Si le renforcement de la connaissance des écosystèmes a toujours du bon, il est souvent porteur de mauvaises nouvelles. Dernier exemple en date : l'étude d'une équipe de chercheurs internationaux, dirigée par Lan Wang-Erlandsson, du Stockholm Resilience Center, et publiée dans la revue Nature. Ces derniers ont concentré leurs recherches sur le cycle de l'eau verte pour en conclure que la limite planétaire de sécurité qui s'y réfère est déjà dépassée. Après celle sur les polluants chimiques, c'est donc la deuxième limite planétaire à être franchie cette année.
Au nombre de neuf selon la communauté scientifique, ces limites planétaires illustrent la notion de déséquilibre des cycles biophysiques provoqué par la pression des activités humaines. Au-delà d'un certain seuil de sécurité, le déséquilibre est tel que le fonctionnement du cycle est altéré et met en péril l'humanité et la résilience du système terrestre. Changement climatique, érosion de la biodiversité, perturbations du cycle de l'azote et du phosphore, et pollution chimique sont les quatre limites déjà dépassées. Cinq autres font l'objet d'un suivi : le changement d'usage des sols, l'acidification des océans, la destruction de la couche d'ozone, les aérosols atmosphériques et l'usage de l'eau douce.
Affiner les connaissances du cycle de l'eau
L'équipe de Lan Wang-Erlandsson s'est particulièrement intéressée à un sous-ensemble du cycle de l'eau douce, celui de l'eau verte. Ce cycle intègre les phénomènes de précipitations terrestres et d'évaporation en lien avec l'humidité des sols, un cycle « fondamental pour la dynamique du système terrestre », rappellent les chercheurs. Par exemple, l'expansion de l'agriculture et des pâturages influence le taux d'évaporation du sol et de sa couverture végétale. Une concentration accrue de CO2 dans l'atmosphère peut aussi modifier la transpiration végétale.
Or, aujourd'hui, la définition de la frontière planétaire de l'utilisation de l'eau douce est uniquement donnée par l'eau bleue, c'est-à-dire les rivières, lacs et réservoirs d'eau souterraine renouvelables. Selon les scientifiques, l'absence d'une représentation explicite de l'eau verte dans le cadre des frontières planétaires peut donc masquer et déformer les modifications humaines. Par exemple, selon la définition actuelle, la déforestation qui détériore le fonctionnement de l'eau verte en faveur d'une disponibilité accrue de l'eau bleue par ruissellement ne contribuerait pas à la transgression des limites. « Une articulation explicite de l'eau verte est nécessaire pour mieux représenter toute l'étendue et la diversité des pressions humaines sur le cycle de l'eau », estiment les scientifiques.
Se baser sur l'humidité du sol
Conceptuellement, chaque limite planétaire est associée à une variable de contrôle qui permet de suivre les risques d'impacts sur le système terrestre. Dans leur étude, les scientifiques proposent de suivre le pourcentage de surface terrestre libre de glace dans laquelle l'humidité du sol s'écarte de la variabilité naturelle observée au cours des 11 000 dernières années (ère géologique actuelle relative stable). Même s'ils reconnaissent que les données « font encore cruellement défaut, en particulier dans les zones à haute importance pour le fonctionnement du système terrestre de l'eau verte, y compris les forêts tropicales humides et les zones arides ».
Et selon leurs estimations provisoires, les écarts sont tels aujourd'hui que c'est « la preuve d'une détérioration généralisée du fonctionnement du système terrestre, indiquant que la limite planétaire de l'eau verte est déjà considérablement transgressée ». L'équipe du Stockholm Resilience Center a ainsi placé le seuil de sécurité à 10 % des sols planétaires qui s'écarteraient de la situation observée ces 11 000 dernières années. Or, selon leurs estimations, 18 % des sols de la planète seraient en déséquilibre. « Les modifications de l'eau verte entraînent désormais des risques croissants pour le système terrestre à une échelle à laquelle les civilisations modernes n'auraient peut-être jamais été confrontées », concluent de manière inquiétante les chercheurs, tout en encourageant la communauté scientifique à s'emparer de ce sujet pour affiner ces résultats.