
Secrétaire générale de l’Othu et chargée d'animation régionale pour le Graie
Actu-Environnement : L'Observatoire de terrain en hydrologie urbaine (Othu) a participé à une campagne de suivi de la présence de moustiques sur des ouvrages de gestion alternative de l'eau de pluie. Pourquoi avoir initié cette surveillance spécifique ?
Laëtitia Bacot : Différentes collectivités ainsi que le service exploitation du Grand Lyon, nous ont interpellés car ils recevaient un nombre important de plaintes de particuliers qui habitent à proximité d'ouvrages de gestion alternative de l'eau de pluie. Ces derniers craignaient que ces lieux soient des foyers de développement spécifique du moustique. A Grenoble, par exemple, certains aménagements avec ces techniques alternatives ont été ralentis par crainte de ce risque. Nous avons aussi été sollicités par le CGEDD sur cette problématique.
Un de nos objectifs au sein de l'Othu est d'acquérir de nouvelles connaissances en matière de gestion des eaux pluviales notamment pour l'aide à la décision des collectivités. Nous avons donc lancé ce suivi en appui avec le Grand Lyon et constitué un groupe de travail élargi avec l'Agence régionale de santé (ARS) Auvergne Rhône-Alpes, l'Entente interdépartementale de démoustication (EID) Rhône-Alpes et le Centre national d'expertise sur les vecteurs (CNEV).
AE : Quels sont les ouvrages que vous avez sélectionnés et quelle approche avez-vous suivi ?
LB : Nous avons commencé par une analyse de la bibliographie sur ce sujet avant de lancer les premières campagnes. Nous avons constaté que des suivis sur une période longue, sur plusieurs ouvrages n'existaient pas dans la littérature même à l'international. Le CNEV et EID nous ont orientés pour notre sélection vers les ouvrages les plus exposés. Quinze bassins de rétention et/ou d'infiltration et deux toitures végétalisées ont été échantillonnés une fois par mois de mai à novembre 2016. Notre échantillon comprend treize bassins à l'air libre et deux enterrés. Nous avons choisi des sites que nous suivions depuis longtemps au sein de l'Othu. Notre panel présente également des ouvrages en zone urbaine et péri-urbaine plus ou moins dense. Nous avons également essayé d'échantillonner des noues et des tranchées … Mais nous n'avons pas pu échantillonner de larves sur ces ouvrages du fait de la non présence d'eau libre dans ces ouvrages.
Ses foyers de reproduction privilégiés ? Des espaces d'eau stagnante de petites tailles : seaux, vases, soucoupes, fûts et citernes, écoulements de gouttières, pneus usagés, boîtes de conserve et tous les réceptacles d'eaux pluviales ou domestiques à découvert mais également les creux d'arbres ou certaines plantes susceptibles de former une rétention d'eau.
Les 30 départements sont : Alpes-Maritimes (2004), Haute-Corse (2006), Corse du Sud et Var (2007), Alpes-de-Haute-Provence et Bouches-du-Rhône (2010), Gard, Hérault et Vaucluse (2011), Lot-et-Garonne, Pyrénées orientales, Aude, Haute-Garonne, Drôme, Ardèche, Isère, Rhône (2012) et Gironde (2013), Saône-et-Loire, Savoie (2014), Ain, Dordogne, Landes, Lot, Pyrénées-Atlantiques, Bas-Rhin, Tarn, Tarn-et-Garonne, Vendée, Val-de-Marne (2015), Aveyron, Gers, Haut-Rhin (2016)
LB : Les résultats sont rassurants : le moustique tigre - Aedes albopictus - n'a pas été retrouvé sur ces ouvrages. Nous avons pu démontrer qu'il se développait dans des zones où il y avait une présence d'eau stagnante supérieure à un centimètre pendant cinq jours. Hormis les moustiques tigre, nous avons collecté quatre espèces de moustiques fréquemment rencontrées en zone urbaine : le moustique commun (Culex pipiens), Anopheles maculipennis et deux espèces qui ne piquent pas les mammifères (Culex hortensis hortensis et Culiseta longiareolata).
AE : Comment expliquer cette différence de présence entre les moustiques tigre et les quatre autres espèces ?
LB : Le moustique tigre a le développement le plus rapide parmi les espèces retrouvées. Ces dernières montrent également une grande variabilité interspécifique pour le choix des habitats de ponte et de développement larvaire. Certaines espèces ont ainsi des préférences marquées pour certains habitats. Par exemple, les larves de Cx. hortensis hortensis sont majoritairement trouvées dans les habitats à berges et fonds bétonnés, tels que les bacs de décantation. Le moustique tigre préfère les petites réserves d'eaux stagnantes – comme les soucoupes sous les plantes -. Les zones de plus grande ampleur comme les bacs de décantation sont donc peu propices.
AE : Des moustiques tigre auraient été retrouvés dans des avaloirs d'eau de pluie dans votre étude?
LB : Nous devons encore confirmer ces données. Dès que les données sont fiabilisées, nous les porterons à connaissance et publierons ces résultats. Une rétention d'eau stagnante supérieure à cinq jours peut constituer un potentiel foyer de développement pour les moustiques. Ainsi, certains avaloirs avec lame d'eau permanente pourraient peut-être être des lieux de développement de moustiques.
Le CNEV a conduit une étude sur le bâti et la présence de moustiques. Il a constaté que l'une des zones importantes de développement est les coffrets électriques enterrés, étanches et jamais ouverts.
AE : Quelle sera la suite de ce projet ?
LB : D'ici le mois de septembre, nous allons produire une synthèse à l'attention des opérationnels. Dans un second temps, nous souhaitons acquérir des chroniques sur le long terme et relancer de nouvelles campagnes. Nous pourrions échantillonner davantage de toitures végétalisées - même si nous n'avons pas retrouvé de moustique tigre dans ces ouvrages.
Nous allons également travailler avec le groupe de travail pluvial du Graie sur les préconisations constructives pour limiter le développement des moustiques en général. Par exemple, réduire ou construire différemment les bacs de décantation des bassins.