L'Assemblée a voté définitivement la loi imposant aux multinationales françaises et leurs sous-traitants de veiller au respect des droits humains et environnementaux. Le patronat s'inquiète et s'en remet au Conseil constitutionnel.
Après plus de quatre ans de débat, la proposition de loi socialiste sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre a été adoptée mardi 21 février par l'Assemblée nationale en lecture définitive, malgré les blocages du Sénat. Cette loi exige des multinationales françaises, de plus de 5.000 salariés dont le siège est situé en France (et 10.000 salariés avec leurs filiales à l'étranger), de mettre en œuvre un plan de vigilance pour éviter des violations des droits de l'homme et les dommages environnementaux liés à leurs activités, tout au long de leur chaîne d'approvisionnement. Cela inclut le travail forcé et le travail des enfants.
Prévenir les manquements éthiques et environnementaux
Ce texte marque une avancée historique vers le respect des droits humains et environnementaux par les entreprises multinationales
Entre 150 à 200 entreprises sont visées par la
loi. Ces entreprises devront également exercer un contrôle chez leurs sous-traitants ou fournisseurs. L'idée de ce texte est né des députés socialistes Dominique Potier et Philippe Noguès ainsi que la députée écologiste Danielle Auroi, après le drame du Rana Plaza en avril 2013, où plus de 1.000 personnes travaillant dans des ateliers de confection au Bangladesh avaient trouvé la mort. Après un
premier texte infructueux déposé par les trois députés en 2013, le
groupe socialiste à l'Assemblée a fini par imposer l'adoption de sa nouvelle loi présentée en février 2015. Elle a été votée mardi 21 février avec 94 voix pour, 4 contre et 5 abstentions, a précisé Dominique Potier, rapporteur de la loi à l'Assemblée. Il s'est félicité de ce vote
"aux côtés de la société civile in extremis au terme d'un parcours chaotique".
Le plan de vigilance prévoit notamment une cartographie des risques, des procédures d'évaluation des filiales, sous-traitants ou fournisseurs, un dispositif de suivi et d'évaluation des mesures de prévention validées et mises en œuvre. La loi précise qu'un décret en Conseil d'Etat "peut compléter" la liste de ces mesures. Toutes les parties prenantes de la société (organisations syndicales, associations...) pourront être associées à l'élaboration du plan de vigilance. Les filiales devront remplir leur obligation de vigilance si la société mère met en place un plan de vigilance qui les englobe.
En cas de non-respect du plan et après sa mise en demeure, l'entreprise pourra être sanctionnée par une amende allant jusqu'à 10 millions d'euros. Et en cas de dommages graves, cette amende sera majorée jusqu'à trois fois, soit 30 millions d'euros, selon la dernière rédaction du texte.
Une loi qui oppose le patronat aux syndicats et ONG
Les principaux syndicats (CFDT, CFTC, CGT, CGC, Unsa) et de nombreuses ONG (Amnesty International, Les Amis de la Terre, Sherpa, Collectif Ethique sur l'étiquette, CCFD-Terre solidaire, etc.), également à l'origine de cette loi, se réjouissent de ce vote final. "Ce texte marque une avancée historique vers le respect des droits humains et environnementaux par les entreprises multinationales", ont-ils salué. Mais ils déplorent toutefois la "pression exercée par les organisations patronales" qui a "réduit" la portée du texte. Ils jugent l'amende faible au regard des chiffres d'affaires de la centaine d'entreprises de plus de 5.000 salariés concernés, "alors que le seuil proposé au départ était de 500 salariés".
"Faire école en Europe et dans le monde"
La France veut prendre le leadership pour porter cette législation en Europe et dans le monde. "Ce devoir de vigilance fera de nous un modèle en la matière, un des pays où la législation est la plus performante en faveur de la responsabilité des entreprises. Nous pourrons en être fiers", a déclaré le ministre Michel Sapin. Selon la députée Danielle Auroi, une réunion au Parlement européen est prévue le 28 mars à Bruxelles pour demander une directive à la Commission européenne. Elle serait "complémentaire" à la directive de 2014 sur le reporting extra-financier des grandes entreprises de plus de 500 salariés, en cours de transposition en France. Cette directive rend déjà obligatoire la publication annuelle des informations relatives à leurs impacts environnementaux, sociaux, au respect des droits de l'homme et à la lutte contre la corruption. Huit parlements nationaux (Estonie, Italie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Slovaquie) se sont déjà engagés dans ce devoir de vigilance avec la France, dans le cadre de l'initiative "Carton Vert" lancée en 2016.
Ils regrettent aussi l'absence de sanction pénale à l'égard des dirigeants d'entreprise ayant contrevenu à leurs obligations de vigilance. "
Si un dommage survient alors que la société mère a bien mis en œuvre un plan de vigilance adéquat, sa responsabilité ne sera pas engagée, elle n'a pas à garantir le résultat mais seulement qu'elle a fait tout son possible pour éviter le dommage". Le recours à la justice en cas de dommages serait également "
très complexe car la charge de la preuve revient aux victimes", ajoutent les ONG et les syndicats.
Le patronat estime, de son côté, que la loi nuit à la compétitivité des entreprises françaises. Le Medef déplore "des sanctions administratives extrêmement lourdes" et critique "des obligations au champ bien trop vaste et trop vague". La loi "impose une responsabilité civile du fait d'autrui sur la base de référentiels flous avec un champ d'application illimité quel que soit le rang dans la chaîne de sous-traitance et le pays dans lequel ils opèrent", estime le Medef.
Recours des parlementaires LR devant le Conseil constitutionnel
L'obligation d'établir, de publier et de mettre en oeuvre le plan de vigilance s'appliquera "à compter du rapport [présenté à l'assemblée générale des actionnaires, ndlr] portant sur le premier exercice ouvert après la publication de la loi". Soit à compter de l'exercice 2018, si la loi est publiée au Journal Officiel cette année 2017. A condition que le Conseil constitutionnel ne retoque pas la loi. Les parlementaires Républicains ont déjà annoncé leur intention de faire un recours contre une "loi punitive à l'égard des grandes entreprises françaises" devant le Conseil constitutionnel, qui aura un mois pour se prononcer.
Le rapporteur Dominique Potier se veut confiant et espère l'entrée en vigueur de la loi en janvier 2018. Il défend "la solidité juridique" du texte, avec le plein soutien du ministre de l'Economie et des Finances Michel Sapin. "La proposition de loi n'est pas une contrainte législative supplémentaire qui affaiblira notre économie et freinera le développement de nos entreprises. Loin de là ! ", a assuré le ministre devant les députés. "Les entreprises ne seront responsables en cas de dommage que dans les conditions du droit commun de la responsabilité civile. La proposition de loi ne crée pas un régime spécial de responsabilité des entreprises françaises du fait d'autrui", a expliqué Michel Sapin.
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Note Consulter la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères Plus d'infosArticle publié le 22 février 2017