son action par les villes de Paris et de Grenoble, ainsi que par les quatre associations écologistes qui portent l'Affaire du siècle. L'autre grand procès français en matière de climat, qui est soutenu par plus de deux millions de citoyens, et dont l'issue est dépendante de ce contentieux.
Rôle fondamental des collectivités locales
« Cet arrêt peut être qualifié d'historique à plusieurs égards », se félicite Corinne Lepage, avocate de la commune et de son maire. En premier lieu, comme le souligne lui-même le Conseil d'État dans un communiqué, parce qu'il s'agit de la première fois qu'il se prononce sur une affaire portant sur le respect des engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Ensuite, parce qu'il juge recevable la requête de la commune de Grande-Synthe, mais également les interventions des villes de Paris et Grenoble. « La décision reconnaît que les communes ont un intérêt à agir pour demander à l'État d'intervenir en matière climatique », se félicite Régis Froger, qui représentait les collectivités devant le Conseil d'État. Et Christian Huglo de souligner « le rôle fondamental des collectivités locales qui bousculent le droit climatique », comme elles ont pu le faire dans le passé en matière de pollution maritime après la marée noire de l'Amoco-Cadiz.
Cette décision renvoie le manche du râteau dans la figure du Gouvernement.
Cécile Duflot, directrice générale Oxfam France
Mais la plus grosse avancée réside sans aucun doute sur le fond. Si la France s'est engagée à réduire ses émissions de 40 % d'ici 2030, elle n'a pas respecté la trajectoire qu'elle s'est elle-même imposée pour mettre en œuvre l'Accord de Paris, relève le Conseil d'État. Par le
décret du 21 avril 2020, relatif aux
budgets carbone nationaux, elle a reporté à après 2023 les mesures principales de cet objectif. Une révision à la baisse des objectifs de réduction qui avait été pointée par le
Haut Conseil pour le climat nommé par le Gouvernement. «
Les travaux du Haut Conseil constituent une sorte de râteau qui se referme. Et cette décision renvoie la manche du râteau dans la figure du Gouvernement », estime Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France.
La Haute juridiction juge toutefois ne pas avoir les éléments suffisants pour dire si le refus du Gouvernement de prendre des mesures complémentaires reste compatible avec le respect de l'objectif pour 2030. Elle donne par conséquent trois mois au Gouvernement pour produire les éléments qui lui permettront de statuer.
Le juge pourra enjoindre l'État à agir
Cela signifie que le Conseil d'État pourra obliger l'État à prendre les mesures nécessaires, se félicite Corinne Lepage. La décision contient en effet une avancée jurisprudentielle très importante en ce qu'elle transforme les lois de programmation en lois d'objectifs obligatoires. « Le droit de rendez-vous, d'objectifs mous, de thermomètre devient du droit dur », se réjouit Guillaume Hannotin, qui représentait les associations devant le Conseil d'État. Pour l'avocat, cette décision sera porteuse de changements très concrets pour les opérateurs publics, comme privés, et pas seulement dans le domaine de l'écologie.
« Cette décision s'inscrit dans les positions prises par les grandes cours étrangères, qu'il s'agisse de l'affaire Urgenda aux Pays-Bas, de la décision de la Cour suprême des États-Unis de 2017 ou de la décision de la cour d'appel de Londres sur Heathrow », se félicite l'ancienne ministre de l'Environnement. Et ce, malgré les quelques regrets de l'avocate sur l'absence de prise de position du Conseil d'État sur la base de la Convention européenne des droits de l'homme ou sur la Constitution. De même, la requête personnelle de Damien Carême a été rejetée. « Je regrette de n'avoir pu agir en tant que citoyen », indique l'eurodéputé écologiste qui annonce porter maintenant son combat devant la Cour européenne des droits de l'homme.
« La décision se révèle d'autant plus importante qu'elle intervient à un moment charnière », estime Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. Un moment caractérisé par la proximité de la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron, de la présentation début 2021 de la loi issue de la Convention citoyenne pour le climat, des cinq ans de l'Accord de Paris et de la fin de l'ère Trump.
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Note Télécharger la décision du Conseil d'État Plus d'infos
Note Greenpeace, Oxfam, Fondation Nicolas Hulot, Notre Affaire à tousArticle publié le 19 novembre 2020