Le Sénat a fait évoluer les dispositions du projet de loi sur la biodiversité relatives aux échanges de semences entre particuliers. La chambre haute a adopté un amendement du Gouvernement qui permet de soustraire ces échanges aux dispositions de l'article L. 661-8 du code rural qui impose des contraintes de sélection, une inscription au catalogue officiel ainsi qu'une traçabilité des semences.
La nouvelle rédaction revient sur celle votée par l'Assemblée nationale le 16 mars dernier. La version de l'Assemblée avait été qualifiée d'"ambiguë" par l'association Inf'OGM qui avait appelé le Sénat à la retravailler. Un constat partagé par la sénatrice LR Sophie Primas. "L'article laisse penser que les échanges ordinaires de semences sont soumis à autorisation, ce qui n'est pas le cas", a-t-elle expliqué. Celle-ci n'en tirait toutefois pas les mêmes conclusions puisqu'elle a demandé à supprimer purement et simplement l'article. Proposition que les sénateurs ont refusé de suivre.
Lever toute ambiguïté
"La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit, de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d'espèces cultivées à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n'est pas soumis aux dispositions [de l'article L. 661-8 du code rural]", prévoit le texte finalement voté.
"La législation ne distingue pas assez clairement les échanges de semences entre professionnels et entre jardiniers amateurs", avait fait valoir la secrétaire d'Etat à la biodiversité, Barbara Pompili.
La réglementation actuelle empêcherait selon elle les échanges, même gratuits, de semences et de plants entre particuliers car ils ne répondent pas aux exigences du code rural. "En pratique, certes, les services de contrôle ne pénalisent pas les dons entre voisins", a expliqué Mme Pompili, mais "cet amendement lève toute ambiguïté en exonérant les échanges à titre gratuit de l'obligation d'inscription au catalogue et de certification technique des lots".
Un coup d'épée dans l'eau ?
Mais ne s'agit-il pas d'un coup d'épée dans l'eau ? "Les échanges à titre gratuit sont [déjà] autorisés, la cour d'appel de Nancy l'a confirmé", affirme la sénatrice communiste Evelyne Didier.
Par une décision du 9 septembre 2014, cette juridiction a en effet jugé que la formulation de la directive du 13 juin 2002, relative à la commercialisation des semences de légumes, permettait "d'écarter du champ d'application du texte les échanges de graines entre particuliers amateurs de jardinage qui ne font pas commerce de leurs semences potagères". L'avocate Blanche Magarinos-Rey, qui défendait l'association Kokopelli dans cette instance, confirme que la cour "exclut expressément du champ d'application de la législation (…) les échanges de semences entre jardiniers amateurs".
"Non, madame Didier, le droit interdit les échanges à titre gratuit et c'est l'objet même de mon amendement que de clarifier le droit", a pourtant rétorqué Barbara Pompili. "La jurisprudence évolue… Ne privons pas les jardiniers amateurs de la possibilité de cultiver et d'échanger des graines", a ajouté la secrétaire d'Etat en défendant l'amendement gouvernemental.
Les échanges à titre onéreux restent contraints
Une avancée discutable donc, alors même que les sénateurs ont rejeté un sous-amendement qui visait à faire bénéficier les échanges à titre onéreux de ces dispositions. "Les associations qui vendent des semences de pommes de terre bretonnes à des jardiniers lorrains ne le font pas dans un but lucratif (…). Or, si je veux acheter de telles semences, je suis un délinquant !", a plaidé en vain son auteur, le sénateur LR François Grosdidier.
"Les quelque quatorze millions de jardiniers amateurs veulent - et doivent - pouvoir échanger légalement entre eux les espèces hors catalogue, comme les légumes dits oubliés", a également fait valoir l'écologiste Joël Labbé. Et d'ajouter : "L'inscription des variétés au catalogue officiel, qui s'apparente à l'AMM [autorisation de mise sur le marché] des médicaments, est lourde et contraignante. Elle ne se justifie pas pour les amateurs, quand bien même leur transaction se fait à titre onéreux. Les pratiques existent : légalisons-les, le droit européen le permet".
Mais le rapporteur LR Jérôme Bignon, tout comme le Gouvernement, se sont opposés à cette extension. "Accepter les échanges à titre onéreux serait une concurrence déloyale à l'égard des entreprises soumises, elles, à l'obligation d'inscription au catalogue", a expliqué le premier. "On ne peut inscrire dans la loi un critère propre à distinguer ces opérations, aux montants très faibles, d'opérations commerciales plus larges avec, en plus, des risques sanitaires", a justifié de son côté Barbara Pompili.