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AccueilLaurent NouvelQuelles limites à l'action des éco-organismes au regard du droit de la concurrence ?

Quelles limites à l'action des éco-organismes au regard du droit de la concurrence ?

Laurent Nouvel, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Bird & Bird, revient sur l'importance du pouvoir d'influence des éco-organismes sur les marchés, au regard du droit en matière de concurrence.

Publié le 09/09/2013

Dans le contexte actuel de multiplication des filières REP1, avec notamment l'arrivée récente de nouvelles filières pour les déchets diffus spécifiques des ménages et les déchets d'éléments d'ameublement, il est utile de revenir sur l'avis rendu par l'Autorité de la concurrence (« l'Autorité ») le 13 juillet 2012, concernant l'intervention des éco-organismes (« EO ») mis en place dans le cadre des filières de REP dans le secteur de la gestion des déchets et du recyclage des matériaux.

Saisie par la Fédération Nationale des Activités de Dépollution et d'Environnement (FNADE), qui représente les professionnels du traitement des déchets, l'Autorité a délivré un avis structurant qui fournit un éclairage précieux pour les acteurs du marché sur les conditions d'intervention des EO sur les marchés.

Rappelons qu'il existe deux modèles principaux d'éco-organismes :

- les EO financeurs qui apportent un soutien financier aux collectivités, qui restent chargées de la collecte et de l'élimination des déchets des ménages. Ces EO n'interviennent pas comme prestataires sur le marché de la collecte sélective, du tri et du traitement des déchets, ni sur celui de la valorisation.

- les EO opérationnels, qui prennent en charge la gestion et le traitement des déchets, en les récupérant auprès de leurs détenteurs ou des collectivités territoriales qui les auraient collectés.

Il existe aussi des filières mixtes, comme la filière des déchets des équipements électriques et électroniques (DEEE), ou la récente filière des meubles, dont l'EO peut prendre en charge les déchets ou se limiter au financement des collectivités.

Le fort pouvoir d'influence des EO sur les marchés, lié à leur rôle de donneur d'ordre (EO opérationnels)ou à leur double rôle d'expert et de financeur exercé auprès des collectivités (EO financeurs), n'est pas sans soulever des problèmes de concurrence. Ceci explique le développement d'une pratique décisionnelle des autorités de concurrence dans ce domaine.

Les recommandations de l'Autorité portent sur trois questions principales :

- l'étendue du pouvoir d'influence des EO sur le marché de la collecte, du tri et du traitement des déchets, sur lequel ils ne sont actuellement pas prestataires;

- la possibilité pour un EO d'intervenir en tant que prestataire sur les marchés du traitement des déchets, de la reprise des matériaux et du conseil et de l'expertise en matière de gestion des déchets, desquels ils sont actuellement absents ;

- l'extension du champ d'application de la REP aux déchets industriels.

Quelles limites à l'action des EO sur le marché de la collecte, du tri et du traitement des déchets, sur lequel ils ne sont actuellement pas prestataires ?

L'absence des EO comme prestataires sur ce marché ne résout pas pour autant tous les risques d'atteinte à la concurrence. Relevant avec satisfaction le recours spontané des EO à des appels d'offres transparents, objectifs et non discriminatoires pour leurs contrats, et saluant l'adoption récente par la Commission d'harmonisation et de médiation des filières de collecte sélective et de traitement des déchets (CHMF) de Lignes directrices2 des relations entre les éco-organismes organisationnels et les opérateurs de la gestion des déchets , l'Autorité de la concurrence a cependant estimé que des risques de dysfonctionnements existaient en raison du fort pouvoir d'influence des EO.

L'obligation d'information que les EO peuvent faire peser sur les prestataires pour les besoins de traçabilité (et l'utilisation de ces données), le nombre croissant de contrôles et d'audits ou encore le risque de conseil partial auprès des collectivités, sont en effet autant de risques de fausser le jeu de la concurrence.

Estimant que l'action des EO doit être encadrée par l'Etat, l'Autorité a donc recommandé aux pouvoirs publics la généralisation du principe de l'agrément d'Etat, ainsi que la réalisation d'une étude d'impact intégrant un volet concurrentiel avant la création de nouvelles filières ou l'extension de filières existantes.

Elle a par ailleurs rappelé aux EO leur devoir de respecter le principe d'égalité de traitement et de neutralité dans leurs relations avec les prestataires de services de traitement des déchets. Ils doivent en outre limiter les obligations d'information et de contrôle au strict nécessaire pour l'exercice de leur mission, tout en garantissant la confidentialité des informations collectées. Ils doivent aussi fournir une information transparente, objective et non discriminatoire sur les techniques et évolutions technologiques, dans leur activité de conseil auprès des collectivités.

Quelles limites à l'action des EO comme prestataires sur un marché ?

La question de la FNADE concernait la possibilité pour les EO de développer des activités commerciales sur trois marchés : celui de la collecte, du tri et du traitement des déchets, celui de la reprise des matériaux et du négoce de matières, et celui du conseil à la gestion des déchets.

  • Concernant le marché de la collecte, du tri et du traitement, l'Autorité a constaté que si l'intervention des EO comme prestataire reste encore hypothétique, rien ne s'y oppose. Cette possibilité est même laissée expressément ouverte par les disposition du Code de l'environnement, qui prévoit qu'il peut être fait obligation aux producteurs, importateurs et distributeurs des produits générateurs de déchets « de pourvoir »ou de contribuer à la gestion des déchets qui en proviennent. Les cahiers des charges ne limitent pas davantage l'action des EO.

Toutefois, les EO ont un droit de regard et de contrôle sur les opérateurs qui leur confère un avantage concurrentiel sur leurs concurrents. Pour éviter l'intervention d'un opérateur qui serait à la fois « juge et partie », l'Autorité a souligné que les missions statutaires d'un EO sont a priori incompatibles avec l'exercice, au sein d'une même structure, d'une activité commerciale de collecte, de tri et de traitement des déchets. Les activités de financement des collectivités, de prescription et de contrôle doivent donc être effectuées par des entités distinctes.

  • Concernant le marché de la reprise et du négoce de matière, l'absence actuelle des EO sur ce marché résulte plus des pratiques actuelles que d'une impossibilité juridique. En cas d'intervention sur ce marché d'un EO en position dominante sur le marché du matériau, il serait soumis à des obligations particulières en termes d'ouverture de son marché aux acheteurs, notamment celle de traiter de façon équitable avec l'ensemble des repreneurs.
  • Concernant enfin le marché de conseil et d'expertise, encore peu développé, l'Autorité avait eu l'occasion de rappeler dans une décision Mapeos3, que le fait pour un EO de créer une confusion entre ses fonctions de distribution aux collectivités locales du soutien pour la réalisation d'études (sur les coûts ou les leviers d'optimisation de la collecte) et ses activités de nature commerciale (de vendeur de logiciel liés à la collecte), était susceptible de constituer un abus de position dominante. L'avis ajoute la nécessité pour les EO de respecter un principe d'objectivité et de neutralité dans la délivrance du conseil, et de mettre à disposition des concurrents les informations pouvant être considérées comme des « ressources essentielles » indispensables à l'exercice de leur activité.

La REP étendue aux déchets industriels ?

Interrogée enfin par la FNADE sur l'extension des missions des EO aux déchets industriels, (non couverts par le service public des déchets ménagers), suggérée dans un Rapport du Gouvernement au Parlement de 20124, l'Autorité a indiqué que la question ressort de la compétence du législateur et pourrait être analysée dans le cadre de l'étude d'impact qui précèderait l'instauration de nouvelles filières ou l'extension de filières existantes.

L'Autorité a cependant considéré qu'aucun principe de concurrence ne limitait le champ de la REP aux seuls déchets ménagers. Selon elle, la REP aurait vocation à s'appliquer aux situations dans lesquelles le détenteur final du déchet, professionnel ou non, ne peut agir sur le producteur du produit pour lui faire prendre en compte le coût de l'élimination des déchets générés par ses produits.

Au final, les recommandations de l'Autorité constituent à n'en pas douter des garde-fous importants pour prévenir les risques anticoncurrentiels qui peuvent résulter du pouvoir d'influence des EO sur le marché. Ces précisions pourraient être complétées dans un futur proche par l'Autorité, dans le cadre de sa saisine par la Federec concernant le principe de proximité dans le projet de réagrément d'Ecofolio.

Avis d'expert proposé par Laurent Nouvel, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Bird & Bird.

1 Lire notre dossier Actu-Environnement sur les REP.
https://www.actu-environnement.com/ae/dossiers/dechets-responsabilite-elargie-producteurs/dechets-nouvelles-rep.php4

2 Lignes directrices des relations entre les éco-organismes organisationnels et les opérateurs de la gestion des déchets du 28 mars 2012.
3 Décision n°09-D-22.
4 « Rapport sur les modalités d'évolution et d'extension du principe de la responsabilité élargie des producteurs dans la gestion des déchets » du 21 mars 2012.

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