Après le Sénat le 5 mars dernier, l'Assemblée nationale a adopté ce mardi 6 octobre en première lecture le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap) par 332 voix pour et 113 contre. Bercy a posé sa marque sur ce texte porté par la ministre chargée de l'industrie, Agnès Pannier-Runacher. Un texte qui met en oeuvre les conclusions du rapport du député LReM Guillaume Kasbarian sur l'accélération des implantations industrielles commandé par le précédent Premier ministre. Le député a ensuite été nommé rapporteur du texte à l'Assemblée nationale.
L'objectif est « d'accélérer les implantations et les extensions industrielles sans rien changer aux réglementations qui nous protègent », avait expliqué Mme Pannier-Runacher lors de la présentation du texte en conseil des ministres le 5 février. Une assertion qui est loin d'être partagée comme en témoigne un groupe de 23 experts du droit de l'environnement qui, en mars dernier, a dénoncé une tentative d'anéantissement du droit de l'environnement.
Après la discussion à l'Assemblée nationale, on peut dire que ceux-ci n'ont pas été entendus. Les dispositions critiquées du titre III de la loi sont toujours dans le texte. C'est le cas de celles permettant de considérer les projets en cours d'instruction comme des installations existantes, d'autoriser des travaux de construction industrielle en anticipant sur la délivrance de l'autorisation environnementale ou encore des dispositions limitant les possibilités d'actualisation des études d'impact. Mais bien d'autres mesures de simplification ont été introduites dans le texte, parsemées de quelques rares mesures plus contraignantes pour les exploitants industriels.
Saisine facultative du Coderst
La loi généralise pour l'ensemble des installations classées (ICPE) et des canalisations la faculté pour le préfet de ne pas consulter le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) ou, pour les carrières et éoliennes, la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS). Une disposition permet de rendre publics les travaux transmis aux membres du Coderst, sous un certain nombre de réserves toutefois liées aux intérêts de la défense nationale, de la sécurité ou du secret des affaires.
Des dispositions visant à simplifier les démarches lors de la cessation d'activité d'une installation classée (ICPE) ont également été adoptées. Elles prévoient l'intervention de bureaux d'études certifiés, en lieu et place des services de l'État, pour attester de la mise en sécurité et de l'adéquation des mesures proposées pour la réhabilitation des sites. Le texte prévoit aussi la possibilité de transférer l'autorisation détenue par un tiers demandeur à un autre tiers en cours d'opération de réhabilitation d'un site pollué.
Les députés ont également voté une disposition qui donne la possibilité au préfet de fixer un délai contraignant pour la réhabilitation des sites après la mise à l'arrêt définitif d'une ICPE. Dans le mêmes esprit, et afin de lutter contre les « mines orphelines », le texte prévoit la possibilité pour l'autorité administrative de mettre en demeure les exploitants d'engager la procédure d'arrêt des travaux après trois ans d'inactivité.
Le projet de loi supprime par ailleurs la Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et porte de trois à cinq ans la durée du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR).
« Les limites de l'illusion démocratique »
Les modifications apportées aux procédures de participation du public sont toujours présentes dans le projet de loi malgré les oppositions. Le texte réduit à deux mois le délai donné aux collectivités, aux associations ou à des citoyens pour exercer le droit d'initiative permettant de demander au préfet une concertation préalable à certains grands plans ou projets. Il contient également des dispositions visant à simplifier les règles relatives à la participation du public et à l'évaluation environnementale en droit de l'urbanisme.
Une disposition a également été introduite afin de simplifier la participation du public dans le cas d'une modification de parcs naturels marins. Par ailleurs, le texte contient toujours une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer l'Office national des forêts (ONF). Cette habilitation porte sur la possibilité de recrutement d'agents de droit privé en vue de leur confier l'ensemble des missions relevant de l'établissement public, y compris la constatation de certaines infractions.
Irrigation : réduire les délais des contentieux
De nombreuses autres dispositions portant sur l'eau ou l'énergie sont également contenues dans le projet de loi. En matière d'eau, si les députés sont revenus sur une tentative du Sénat d'amoindrir la protection des zones humides, ils ont en revanche voté des dispositions nouvelles visant à réduire les délais contentieux relatifs aux litiges liés aux projets de prélèvement d'eau pour l'irrigation.
Une disposition a été introduite pour organiser une meilleure articulation entre la procédure d'autorisation environnementale et de dérogation aux objectifs de qualité des eaux fixés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) pour les projets d'aménagement des eaux d'intérêt général.
En matière d'assainissement, le texte transfère la délivrance des agréments des dispositifs de traitement dans les installations d'assainissement non collectif des ministres chargés de l'écologie et de la santé au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et au Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton (Cerib).
Le texte contient également des dispositions visant à simplifier les procédures applicables aux ouvrages et aux opérations réalisées par les collectivités dans le cadre de l'exercice de leur compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (Gemapi).
Accélérer le développement de l'éolien en mer
Une disposition a également été votée pour simplifier la participation du public et réduire les délais des contentieux portant sur les projets éoliens en mer. Le texte contient également des dispositions visant à accélérer le développement des énergies renouvelables (EnR) terrestres. Une meilleure information des maires en amont des projets éoliens est notamment prévue. Une disposition instaure en revanche un avis conforme de l'architecte des bâtiments de France (ABF) pour apprécier le caractère substantiel ou non d'une demande de modification d'un parc éolien situé à proximité d'un monument inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco.
Le projet de loi simplifie par ailleurs les procédures d'obtention de titres miniers pour les projets de géothermie combinant chauffage et refroidissement. Les députés ont également voté une disposition visant à favoriser le développement de la méthanisation agricole en augmentant le taux de prise en charge des frais de raccordement. Le texte applique par ailleurs le statut d'entreprise énergo-intensive à un ensemble de sites de consommation situés sur une même plateforme industrielle.
« Détricotage du droit de l'environnement »
Le projet de loi a été adopté malgré de vives oppositions. « Certains points sont vraiment trop gênants dans ce texte pour qu'on puisse le voter », a ainsi expliqué la députée Émilie Cariou pour le groupe Écologie, Démocratie, Solidarité (EDS). Et de citer ces points de blocage : les atteintes au droit de l'environnement, la réforme de l'ONF par ordonnance mais aussi la libéralisation et la dérégulation de la commande publique, l'extension du secret des affaires et le passage en force sur l'enquête publique, qui laissera sans doute des traces.
"Sous couvert de « simplification », ce projet de loi détricote un peu plus le droit de l'environnement et met à mal la possibilité pour les citoyens de participer aux décisions qui affectent leur environnement", réagit de son côté France Nature Environnement (FNE). "Ce texte s'inscrit dans une longue lignée de régressions depuis le début du mandat d'Emmanuel Macron", déplore la fédération d'associations de protection de l'environnement.
Reste à voir si le texte peut encore bouger en commission mixte paritaire et, surtout, si toutes ses dispositions passeront le cap du Conseil constitutionnel auquel il ne devrait pas manquer d'être déféré. « La réforme législative ne résistera pas à l'application des droits fondamentaux, elle est donc vaine et sans avenir », avait prédit en mars dernier le groupe d'experts en droit de l'environnement.