L'État sera-t-il condamné pour son inaction face à l'effondrement de la biodiversité du fait des pesticides ? L'audience de l'affaire « Justice pour le vivant » du 1er juin 2023 au tribunal administratif de Paris porte à le croire.
À son origine ? Cinq associations, qui ont formé un recours visant à engager la responsabilité de l'État pour sa carence dans le processus d'évaluation des produits phytopharmaceutiques (PPP) avant leur autorisation de mise sur le marché (AMM), pour le non-respect de la trajectoire de réduction de l'utilisation des PPP (prévue dans les plans Écophyto) et pour son manquement à l'obligation de protection des eaux souterraines et de surface. Les associations ont soutenu l'existence d'un préjudice écologique et ont demandé à ce que l'État prenne les mesures nécessaires à sa réparation.
« L'État a un pouvoir d'orientation des comportements »
Durant l'audience, la rapporteure publique s'est positionnée majoritairement en faveur des demandes des associations. Elle a ainsi reconnu l'existence du préjudice écologique et le lien de causalité avec l'utilisation des pesticides. « L'État a un pouvoir particulier d'orientation des comportements. Toute carence ou négligence dans le respect des plans Écophyto et dans la protection des eaux aggravent les préjudices déjà existants », soutient-elle. Elle a ainsi conclu :
- à ce qu'il prenne toutes mesures utiles pour réparer le préjudice écologique et à prévenir les dommages en rétablissant la cohérence des plans Écophyto ;
- à prendre toutes mesures pour protéger et restaurer les masses d'eaux souterraines et de surface ;
et ce, d'ici au 15 juin 2024.
L'absence des représentants de l'État a été remarquée durant l'audience. « On ne peut qu'être surpris que le ministère de la Transition écologique n'ait pas voulu participer à cette instance pour défendre sa position (…) ; c'est vraiment dommage », commente l'avocat de l'association Anper-Tos. « Depuis les années 2000, l'État continue de reporter les échéances en matière de gestion de l'eau (…). Maintenant nous sommes arrivés au pied du mur », ajoute-t-il.
Une baisse continue des pesticides, selon Phytéis
« On fait comme si les publications scientifiques établissaient de manière certaine que la cause principale sont les produits phytopharmaceutiques (…). Tout ramener aux PPP, c'est aller un peu vite (…) », défend l'avocat de Phytéis, Éric Nigri. « Il semble abusif de conclure qu'il n'y a pas eu de baisse de PPP. Elle est pourtant continue. On ne pourra jamais arriver à un niveau zéro connaissant la question de la souveraineté alimentaire » ajoute-t-il.
Les associations « satisfaites »
« Si les juges suivent les recommandations de la rapporteure publique, ce serait une décision historique et forte », affirme Julia Thibord, responsable contentieux stratégique chez Pollinis.
« On est très contents et satisfaits à la lecture des conclusions de Madame la rapporteure publique. On avance. Le préjudice écologique est notamment retenu pour la contamination généralisée et massive des sols. C'est une première ! On se retrouve le 15 juin prochain pour la décision finale », se félicite Dorian Guinard, membre de l'association Biodiversité sous nos pieds. « La décision du TA de Paris va constituer une norme, et cela ne s'inscrit pas dans la pause normative environnementale évoquée. L'effondrement de la biodiversité appelle non pas à une pause réglementaire environnementale mais bien à une production normative de protection qui, aujourd'hui, est défaillante », assène-t-il. Pause réglementaire environnementale à laquelle Emmanuel Macron avait appelé, le 11 mai dernier.