Qui sont les lanceurs d'alertes ?
La matinée leur fut consacrée. Place donc aux témoignages, parfois bouleversants, des lanceurs d'alerte. Sans eux, chercheurs ou simples citoyens, les dossiers de l'amiante, du nucléaire, et des maladies à prions (''vache folle'', Creutzfeldt-Jakob) n'auraient jamais éclaté au grand jour. Ce sont des pionniers. Pour le sociologue Francis Chateauraynaud, le lanceur d'alerte est tout le contraire d'un prophète de malheur : il veut déréaliser ce qu'il annonce, éviter que le pire ne se produise et infléchir un processus ou en limiter les dommages A la tribune, Christian Velot, enseignant-chercheur en génétique Moléculaire à l'Université Paris-Sud, raconte : J'ai dénoncé l'absence de contrôle des risques sanitaires et environnementaux liés à l'introduction des OGM dans l'agroalimentaire. Résultat je me suis fait sanctionné par ma direction. Les crédits de mon laboratoire ont été supprimés en janvier dernier et mon contrat de recherche ne sera pas renouvelé en 2009 Autre exemple, celui de Véronique Lapides. En 2001, cette simple citoyenne était préoccupée par le taux anormal de cancers d'enfants scolarisés dans une même école à Vincennes (94). A la tête de l'association Collectif Vigilance Franklin (CVF), elle a poussé, avec d'autres parents, à la mise en place d'un comité de suivi scientifique pour analyser les terrains anciennement occupés par une usine Kodak. Si les études menées par l'industriel ont montré une pollution de la nappe phréatique par des substances, dont certaines sont cancérogènes à l'instar du chlorure de vinyle, depuis 2004, seule une surveillance environnementale a est effectuée. Aucune mesure de dépollution du site n’a été entreprise et le CVF, cosignataire d’un tract en juin 2006 avec des représentants d’agents du Ministère des Finances (dont 600 devaient emménager sur ce site) a été assigné en justice pour diffamation par le Maire de Vincennes. Ce tract mettait en cause la Préfecture et la Mairie sur leurs refus de prendre leurs responsabilités quant à la nécessaire dépollution du site.
À la tribune un peu plus tard, le directeur des programmes scientifiques du WWF, Bernard Cressens exulte : Oui ces hommes et ces femmes, ces lanceurs d'alerte, ces héros, ont du courage ! Mais il faut changer notre regard sur eux et sortir de la victimisation. Notre société toute entière a besoin d'un vrai système d'alerte pour mieux se protéger, et c'est cela qu'il faut dire à chaque citoyen : soyons vigilant, ensemble, et organisons nous
Le rapport Lepage
Aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, des lois spécifiques relatives au statut juridique des lanceurs d'alerte existent depuis plusieurs années. Celles-ci protègent l'individu, mais pas seulement. Elles protègent aussi le processus d'enquête et d'expertise ! En France, depuis 1994, juristes et spécialistes s'intéressent eux aussi à la manière dont l'alerte prend forme, aux parcours qu'elle affronte et à la façon dont elle est éventuellement prise en compte avant une action publique. De tout cela il avait d'ailleurs été question lors d'un premier colloque organisé en 2003 par la fondation Sciences Citoyennes. Aujourd'hui, le rapport Lepage est donc le fruit de plusieurs années de réflexions. Marie Angèle Hermitte et Christine Noiville, deux juristes associées à la rédaction du rapport, ont détaillé les pistes de réflexion dont la commission Lepage s'est inspirée pour rédiger son rapport. Ont été proposés : le devoir d'alerte en général ; la création d'une Haute Autorité uniquement chargée d'évaluer la fiabilité des évaluations, celles-ci étant en pratique effectuées par des tiers; la création d'une procédure permettant dans une entreprise de recevoir et de traiter une alerte ; l'externalisation de l'alerte à l'extérieur de l'entreprise au cas où celle-ci ne soit pas prise en compte suffisamment rapidement dans un délai qui reste à fixer ; l'obligation de dégager des crédits pour évaluer la pertinence de l'alerte ; une modification du Code de la fonction publique pour éviter les sanctions déguisées ; pas d'anonymat pour les lanceurs d'alertes sauf en cas de danger ; une clause de conscience ; dissuader les alertes abusives en prévoyant un recours en justice possible pour calomnie (…) Comme le disait Marie Christine Blandin, perplexe, à l'issue du colloque : Il ne reste plus qu'à faire voter la loi !